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11/02/2017

Devinette XVIIh : auteurs français de la seconde moitié du XXème siècle

Nous y voilà !

Et d’abord Mauriac, Céline et Camus, que j’avais gardés en réserve.

J’ai peu lu Mauriac ; sa Gironde me plaît mais un peu moins ses personnages de province torturés.

Céline est l’objet d’un véritable culte des intellectuels d’aujourd’hui que je ne m’explique pas… J’ai eu du mal à terminer le « Voyage » et je ne peux m’empêcher de penser à l’auteur derrière son œuvre, peu ragoûtant, à ses opinions politiques, inacceptables. Quant à considérer que son style apporte une révolution dans l’art de raconter des histoires et de ficeler des romans, non, mille fois non !

Et maintenant, à nous deux, Albert Camus, l’homme solaire d’Alger la blanche, le gardien de but, le journaliste, le dramaturge, l’écrivain engagé, le Nobel de littérature ! « L’étranger » est depuis longtemps le livre le plus lu par les jeunes et nous n’avons pas échappé à cet engouement à l’époque. Mais nous avons aussi été marqué à jamais par « La peste », métaphore du nazisme, et par le « Mythe de Sisyphe ».

« Je laisse Sisyphe au bas de sa montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

Admirable et cruel… On pense irrésistiblement à cette phrase reprise par Nougaro : les chants les plus beaux sont les plus désespérés. 

On a adhéré à la philosophie de l’absurde et à la recommandation de Camus de faire de sa vie, là où l’on est, le meilleur possible. Et on admire toujours cette langue directe, percutante, concise et qui n’exclut pas le lyrisme (relire « L’été » dont j’ai déjà donné un extrait). Oui, Michel de Saint-Pierre avait raison ; Camus est mort beaucoup trop tôt. 

Pour la suite, dans cette seconde moitié du XXème siècle, j’ai envie de sauter les poètes et le surréalisme : Éluard, Breton, Aragon (« Les yeux d’Elsa »), Michaux, Ponge, Desnos (« J’ai rêvé tellement fort de toi »), les dramaturges de l’absurde (Beckett, Ionesco), le Nouveau Roman (Sarraute, Simon, Robbe-Grillet, Butor), qui ne me semble lu par personne aujourd’hui, d’oublier Sartre (dont j’ai bien du mal à terminer « Les mots » en ce moment et dont tout le monde connaît surtout l’aphorisme « L’enfer, c’est les autres ») et de m’insurger au contraire contre l’oubli d’Anatole France (« Les dieux ont soif », « La rôtisserie de la Reine Pédauque ») et de Paul Valéry, deux monuments du siècle, dont mon « Tableau chronologique » ne parle pas, pas plus que de Romain Rolland ni de Roger Martin du Gard. 

Je garde une tendresse particulière, sans l’avoir lu, pour Georges Duhamel et sa chronique des Pasquier, parce que ma mère en faisait grand cas et s’était promis de le relire quand elle serait retraitée ; ce qu’elle a eu le temps de faire avant de mourir. 

Le trompettiste de jazz et écrivain pataphysicien Boris Vian a enchanté notre adolescence avec « L’écume des jours » et « L’automne à Pékin », avec ses héros décalés qui « fermaient » les marches quand ils descendaient les escaliers et se réjouissaient quand leurs amies mettaient au monde des « trumeaux ». 

Je laisse de côté les Déon (« Un taxi mauve »), Druon (« Les rois maudits »), Blondin, Sabatier (la saga d’Olivier), Laurent (Caroline chérie »), Bazin (« Vipère au poing ») et autres auteurs à succès… Non, pour moi, Jean Giono est au-dessus de tout, avec sa trilogie « Colline », « Regain », « Un de Baumugnes »,

« Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts.

C’est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras.

Le sainfoin fleuri saigne dessous les oliviers. Les avettes dansent autour des bouleaux gluants de sève douce.

Le surplus d’une fontaine chante en deux sources. Elles tombent du roc et le vent les éparpille. Elles pantèlent sous l’herbe, puis s’unissent et coulent ensemble sur un lit de jonc.

Le vent bourdonne dans les platanes.

Ce sont les Bastides Blanches ».

Banon.jpg

« Quand le courrier de Banon passe à Vachères, c’est toujours dans les midi.

On a beau partir plus tard de Manosque les jours où les pratiques font passer l’heure, quand on arrive à Vachères, c’est toujours midi ».

 

« Je sentais que ça allait venir.

Après boire, l’homme qui regarde la table et qui soupire, c’est qu’il va parler. Surtout de ces hommes qui sont seuls dans le monde, seuls sur leurs jambes avec un grand vide autour, tout rond ; enfin, un de notre bande, un de ceux qui se louent dans les fermes, à la moisson, ou à peu près ».

 

avec son « Moulin de Pologne » et son « Roi sans divertissement ».

