24/11/2016
Des yankees à Guillaume II
À la Gare de l’Est, à Paris, quand on vient prendre le train à grande vitesse, on est chez les yankees ; devant les quais ne trônent que deux (grandes) boutiques : Starbuck’s coffee et RELAY ! J’ai personnellement du mal à comprendre pourquoi il ne se trouve aucun cafetier dans Paris, bougnat ou non, affilié à une chaîne ou non, pour tenir l’espace le plus emblématique qui soit de notre vieux pays buveur de café, de thé, de vin blanc et de ballons de rouge : l’estaminet, le troquet, le bistrot.
Et aussi pourquoi dans notre pays passionné de littérature, amoureux des livres et révérant les écrivains, aucun libraire, aucune « Maison de la Presse » ne peut tenir boutique dans une grande gare parisienne… Et pourquoi, donc, il faut s’en remettre à des enseignes américaines ou au moins à des boutiques au nom américain pour assurer ce genre de services…
Quand on arrive à Metz, ces aberrations sont oubliées depuis longtemps ; on entre dans l’Austrasie, dans la Lotharingie, dans la Lorraine des Trois évêchés, et là flottent les vestiges, sinon le souvenir, du Saint Empire romain germanique et in fine de Guillaume II.
La gare de Metz (prononcer « mess ») doit son architecture néo-moyenâgeuse à l’Empereur d’Allemagne, du temps où le Nord de la Lorraine et l’Alsace avait été annexées. Mais la cathédrale gothique est là depuis longtemps, magnifique et préservée.
On passe par Luxembourg et on met le cap vers le Nord-Est, aux frontières du Grand Duché ; c’est le château de Vianden ; en novembre il est dans la « brouillasse » mais, restauré depuis que l’État l’a récupéré en 1977, il a bon pied bon œil. La visite permet de voir quelques belles salles aux proportions impressionnantes.
La vue depuis les étages supérieures de cette ancienne propriété de Guillaume (attention, lui n’est que le Ier et en plus il est « d’Orange-Nassau », famille des Pays-Bas), château-palais perché (« Vianden » vient du gaulois « vien » qui veut dire « rocheux »), plonge sur la rivière Our et sur le village.
Et justement, après la visite, je descends au village. Voici, à la sortie du pont sur l’Our, la maison de Victor Hugo ; le cher grand homme est venu ici à quatre reprises, dont une fois après son expulsion de Belgique ; il y a écrit le recueil de poèmes « L’année terrible » ; c’est lui qui, visitant le château lors de sa première restauration, en avait critiqué l’esthétique, ce qui avait conduit à des modifications. La synchronicité m’a rattrapé encore mais qui sait que je suis en train de relire « Les Misérables » ?
07:30 Publié dans Histoire et langue française, Loisirs | Lien permanent | Commentaires (0)
21/11/2016
"Comment peut-on être français ?" (Chahdortt Djavann) : critique I
C'est présenté comme un roman ou même un conte mais, vu le parcours de son auteur, Chahdortt Djavann, on ne peut pas s'empêcher d'y voir un peu ou beaucoup d'autobiographie.
Comment peut-on être français ?" est l'histoire d'une jeune Iranienne, qui après avoir rêvé de Paris si longtemps franchit le pas et vient en France. Sa découverte de la Ville éternelle et de la vie des Français, ajoutée à l'obtention inespérée de sa carte de séjour sans délai, est un émerveillement.
Elle ne connaissait Paris que par les livres : "dans les Misérables, Le Père Goriot, Les trois mousquetaires, Notre-Dame de Paris ou L'âme enchantée, qu'elle avait lus et relus pendant les longs après-midi chauds et humides de son adolescence" (page 12).
Mais bientôt viennent les désillusions, la solitude et surtout l'incapacité qu'elle croit culturelle et définitive de s'approprier la langue française, malgré un travail acharné, des cahiers et des cahiers noircis de mots à apprendre, des phrases psalmodiées matin et soir... trop de vocabulaire nouveau, trop de conjugaisons, trop d'exceptions et de bizarreries... Et plus que cela, le français est autant précis et exact que le farsi (le persan) est poétique et vague.
"Avec sa grammaire aux structures implacables, elle se prêtait extraordinairement à la démonstration, à l'analyse. Elle était la langue même de la littérature. Une langue maîtresse, une maîtresse, une traîtresse. Il fallait se plier aux exigences des articles, obéir à la grammaire" (page 120).
"C'est dans la langue que tout s'enracine, se disait-elle. Si les Français ne parlaient pas français, ils ne seraient pas des Français. Sa patrie à elle serait la langue. Cette patrie qui l'excluait, la bannissait. Cette patrie qui dénonçait sans pitié sa condition d'exilée" (page 72).
"Une langue n'existe que dans un lieu, dans un pays, dans le cœur et la bouche des gens qui l'a parlent, elle raconte l'histoire d'un peuple, traduit le monde où elle vit, dit la vie, la vie des gens" (page 114).
Au détour de la page 54, encore un coup de la synchronicité : rappelez-vous que mon billet littéraire précédent parlait d'André Gide et de sa "Porte étroite" ; et quel est le premier livre français que lit Roxane, la jeune Iranienne arrivée à Paris ? "La symphonie pastorale" !
