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02/03/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique VII

Waterloo est une énigme…

Pour Napoléon, « tout fut perdu par un moment de terreur panique ».

« Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien ».

Pour Hugo, ce fut « une catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin ».

« Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien ».

« Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont leur lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent ».

« Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine. Quine gagné par l’Europe, payé par la France ».

Vous vous demandez peut-être ce qu’est un quine… Le mot vient du latin quini qui veut dire cinq. Il s’agit de cinq numéros pris à la loterie et qui, pour que l’on gagne, doivent sortir ensemble. Autant dire que c’est difficile à obtenir et donc rare.

Napoléon à Waterloo.jpgEt Hugo d’enchaîner un portrait comparé de ces deux acteurs majeurs de Waterloo que sont Napoléon et Wellington, par une avalanche de qualificatifs et de métaphores dont il a le secret : « D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant mais la troublant ».

On a peu de doute sur lequel des deux a l’admiration de l’écrivain. Suit une page admirable, la page 460, où Hugo brosse un portrait étourdissant du Corse de vingt-six ans qui bouscule de son génie l’académisme militaire. On dirait Maurice Leblanc parlant d’Arsène Lupin mais la virtuosité littéraire en plus.

« Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée ». Certain commentateur du Tournoi des cinq nations ne s’exprimait pas différemment !

« (L’Angleterre) a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple » (page 461). C’est elle, l’Angleterre, qui a choisi en 2016 de quitter l’Union européenne, le fameux Brexit.

« Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné » (page 464).

 

Bataille.jpg

Le Tome I se termine par le chapitre XIX « Le champ de bataille la nuit », qui voit Thénardier réapparaître en rodeur et néanmoins sauver un soldat agonisant…

Hugo à Waterloo… un sommet !

27/02/2017

Irritations linguistiques XLIV : les trois catégories

C’est comme si ça s’accélérait… il en pleut maintenant tous les jours ou presque (des franglicismes, des néologismes personnels hasardeux, des incorrections linguistiques, des tics langagiers).

Commençons par les tics : depuis pas mal de temps l’inévitable « voilà » ponctuait tous les discours des politiques comme des journalistes, une sorte de « respiration » pour signifier à la fois que la cause était entendue, qu’on était à bout d’arguments et que d’ailleurs ça tombait sous le sens. Il me semble qu’un autre tic est en train de s’implanter : « du coup ». Il sert de conjonction pour insister sur un lien de cause à effet, sur une conséquence manifeste, irrémédiable, indiscutable.

Plus compliqué et plus intellectuel, il y a le verbe « essentialiser » qui a envahi le discours des experts en sociologie, un peu derrière le fameux « briser les codes ».

Même si un journaliste du Figaro s’est fait une spécialité de dénoncer régulièrement dans sa rubrique « Langue » ces petits travers du francophone métropolitain de base, je considère qu’à côté du reste (ce qui va suivre », ce n’est que roupies de sansonnet, en un mot, c’est parfois énervant mais globalement amusant.

En écrivant cette dernière phrase et plus précisément en faisant allusion au « francophone métropolitain de base », j’ai pensé à une mise au point que je voulais faire (que j’aurais dû faire) depuis longtemps, destinée à mes lecteurs francophones qui ne sont pas « métro » justement : mes lecteurs inconnus du Québec, d’Afrique du Nord et sub-saharienne, d’Asie et d’Amérique latine, et aussi bien sûr à mes lecteurs français des cinq continents (Martinique, Guadeloupe, Réunion, Guyane et les autres). Sans doute mes billets sont-ils « franco-métro-français », trop peut-être ! Passe encore pour mes comptes rendus de lectures ; mais quid de la série « Irritations linguistiques » ? Rencontre-t-elle un écho outre-mer ? Irrite-t-elle ? Suscite-t-elle un intérêt documentaire, un intérêt ethnologique ou social ? Manque-t-elle d’ouverture et de largeur de vue, sachant que le français, malgré l’Académie, est tout de même très varié d’une contrée à l’autre ? Les « commentaires » du blogue sont là pour cela ! Donnez votre avis !

