26/01/2017
"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique II
Avant de continuer cette critique, j’ai eu la curiosité de consulter mes vieux manuels pour voir ce que nos prédécesseurs pensaient des Misérables.
Dans la partie sur les Romantiques, au chapitre LIX intitulé « Roman historique, roman sentimental » de leur « Histoire illustrée de la littérature française » (H. DIDIER, Éditeur, 1942), E. Abry, C. Audic et P. Crouzet, tous Agrégés des Lettres, écrivent ceci : « Les Misérables sont plutôt un roman social où Victor Hugo a mis toute sa pitié pour les parias de la société. Pourtant les Misérables se rattachent au roman historique parce que, selon le procédé même du genre, des personnages secondaires se trouvent (NDLR : j’ai corrigé la faute d’accord du verbe au pluriel) mêlés à des événements historiques, tel Thénardier détrousseur des morts à Waterloo, et Marius, insurgé de 1830 sur la barricade de la rue Saint Denis. (NDLR : bon, jusqu’ici rien de fondamental…). Les caractères, selon la formule psychologique chère au poète, sont tout en contrastes (…). Jean Valjean, c’est la tare du crime effacée par l’expiation ; Gavroche est le gamin héroïque qui se fait tuer sur une barricade. Les personnages s’opposent aussi deux à deux (…), Jean Valjean à l’évêque Myriel, admirable de charité évangélique… Malgré tout, ces œuvres vivent, grâce à l’imagination épique qui les anime (…). C’est de la Légende des Siècles en prose. Même les choses prennent une âme. Le poète qu’on retrouve donne le courage d’affronter les lourdes dissertations de l’archéologue ou du sociologue ».
Et c’est tout ! En quelques mots, pour ces trois-là, Hugo est avant tout un poète ; c’est un romancier moyen, et ses descriptions sont indigestes. Vous verrez plus loin que mon appréciation est à peu près contraire.
Je restais néanmoins sur ma faim, nos trois agrégés ayant fait le service minimal, comme certains disent aujourd’hui. J’ai donc ouvert « Les romanciers français – 1800-1930 » de Ch.-M. des Granges et A.-V. Pierre (Librairie H. Hatier, 1936) à la page 94, là où commence le chapitre sur notre écrivain. La courte notice biographique donne le ton : « En 1831, Hugo publia son maître-roman, Notre-Dame de Paris : les personnages qui s’agitent dans ce mélodrame (sic !) ne sont pas plus vivants que ceux d’Hernani ou des Burgondes ; mais la cathédrale elle-même vit, au-dessus du vieux Paris… ». Je crains le pire ! Et effectivement, voici la présentation du roman qui nous occupe : « En 1845, Hugo commença la rédaction d’une œuvre énorme, Les Misérables (…). Il donnait ainsi au public la grosse épopée populaire qu’Eugène Sue avait manquée, non par faute d’imagination mais par défaut de style ». Voilà donc comment rhabiller pour l’hiver, dans une seule et même sentence, deux auteurs célèbres. Arrive le chapitre consacré au roman : « Les Misérables sont une énorme épopée en dix volumes, non pas un roman mais un groupe de romans destinés à supporter une thèse sociale (…). L’auteur les a naturellement déformés (les misérables, objets du roman) afin de créer avec eux des symboles, mais sa puissance verbale leur a donné des apparences très fortes qui trompent parfois sur leur réalité ». Soit dit en passant, le style littéraire de ces deux critiques laisse à désirer et je plains les lycéens du Front populaire qui ont eu à décrypter ces avis et à les commenter dans leurs dissertations…
Et ce n’est pas fini sur les personnages mis en scène par Hugo : « Leurs traits grossis, dépourvus de nuances, sont très propres à frapper l’imagination de ce grand public que Victor Hugo ne dédaignait pas d’atteindre »
07:30 Publié dans Écrivains, Hugo Victor, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
23/01/2017
Irritations linguistiques XLI : deux poids, deux mesures
France Inter, dimanche 22 janvier 2017, 6 h 45…
Un journaliste annonce une rubrique à venir « la civic tech » et, comme il nous prend pour des demeurés, il nous traduit : « la technique civique ». La délicieuse Patricia Martin ajoute : « à podcaster sur notre site »…
Voilà donc comment parlent les journalistes de la radio publique : du franglais à tous les étages, du franglais décomplexé, que dis-je ?, du franglais naturel ! Je l’ai souvent dénoncé ici.
Quelques minutes plus tard, un reportage veut nous convaincre que le ski tard en saison, c’est bien et même c’est mieux. On nous conseille donc d’y aller « aux vacances de Pâques, qu’on appelle maintenant les vacances de printemps ».
Deux questions :
- qui donc a décidé, pour nous et à notre place, de changer le nom des périodes de vacances scolaires ?