Je lui associe volontiers Pierre Magnan (« Un grison d’Arcadie », « L’amant du poivre d’âne » et le merveilleux « Laure du bout du monde »), son ami et disciple de Forcalquier. 

Enfin je n’aurai garde d’oublier Romain Gary (« La promesse de l’aube », « Les racines du ciel »). 

« Nous sommes aujourd’hui de vieux ennemis et c’est de ma lutte avec eux que je veux faire ici le récit ; ma mère avait été un de leurs jouets favoris ; dès mon plus jeune âge, je m’étais promis de la dérober à cette servitude ; j’ai grandi dans l’attente du jour où je pourrais tendre enfin ma main vers le voile qui obscurcissait l’univers et découvrir soudain un visage de sagesse et de pitié ; j’ai voulu disputer, avec les dieux absurdes et ivres de leur puissance, la possession du monde, et rendre la terre à ceux qui l’habitent de leur courage et de leur amour ». 

Le siècle passé nous a encore donné un autre magicien des mots, un autre conteur d’exception, un autre peintre des paysages et des âmes de la Méditerranée, le créateur d’un monde, mais, chut, ce n’est pas le lieu d’en parler ici, même si son esprit y est présent… c’était un Anglais des Indes.

09/02/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique IV

La langue de Victor Hugo est parfois « tortueuse », parfois elliptique, souvent métaphorique : « D’ailleurs, de certaines natures étant données, nous admettons le développement possible de toutes les beautés de la vertu humaine dans une croyance différente de la nôtre » et « Aucune pourriture n’est possible au diamant » (page 76).

Souvent un mot qu’il utilise est rare ou n’est plus connu aujourd’hui ; j’ai déjà cité « ménechme » ; voici « bramine » (page 77), inconnu du Dictionnaire Hachette de 1991 mais que le Larousse de 1922 explique en détail, sous les graphies équivalentes « brahmine », « brahmane », « brahme », « brame », « bramin » : il s’agit des membres d’une secte sacerdotale héréditaire de l’Hindoustan, adorateurs de Brahma, membre d’une religion qui a pris en Inde la suite du védisme. Brahma formait une Trinité avec Çiva et Vichnou… 

Plus loin, page 79, à propos des qualités et du mode de vie de Monseigneur Bienvenu : « Il considérait ces magnifiques rencontres des atomes qui donnent des aspects à la matière, révèlent les forces en les constatant, créent les individualités dans l’unité, les proportions dans l’étendue, l’innombrable dans l’infini, et par la lumière produisent la beauté (…). N’est-ce pas là tout, en effet, et que désirer au delà ? Un petit jardin pour se promener, et l’immensité pour rêver. À ses pieds ce qu’on peut cultiver et cueillir ; sur sa tête ce qu’on peut étudier et méditer ; quelques fleurs sur la terre et toutes les étoiles dans le ciel ». 

Et enfin apparaît Jean Valjean, qui au bagne réfléchit sur ses torts « … c’était, dans tous les cas, une mauvaise porte pour sortir de la misère que celle par où l’on entre dans l’infamie » mais que Hugo excuse et plaint à cause des fautes que la société a commises envers lui (« une sorte d’attentat du plus fort sur le plus faible ». « Il conclut enfin que son châtiment n’était pas à la vérité, une injustice, mais à coup sûr c’était une iniquité » (page 123).

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Au tiers du Tome I, le bien et le mal (mais un mal relatif, qui a ses raisons, selon Hugo…) ont donc été mis en scène et le romancier-moraliste change soudain de sujet et se livre à l’une de ces digressions qui irritent tant certains de ses lecteurs. Le chapitre I du Livre troisième s’intitule L’ANNÉE 1817 et permet à la virtuosité de peintre social de Victor Hugo de se déployer. Que l’on en juge :

« 1817 est l’année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait de la vingt-deuxième de son règne. C’est l’année où M. Bruguière de Sorsum était célèbre. Toutes les boutiques des perruquiers, espérant la poudre et le retour de l’oiseau royal, étaient badigeonnées d’azur et fleurdelysées. C’était le temps candide où le comte Lynch siégeait tous les dimanches comme marguillier au banc d’œuvre de Saint-Germain-des-Prés en habit de pair de France, avec son cordon rouge et son long nez, et cette majesté de profil particulière à un homme qui a fait une action d’éclat (…). L’armée française était vêtue de blanc, à l’autrichienne ; les régiments s’appelaient légions ; au lieu de chiffres ils portaient les noms des départements, Napoléon était à Sainte-Hélène, et, comme l’Angleterre lui refusait du drap vert, il faisait retourner ses vieux habits. En 1817, Pellegrini chantait, mademoiselle Bigottini dansait ; Potier régnait ; Odry n’existait pas encore, etc. ». 

Naturellement ces noms ne nous disent rien mais le décor est planté, et avec quelle maestria !

06/02/2017

Irritations linguistiques XLII : Jeux olympiques, Tournoi des six nations de rugby et Championnat de France de football

Les hasards du calendrier ont fait que, ces jours-ci, trois grandes compétitions sportives ont réussi à m’irriter ensemble, pour la même raison : une attirance irraisonnée, veule et autosatisfaite pour l’anglais.