Bon je reviens à mes Irritations de la semaine.

Après les tics, les franglicismes, certains volontaires (snobisme ou paresse), d’autres non (ignorance).

Voici donc « définitivement », employé comme le serait en anglais definitely, qui malheureusement pour les ignorants signifie « assurément », « certainement » et non pas « définitivement ».

Voici « candidater », qui n’existe pas, à la place de « postuler ».

Voici les chatbots du 13 heures de France Inter le 24 février 2017, pour désigner ces « robots » (en fait des logiciels) qui répondent sans aide humaine aux questions récurrentes des internautes. Voici l’action de « redirecting vers les salariés », allez savoir ce que cela désigne… Voici enfin la playlist de France Inter…

Et les consultants qui adorent marteler que les entreprises doivent « adresser » plusieurs problèmes en même temps.

Et Stéphane Le Foll, sur BFM-TV le 19 février 2017, qui, comble de la snobitude et du cosmopolitisme le plus distingué, affecte de croire que l’adjectif « divers » est invariable et affirme que « le monde agricole est très diverse ».

BFM-TV, encore, donnait un reportage sur Emmanuel Macron le 20 février 2017. On y parlait des helpers, ces jeunes gens qui l’aident, bénévolement, à marcher sur l’eau et des start-upers qui arrivent, nous dit-on au bord de l’extase, « en direct de la Silicon valley ». J’ai entendu aussi évoquer le coaching des femmes, qui nouvelles en politique auraient besoin d’être déniaisées… Les féministes apprécieront. 

Autre catégorie, celle de la « bravitude de Chine » : les néologismes personnels. M. Gilbert Collard sur BFM-TV le 24 février 2017 parle ainsi de la « tardivité » d’une décision (sur le modèle de « brièveté » et de « précocité » sans doute).

23/02/2017

Irritations linguistiques XLIII : Jeux olympiques et projet gastronomique, et du franglais comme s'il en pleuvait

Je reviens sur le slogan choisi par le Comité de la candidature de Paris aux JO de 2024, dont j’ai déjà parlé le 6 février 2017, parce que Jack Dion y consacre sa chronique du 10 février 2017 dans Marianne et parce que l’Académie française, elle aussi, heureusement, s’est émue du choix de l’écrire en anglais et non pas en français. Encore une fois, malgré la mondialisation et son uniformisation rampante des cultures et des modes de vie, je reste convaincu qu’un touriste qui vient en France et même à Paris, n’y cherche pas ce qu’il peut trouver ailleurs dans le monde mais au contraire veut y découvrir l’art de vivre français, la mentalité française et la langue française.

Cela étant dit en « propos liminaire », voyons ce qu’en pense Jack Dion. D’abord il a une pensée pour ceux « qui s’échinent à faire apprendre le français aux enfants des écoles »… sans commentaire (sauf qu’il aurait pu ajouter qu’avec la pub à la télé et dans nos rues, la coupe est pleine). On apprend qu’il y aura « pour les analphabètes » une déclinaison traduite, « Venez partager » (sans doute parce que la loi y oblige) mais qu’elle sera discrète…

Le journaliste mentionne le choc que ce choix a dû causer chez les défenseurs de la francophonie, « à commencer par nos cousins du Québec ». C’est vrai, je n’avais pas pensé à cet effet collatéral.

Son argument principal est le mien, depuis longtemps : « Cette histoire n’est qu’un signe parmi tant d’autres du vent de démission qui souffle sur les élites ». On pense, entre autres, aux Conseils d’administration des sociétés du CAC 40 (Renault…), à la loi Fioraso, à M. Macron à Berlin et à M. Moscovici à Bruxelles, etc. « Les écrans, petits et grands, sont inondés de messages établis en vertu des codes de Hollywood, devenus les nouveaux mantras culturels des bobos parisiens ». « En vérité, cela va de pair avec la volonté de noyer les nations dans des sous-ensembles où elles ont vocation à être progressivement annihilées ». Et il conclut, après avoir rappelé la célèbre formule de Pierre de Coubertin « L’important, c’est de participer » : « S’il s’agit d’assurer la victoire de l’anglicisation des esprits, l’important, c’est de dire non ». On est d’accord, et cela n’a rien à voir avec une quelconque anglo- ou américano-phobie. C’est de l’autodéfense, l’instinct de conservation. 