- de quel droit les journalistes se permettent-ils de nous imposer ces changements (mineurs mais ô combien symboliques) ?
En fait, ce sont plutôt des réponses et des constats qui nous viennent à l’esprit :
- les journalistes, incapables même à long terme de diffuser et de promouvoir un vocabulaire débarrassé des termes américains qui fleurissent chaque jour, et ignorant superbement toutes les propositions des commissions de terminologie, adoptent sur l’heure toutes les variations de la langue voulues par d’obscurs normalisateurs ; probablement parce que ça fait moderne ;
- les Pouvoirs publics, notoirement inertes dans la défense de la langue française et professant même, sans doute, l’inutilité du combat contre son américanisation galopante, au nom de la sacro-sainte liberté « de jacter comme on veut », éprouvent le besoin en revanche de normaliser la façon dont on nomme les vacances scolaires. Et là, on met la laïcité en avant…
Deux poids, deux mesures.
Éric Zemmour a beau jeu, ensuite, de dénoncer le « désamour de soi » et « le renoncement » du pays, qui abandonne lentement mais sûrement sa diplomatie, son industrie, ses modes de vie, sa gastronomie et sa langue, et in fine son indépendance et son génie.
PS. Selon Wikipedia, la civic tech (abréviation de civic technology, ou technologie civique) représente l’ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le système politique.
C’est l’usage de la technologie (NDLR : terme impropre, soit dit en passant) dans le but de renforcer le lien démocratique entre les citoyens et le gouvernement. Cela englobe toute technologie permettant d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique ou de rendre le gouvernement plus accessible, efficient et efficace.
Ouverture du gouvernement :
- Ouverture des données et transparence
- Facilitation du processus de vote
- Cartographie et visualisation des données publiques
- Exploitation et utilisation des données publiques
- Co-création des lois et décisions gouvernementales
Participation citoyenne :
- Développement de réseaux citoyens
- Engagement de communautés locales
- Financement participatif
- Partage des données citoyennes
Toutes choses fort intéressantes, en effet, et dont on a entendu des échos dans les propositions, qui n’ont jamais dépassé ce stade en France, de Ségolène Royal en 2006 et plus récemment d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon.
On notera une fois de plus que ces idées, auxquelles on peut rattacher le saugrenu « care » de Martine Aubry, qui n’aura guère passionné les foules, sont toutes venues des États-Unis… Mais à quoi sert donc notre Sciences Po parisien dont on nous rebat les oreilles ?
Réponse : mais à adopter d’autres idées américaines, comme par exemple la théorie du genre et la discrimination positive !
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
21/01/2017
Devinette XVIIe : auteurs français de la première moitié du XIXème siècle
En effet, voici les géants : Chateaubriand, Balzac, Hugo, et Dumas.
Géants par leur boulimie de travail, par leur production littéraire de forçat, par leur génie inventif, par leur position de démiurge, par la qualité de leur écriture, par leur double, triple, quadruple vie personnelle et politique (au moins pour Chateaubriand et Hugo).
Dumas s’est ruiné malgré « Les trois mousquetaires » et « Le Comte de Monte-Cristo » et malgré d’innombrables romans couvrant l’histoire de France ; il y perdra sa folie de l’Ouest parisien, le Château d’If…
Hugo voulait être Chateaubriand ou rien.
Il règnera jusqu’à la fin du XIXème, luttant contre l’injustice, la pauvreté et la peine de mort, fasciné par Napoléon 1er et Waterloo mais combattant son neveu, le Petit, venant à bout d’œuvres-fleuves comme « La légende des siècles » et « Les Misérables », adulé par le peuple ; un million de Français suivront son cercueil lors de ses funérailles.
Chateaubriand mènera lui aussi de front une carrière littéraire et politique, voyageant en Amérique et en Orient, ministre, ambassadeur, pair de France, académicien, monarchiste glorifiant le christianisme, romantique, amoureux éternel de Mme Récamier ; il nous laissera un chef d’œuvre, ses « Mémoires d’outre-tombe », monument à sa gloire et à la société de son temps, avant de rejoindre pour l’éternité son monument funéraire du Grand Bé, devant Saint Malo et face à l’océan.
Balzac, comme Hugo, comme Dumas, créera de toutes pièces « son » monde, reflet de son époque, « La comédie humaine », dont on ne peut oublier les personnages, les drames et les passions : le Père Goriot, la cousine Bette, Chabert, Grandet, Vautrin, Rastignac.
Je ne saurais oublier Lamartine (« Un seul être vous manque… »), à la carrière également bien remplie.
Les ouvrages de littérature mentionnent aussi, à cette époque, Stendhal, bien sûr, Vigny, Nerval, Musset, Leconte de Lisle, tous classés « romantiques », sauf le dernier, « parnassien ».
Quel siècle !
Et nous n’en sommes qu’à la moitié…
À suivre…
09:29 Publié dans Histoire et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)