C. Djavann intercale des souvenirs de l'enfance de Roxane dans les péripéties de son initiation laborieuse à la vie parisienne. Cette enfance a été baroque mais pas malheureuse. C'est plus tard que les raisons de partir vont devenir impérieuses.
À bout de patience et de souffrance, Roxane a l'idée folle de s'adresser à Montesquieu, auteur, comme chacun sait, des fameuses "Lettres persanes", en lui écrivant des lettres qu'elle envoie à des adresses réelles au nom des écrivains qu'elle est en train de lire (Molière, Voltaire, Hugo). Roxane en effet suit des cours de littérature française en Sorbonne.
07:30 Publié dans Djavann Chahdortt, Écrivains, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
17/11/2016
Mélanges
Il y a des traductions de l’anglais au français qui tapent dans le mille ; elles sont rares mais elles tombent à pic (avant que le franglais ne s’impose) et, tout en gardant l’idée de base, elles ont un fondement local (mode de vie, habitude, inconscient collectif, voire tradition, mais surtout structure de la langue et vocabulaire, bien français).
On connaît « logiciel » et « matériel », « jardinerie », « texto », « tablette », etc. Dans un autre registre, peu reluisant il est vrai, j’ai pêché « biture express » pour traduire un travers importé d’Albion : binge drinking (Marianne du 20 décembre 2013). Ça dit bien ce que ça veut dire, non ? Dans le même article, on trouve néanmoins de nombreuses formules anglomaniaques comme celle-ci : « cette comédie a repris les codes du teen-movie type American Pie ». Nobody’s perfect !
Dans le même hebdomadaire mais daté du 28 octobre 2016, Benoît Legemble écrit deux fois « satisfaire à son inclinaison pour la philosophie religieuse », dans un article sur le philosophe russe Léon Chestov. Ce journaliste doit déplorer l’inclination trop forte de sa descente de garage…
Régis Debray, lui, fait cette déclaration surprenante : « Il m’arrive de penser que la France a plus à craindre d’une américanisation achevée de ses mœurs, de ses idées et de ses institutions, que d’une islamisation. Et de me demander même si pointer du doigt l’islamisation n’est pas une façon de cacher la réalité de l’américanisation ». Mais à bien y réfléchir…
L’américanisation a débuté à la Libération, en 1945, avec les chewing-gums et les cigarettes. Elle n’a fait que croître et embellir. À côté, l’anglomanie du temps de Proust était une aimable plaisanterie. Elle s’est attaquée depuis plusieurs années à notre Droit (le plaider-coupable, les transactions, la primauté des contrats…), tendant à instituer un « Droit planétaire » à la mode américaine (rappelons-nous les marins bretons obligés de faire le déplacement de Chicago pour demander réparation des dégâts causés à leurs côtes par le naufrage de l’Amoco Cadiz ; rappelons-nous aussi BNP Paribas lourdement sanctionné pour avoir commercé en dollars en Iran, sous embargo uniquement américain…), a submergé notre organisation économique avec le néolibéralisme de Milton Friedmann relayé à partir de 1980 par Ronald Reagan et Margaret Thatcher et quelques années après par les technocrates de Bruxelles, est en train de modifier notre Code du Travail, avec la fameuse inversion de la hiérarchie des normes, révolution copernicienne imposée au prix de 49.3 successifs, a envahi nos écrans de télévision (sur les 16 chaînes « gratuites » de TNT, combien passent chaque soir des « séries » américaines produites à la chaîne, justement ?), met au pas les banques européennes, affrontent maintenant nos constructeurs automobiles sous prétexte de contournement des tests anti-pollution…
À propos, ai-je déjà rappelé qu’avant les années 70, « série » se disait « feuilleton » et « saison », « épisode » ?
Ai-je déjà signalé que « versatile » signifie « qui change d’avis comme de chemise » et non pas « polyvalent » comme l’anglais mal traduit nous le fait croire de plus en plus ?
D’Alain Bentolila, professeur de linguistique à Paris-Descartes, cette déclaration dans un article sur les agressions de professeurs dans les lycées (Marianne, 21 octobre 2016) : « Or la langue est justement faite pour s’expliquer, elle est faite pour argumenter avec autant de fermeté que de tempérance. Mais dès lors que les mots viennent à manquer, alors ce sont les coups qui partent ». Suit tout un paragraphe pour contredire l’idée que les élèves concernés « n’auraient pas les moyens intellectuels de se doter d’une langue puissante et efficace » (NDLR : on ne sait jamais ce que les lecteurs peuvent penser et retenir d’un article de journal, et les anathèmes courent vite sur les réseaux sociaux, a dû se dire Alain Bentolila…). Et il ajoute : « L’école et la famille n’ont pas su (ou pu) transmettre cette capacité spécifiquement humaine de transformer pacifiquement le monde et les autres par la force des mots ». Et plus loin « L’humiliation de ne pas maîtriser ce qui fait le propre de l’homme (…) conduisent inéluctablement à l’agression ». Comprendre, c’est (souvent) excuser…
16:05 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)