Après ces envolées et ces cris d’alarme, revenons à la guérilla linguistique, celle qui détecte et combat les petites entorses quotidiennes, objet de cette rubrique « Irritations linguistiques » qui en est à son quarante-troisième épisode. 

Toujours des problèmes avec la conjugaison du groupe verbal « (se) faire + infinitif » au passé composé. J’ai trouvé, à peu près au même moment, dans une chanson de Serge Lama (dont les textes sont pourtant souvent soignés) et dans un épisode du feuilleton « Fais pas ci, fais pas ça », cette horreur : « Tu t’es faite larguer » (indépendamment du fait que la situation est évidemment très désagréable !). Rappelons une fois de plus que dans cette expression, le c.o.d. est « larguer » et non pas « toi », et qu’en l’espèce, il n’est pas placé avant mais après l’auxiliaire avoir. Cette erreur est très étonnante car, dans les cas simples, la plupart des gens négligent aujourd'hui de respecter la règle du c.o.d., que certains d'ailleurs au Ministère de l'Éducation nationale voudraient abroger.

Rien à voir, car il s’agit maintenant plutôt de la tendance à user de pléonasmes pour renforcer une argumentation (peut-être) défaillante : « ça leur permet de pouvoir envisager… ». Non ! Il suffit de dire « ça leur permet d’envisager… ». 

Entendu au 13 h de France Inter le 15 février 2017 : « Un terme venu du monde anglo-saxon et qui s’est imposé (sic !) : le burn-out, plus simple à dire que épuisement professionnel ». Ainsi va le journalisme et le snobisme (un pléonasme ?). 

Certains nous abreuvent du néologisme « branchitude »… Pourquoi pas… Mais sont-ce les mêmes qui s’étouffaient de rire quand Ségolène Royal avait parlé de « bravitude » ? 

Chaque nouveauté, qu’elle soit promesse d’avancée ou menace de dégâts (à vrai dire, on a en général les deux en même temps), est systématiquement baptisée d’un mot anglais. Ainsi de « fake news » (nouvelles erronées), phénomène que les ravis de la crèche feignent de découvrir sous les lambris dorés d’internet. On peut s’estimer heureux quand, une fois sur un million, c’est à une autre langue ou une autre culture, que l’on emprunte un mot. Je pense à « troll ». Et je n’ai guère d’autre exemple (au siècle précédent, on avait eu « pérestroïka » et « glasnost » ; j’avais adoré). 

Le dimanche 5 février 2017, vers 7 h 05 (mais il n’y a pas besoin de se lever si tôt pour trouver des horreurs linguistiques, elles poussent au pied de chaque journal et de chaque émission), France Inter faisait la réclame de son « Interception » en déclarant que « la priorité est au life saving, autrement dit les premiers soins » ! Il faut oser, non ? 

Le mois dernier, des étudiants d’une École consacrée aux métiers de la table me présentent leur projet, qu’ils ont baptisé « Share me trends » (l’influence du Comité olympique, sans doute). Je leur fais remarquer que to share est un verbe transitif et que to share with me serait plus correct, ils n’en ont cure ; ce qui compte, semble-t-il, c’est d’avoir un slogan qui fasse anglais. J’enchaîne sur l’argument que la gastronomie française étant ancestrale et réputée comme telle dans le monde entier, nul n’est besoin de l’habiller de termes anglais (au contraire, pensé-je). Quelle fut donc la réponse un peu condescendante de ces jeunes de vingt ans ? « Détrompez-vous ! Tout est en anglais dans la gastronomie internationale ».

À ce moment-là, avant de passer à autre chose, j’ai pensé au Denis de « Fais pas ci, fais pas ça », avec son food truck