16/03/2017
Parler français sur les chantiers III
Quand les médias veulent nous distraire des délicatesses des différents candidats à l’élection présidentielle (française) avec la loi, les règlements, la déontologie et tout bonnement la morale, ils nous trouvent un bon sujet qui fait parler ; la langue française et sa pratique sur le territoire national (métropolitain en l’occurrence) semble en être un car une majorité de Français, grâce à Richelieu, sont sensibles, voire hypersensibles, vis-à-vis de tout ce qui s’y rapporte. En général, il s’agit des incorrections lexicales ou grammaticales entendues ici ou là, souvent du franglais des élites, fréquemment du niveau des élèves de nos écoles, réputé en chute libre, parfois mais plus rarement de la francophonie…
En ce moment (mars 2017), il s’agit d’une clause – malicieusement baptisée « clause Molière » par son inventeur, Vincent You (ça ne s’invente pas, au pays de Molière justement), adjoint au Maire d’Angoulême – qui est intégrée aux appels d’offres de marché public de collectivités de plus en plus nombreuses et qui exige que les ouvriers travaillant sur les chantiers issus de ces marchés parlent français.
Les raisons invoquées sont officiellement d’assurer la sécurité desdits chantiers (il faut en effet que tout travailleur connaisse et comprenne les consignes) et, plus ou moins officieusement, de réserver les chantiers aux entreprises locales (ou nationales) et, en tous cas, sans les fameux « travailleurs détachés » dont certains grands groupes usent et abusent.
L’argument lié à la sécurité me semble d’autant plus convaincant que j’ai le souvenir de volumineux « plan de prévoyance » et de visites préalables à la prise de fonction que certaines entreprises sont tenues de faire pour le moindre consultant venant travailler dans leurs bureaux, sans tracto-pelles, sans grues, sans marteaux-piqueurs...
Mais comme toujours en France et quel que soit le sujet, les contradicteurs n’ont pas tardé à se manifester et la polémique à enfler (je crois bien que cette construction de phrase aurait été bannie par Monseigneur Grente et que son déséquilibre disgracieux a même un nom savant en stylistique, que j’ai oublié). Et là, je trouve les arguments spécieux : certains détournent le sens de la clause et laissent croire qu’il s’agirait d’interdire aux travailleurs de diverses origines de parler leur langue ! Non, on leur demande de comprendre et de parler un minimum le français. D’autres insinuent qu’il serait impossible d’évaluer si quelqu’un a oui ou non cette faculté ! (Ces gens-là ne connaissent pas l’échelle européenne de cotation des pratiques linguistiques…). Le Grand Homme des patrons veut comme d’habitude le beurre et l’argent du beurre : pas mécontent de se voir réserver les chantiers en France, il alerte dans le même temps sur le danger que cette mesure ne puisse s’apparenter à « un repli sur soi » et déboucher sur « une préférence nationale » nous mettant au ban de la sacro-sainte Union européenne ; en un mot, ils craignent pour leurs marchés à l’étranger (ils disent : « à l’international »).
Je préfère cet avis plus fondé et moins intéressé du préfet, ancien collaborateur de Jean-Pierre Chevènement, qui soulignait l’importance d’avoir un travail (en France) pour apprendre le français.
Mais le mieux n’est-il pas de revenir à la source, c’est-à-dire au propos du pionnier de la clause Molière à Angoulême ? D’abord il donne la possibilité, en cas de méconnaissance du français, d’avoir recours à un interprète (aux frais du sous-traitant… mais n’est-il pas normal que ça lui coûte à lui, pour compenser un peu la concurrence faussée qu’il pratique souvent ?). Ensuite, dans une lettre récente au candidat François Fillon, il présente une démonstration savoureuse : « L’argument de réciprocité est malvenu car il laisse penser que les 200000 travailleurs français détachés à l’étranger sont soumis aux risques des chantiers où se croisent de nombreux corps d’état. En réalité, d’une certaine manière, les Français de Londres appliquent déjà la clause Shakespeare… mais peu travaillent sur des chantiers ! (…). Si des Français sont aujourd’hui détachés ailleurs, c’est davantage pour profiter de leurs compétences de cadres ou d’experts que pour minimiser les coûts sociaux d’ouvriers (…). Nous devons cesser de dire que la seule solution est aujourd’hui de perdre nos emplois d’ouvriers pour maintenir les emplois de nos cadres que les entreprises européennes s’arrachent. C’est un jeu de dupes ».