Le résultat ? du franglais toujours et encore.

Premiers de la classe : le Comité de candidature de Paris aux JO de 2024, qui vient de choisir l’accroche de cette candidature. Après avoir rappelé que le mouvement olympique international, fondé par le Français Pierre de Coubertin, a deux langues officielles : le français et l’anglais, ce comité a officialisé la phrase qui est censée rallier la majorité des suffrages et attirer le moment venu les touristes du monde entier :

« Made for Sharing »

Comble de la honte, le co-président de Paris-2024, Tony Estanguet, indique que ce slogan en anglais a été choisi afin de « donner un caractère universel au projet français ». Ainsi donc ce que font ou proposent les Français n’aurait un caractère universel que si c’est exprimé en anglais ? Voltaire, Hugo, Anatole France, Paul Valéry et tant d’autres doivent se retourner dans leur tombe… 

Le journal La Croix qui rapporte cette brillante initiative dans son article du 3 février parle de la candidature de Paris « aux jeux Olympiques 2024 », avec une majuscule à « olympique », comme font les anglophones… On est cerné ! Il y a deux ans, un article des Échos sur le même sujet écrivait que l’expo universelle de 2025 à Paris était bien « JO compatible »… 

Les pauvres, ils ne savent pas ce qu’ils font… 

Pas la moindre nouveauté, pas le moindre gadget, pas la moindre mode aujourd’hui qui ne reçoive pompeusement un nom de baptême « à l’anglaise ». Ainsi, au moment où commence le Tournoi des six nations de rugby nous bassine-t-on avec le « crunch ». 

J’ai parlé de veulerie en introduction de ce billet, j’avais déjà parlé de soumission antérieurement. Oui, c’est bien ce qui caractérise la Commission européenne, qui s’est cru obligée de déclarer que, malgré le Brexit, l’anglais resterait bien l’une des langues officielles de l’Union… Comprenez : LA langue officielle de l’Union européenne (dans laquelle il n’y a plus que l’Irlande pour l’avoir comme langue maternelle).

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Je reviens au sport : rappelez-vous Dominique Rocheteau ; on l’appelait « l’ange vert » dans les années 70-80. Eh bien maintenant pour évoquer une rencontre régionale entre Saint Étienne et Lyon, les journalistes parlent de « green angels » (ou plutôt de « Green Angels » pour écrire comme les tabloïds) !

Besoin d’un peu de réconfort ? Écoutez donc ce que dit Fabrice Lucchini de la littérature et de notre langue dans son entretien avec le Figaro (vidéo visible dans le site lefigaro.fr) ! 

Ou alors, en écho à l’exigence d’universalisme globish de Thierry Estanguet (qui après tout n’est qu’un champion olympique d’aviron, pas un agrégé de lettres modernes…), lisez l’éditorial de Jacques Julliard dans le Marianne du 6 janvier 2017 : « (…) (Le peuple) ne veut pas non plus d’une école qui a cessé de faire de la littérature française un patrimoine sacré, constitutif de son identité, et de la langue française notre bien commun, notre trésor à tous, la base du contrat national, celui d’une France ouverte à tous ses enfants, de toute histoire, de toute couleur, de toute origine. (…) (Ce que) nous avons appris chez Michelet et chez Péguy, chez Victor Hugo et chez Jaurès : que la France est le nom que nous voulons continuer de donner à notre universalisme ». 

Et ce qui est drôle – et même épatant – c’est que la phrase ci-dessus sur l’école est justement celle, à peu de choses près, qu’écrivait Péguy en 1910 et que lit Lucchini dans l’entretien que je citais plus haut. D’une part les grands esprits se rencontrent mais d’autre part le mal est profond (et ancien). 

PS. Suite à l’annonce du slogan des JO en anglais, les internautes se sont déchaînés, du moins sur le site de RTL que j’ai consulté.

Extraits : 

« L'article 24 stipule que les langues officielles du Comité International Olympique sont le français et l'anglais (énoncées dans cet ordre). Qui plus est, en cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi. Une personnalité du monde francophone est chargée d'observer la place du français ». 

« Scandale ! Slogan anglais, discours anglais, décompte anglais... Les organisateurs ont-ils si honte d'être français. Un bon signe pour ceux qui veulent changer le français en anglais comme langue officielle des JO !

Pauvre France déjà envahie par cette langue: My TF1, burn-out, open space, etc. » 

« Nos élites sont toujours prêtes à s'aplatir devant la langue anglaise qui, il est vrai, domine le monde. Mais c'est dans l'authenticité et le respect de soi-même que l'on doit s'affirmer. Donc un slogan en français, facile à comprendre, ne nous aurait pas défavorisés ! Hélas, trop de gens n'attachent pas d'importance à ça ! Dommage ». 

Des Français comme ça, moi, je les aime !