Tout cela est bel et bon, même si c’est apparemment loin de l’objet initial de ce blogue…
Mais au bout du bout, quel est ce monde où l’on ne peut pas exiger de personnes travaillant dans un pays donné (le nôtre en l’occurrence, aux autres de voir ce qu’ils souhaitent) qu’ils en comprennent et en parlent (un minimum) la langue ? Et qu’il soit interdit en pratique de se défendre ? Et même que certains refusent explicitement d’essayer ?
C’est le monde de la mondialisation heureuse !
Prochaine étape : le CETA et le TAFTA, qui permettront aux multinationales de traîner des États devant des instances d’arbitrage (je n’ose pas employer le terme de tribunaux)…
Pour les aspects plus théoriques, voir les travaux de l’École de Chicago et le livre de Naomi Klein.
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
13/03/2017
"Lac-aux-Dames" (Vicki Baum) : critique
J’avais récupéré ce livre je ne sais où ; il traînait depuis longtemps sur une étagère de « livres divers » et de livres réputés, à tort ou à raison, « pour enfants » (Henri Troyat, Hector Malot et d’autres). Engagé depuis peu dans une douloureuse opération de vente ou de cession de livres lus ou sans intérêt pour moi, j’hésitais à m’en séparer sans l’avoir lu ni même savoir qui l’avait écrit.
Sur internet, très peu de choses sur Vicki Baum… C’était une Autrichienne des années 20-30, émigrée aux États-Unis et écrivain de son état (« Grand hôtel », « Sang et volupté à Bali »…). Sur « Lac-aux-Dames », publié en 1927 sous le titre allemand « Hell in Frauensee », peu de choses également, même dans les sites littéraires. La brièveté et la sévérité des notices et des commentaires (« Livre décalé et sans grand intérêt », « À part cela, l'eau du lac est froide, le temps capricieux et le livre ... ennuyeux (…). On ne perd rien en ne lisant pas ce livre (…). Disette intellectuelle pour le lecteur ») disent assez l’opinion communément répandue : écrivain de second rang, roman daté et pour midinettes. Un lecteur déclare qu’il n’a pas pu dépasser la trentième page, un autre que l’indigence de la traduction l’a dégoûté de persévérer…
Diantre… j’étais quand même attiré par mon vieil exemplaire du n°167 du Livre de poche à la couverture naïve représentant un plongeoir sur une mer vert-bleu, avec dessus un athlète blond en maillot de bain blanc minimaliste tenant au bout d’une sorte de canne à pêche une jeune fille à bonnet blanc dans l’eau, tandis que tout autour, comme un essaim, quantité de jeunes femmes à bonnet, nageaient, plongeaient, barbotaient et que l’une d’elle, à moitié cachée sous un parasol de plage mais callipyge, laissait voir son postérieur, ses jambes de mannequin et ses mollets pris dans les lacets noirs et haut noués de ses ballerines…
Le roman était sous-titré « Roman gai d’amour et de disette » et sa traductrice (de l’allemand) Hélène Chaudoir ; à part cela, aucune mention ni de la date de publication ni de l’auteur du dessin de la couverture ; ni préface ni postface ni notice biographique ; comme disaient les Tontons, c’est du brut…
Et j’ai lu le roman d’une traite, je me suis pris au jeu de cette histoire qui finit bien, d’un jeune ingénieur qui, en attendant une lettre providentielle qui devrait le faire riche, se fait maître-nageur le temps d’un été dans une station balnéaire de montagne et devient, malgré lui, la coqueluche de tout ce que la clientèle de vacances compte d’éléments féminins ; c’est le roman d’un été, le roman d’une découverte de la séduction et de l’amour, le roman d’un choix difficile, des hésitations du cœur et du corps, et l’on s’y abandonne avec plaisir, sans croire un seul instant que l’on tient un chef d’œuvre.
Le roman est construit comme un triptyque, comme une dissertation « thèse, antithèse, synthèse », à savoir « découverte-repérages, dépression, rédemption », matérialisée par les changements météorologiques : la chaleur de l’été, qui aiguise les élans et permet les leçons de natation, la pluie et les brouillards qui accompagnent une sorte de descente aux enfers, avec la confusion des sentiments, les trahisons et la perte de tout espoir, et enfin une sorte de printemps qui renaît après les heures sombres et permet toutes les espérances de bonheur.
La traduction est effectivement calamiteuse (je préfère dire cela que d’incriminer l’auteur, que je n’ai pas lue dans sa langue maternelle). Le texte regorge, surtout dans sa première moitié, de formules hasardeuses ou saugrenues, de qualificatifs impropres : « à travers les fenêtres ruisselantes du compartiment » (deuxième phrase du roman, page 5), « les pousses encore gouttantes de la vigne vierge », « l’eau qui lui mordit les doigts d’un froid subtil », « Hell avait des dents de nègre » (on excuse cette formule, écrite à la fin des années 20…), « Le coup d’œil (…) était agréable et cependant un peu désillusionnant », etc.
Et malgré tout, on s’intéresse à cette histoire simple racontée sans fioritures, qui a le mérite de rendre très bien le charme suranné des lieux de vacances d’autrefois, les intermittences du cœur et les difficultés de la vie quand on ne mange pas tous les jours à sa faim.
Le lac est un élément central du roman ; il manque d’engloutir notre champion de natation dès son arrivée, il rythme par sa température et ses caprices ses possibilités de travailler et donc de gagner de quoi manger, il est le vecteur de ses échappées vers le « pays des tulipes » où règnent sa fidèle amie et sa mère neurasthénique, il menace, il enchante, il est l’objet quotidien des préoccupations des vacanciers. Bizarrement, bien avant Hell, le lieu s’appelle « Lac-aux-Dames » (et non pas le lac aux dames…), cadre idéal pour écrire l’histoire d’un harcèlement, non pas d’une beauté féminine par des mâles déchaînés, mais d’un jeune homme blond bien balancé et musclé par des donzelles de tous âges enamourées.
Mais en définitive, qu’est-ce qui m’a attiré dans ce roman bien tourné mais au style quelconque ? L’ambiance ! Et plus précisément celle de « la Montagne magique » (de Thomas Mann) : la vénération germanique pour la nature, les vacances saines et sportives, la vie confortable dans les hôtels de luxe d’avant-guerre, les jours qui passent toujours pareils, l’attente (d’un rendez-vous, du retour du soleil, d’une lettre…), une sorte de fatalisme...
Oui, j’ai apprécié « Lac-aux-Dames » et je peux le recommander à ceux qui veulent passer un bon moment – meilleur qu’avec Musso ou Lévy en tous cas. Quant à le conserver dans sa bibliothèque… non.
PS. En allemand "hell" signifie "clair et "Heller" veut dire "denier" (bien trouvé pour quelqu'un qui n'a pas le sou).
10:33 Publié dans Baum Vicki, Écrivains, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
11/03/2017
Fréquentation outre-Atlantique : merci aux francophones des États-Unis !
Récemment, je me lamentais de la baisse de fréquentation du blogue (en février 2017)…
Dès le lundi 6 mars, les lecteurs étaient revenus, au niveau le plus haut de l’histoire du blogue (35).
Regardez cette magnifique carte du monde !
Elle représente la fréquentation du blogue ce jour-là…
À part la France, qui occupe le devant de la scène ? Les francophones des États-Unis, quasiment 37 % du total !
Loin, très loin derrière, pour quelques lecteurs, on retrouve le Canada (mais où sont donc mes amis québécois ?), l’Algérie (M., est-ce toi ?), le Maroc, la Tunisie (c’est bien le moins), la Suède, la Belgique, la Suisse (évidemment), l’Italie, l’Espagne et, de façon surprenante mais très sympathique, l’Inde et la Colombie.
Alors, merci à tous mais surtout aux francophones des States qui se souviennent de Lafayette !
07:30 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)