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25/09/2017

"Ça ne peut plus durer" (Joseph Connolly) : critique I

Désopilant, voilà le mot !

Le genre de bouquin avec lequel, si vous le lisez sur la plage ou dans le métro, vous ne pouvez pas vous empêcher d’éclater de rire toutes les trois pages… 

Rire Clinton et Eltsine.jpg

Extrait : « On a enterré mon frère la semaine dernière, déclarait-elle. Une cérémonie très simple, au dire de tous » et un ou deux alinéas plus loin, la belle Gladys ajoute : «  Et trois jours après… il est mort. Mon pauvre frère ». Et c’est parti ! Dès la page 10, Joseph Connolly est lâché et son humour (non-sense, understatement…) est ravageur !

Alors, on le connaît l’Anglais déjanté, ancien libraire, avec ses histoires un peu lestes de secrétaires sous les bureaux et de tromperies tous azimuts, son imagination foisonnante pour mettre en scène des situations cocasses et hystériques, et ses dialogues à la mitraillette ! C’est pour cela qu’on adore les Anglais ; pour cela et pour le Brexit.

Pour moi le coup de foudre date de « Vacances anglaises » (1998, Éditions de l’Olivier pour la traduction en français) et de sa suite « N’oublie pas mes petits souliers » (1999). Mes deux livres ont souffert d’une inondation mais je les garde précieusement car ils sont un concentré de délire contemporain et un remède à la morosité. Je ne sais plus si j’en ai déjà rendu compte dans ce blogue, probablement pas, mais je n’ai pas le courage de vérifier. 

J’avais acheté « Ça ne peut plus durer » (2000) dans la foulée mais, constatant qu’il ne s’agissait pas de la suite des aventures de « Vacances anglaises », je l’avais mis de côté ; quelle erreur ! 

Jugez plutôt !

Rire De Funès et Bourvil.jpg

D’abord un aperçu du style d’écriture de Connolly, avec les passages incessants – mais sans crier gare ! – de la troisième personne à la première, et de la principale à de longues digressions entre parenthèses, censées refléter les réflexions intimes des protagonistes : « Ce dont je me souviens surtout (et pour toujours peut-être ? Qui sait ? Le doute est en moi : qu’est-ce qui peut durer toujours, en fait ? Existe-t-il encore une seule chose qui puisse durer ?), mon seul souvenir de cette soirée, c’est Susie, et uniquement Susie, et la toute première fois où je lui ai menti en la regardant bien en face » (page 127).

Ensuite les métaphores, alambiquées, surréalistes parfois : « Il s’enveloppait de rancune – et voilà qu’il ajoutait une nouvelle couche de mépris de soi, toute fraîche, tandis qu’il secouait la tête, les yeux hagards de chagrin, laissant une torsade des cheveux lisses et soyeux de Susie s’échapper avec fluidité de ses pauvres doigts inutiles – et les observant qui retombaient, comme fait toute chose, et venaient couvrir, elle le comprit soudain, ce sein qu’il ne saurait voir » (page 159). 

« (À propos d’un collègue chauffeur de taxi) : simplement c’est une de ces espèces de caricatures dont on se moque (tiens, d’ailleurs, il pourrait très bien s’appeler Bobby) ; toujours à bavasser et à vouloir refaire le monde, en mieux, évidemment. Je vous jure : collez-le à Downing Street et il donnerait des leçons au gouvernement » (page 188).

« Tony éprouvait des sentiments vifs quoique flous, penché en avant qu’il était – car il pensait à l’avenir – sur la table, dans sa chambre universellement honnie… » (page 189). 

Tony prépare un cambriolage et se met en tenue : « leurs pupilles irradiant des vagues de violence à peine contenue, mais également agrandies, figées dans la béance de leur propre anxiété » et « ce faisant, il se détourna pour éviter non seulement l’haleine immonde de l’absurdité, mais aussi le souffle brûlant de l’angoisse et d’un doute effroyable » (page 190). Et tout le récit du cambriolage est de la même veine, un régal. 

George pense à sa femme Shirley qui aimait un peu trop le gin tonic et qui maintenant l’a quitté. Il conclut : « Voilà une chose dont je n’aurai plus à m’inquiéter, en tout cas, oui – voilà une pomme de discorde que je peux sans souci ranger au cellier » (page 277). C’est du Boris Vian ! 

En fait, dès que Gladys s’est ruée sur Jeremy et s’est fait appeler Marsha, puis Maria (ça ne vous fait pas penser à une chanson des Beatles ?), on est embarqué dans l’histoire, et pas seulement au premier degré des blagues hilarantes.

21/09/2017

Irritations linguistiques LIV : voilà... je vous laisse !

L’été qui se termine ne nous a pas épargné les irritants linguistiques ! 

Ainsi Isabelle Barth, professeur des universités et chercheur en management a-t-elle publié dans LinkedIn, le 21 août 2017, un article « très mode » intitulé « Sortir de sa zone de confort reloaded ». En voici l’accroche : « Il y a des phrases magiques en management qui semblent organiser un consensus et une adhésion immédiate autour d’elles : Sortir de sa zone de confort en est une. Ces formules sont en général précédées de : Il faut !... Il faut savoir sortir de sa zone de confort ! ». Je vous fais grâce de la suite. Ce qui est drôle c’est que reloaded ne figure que dans le titre et n’apparaît plus dans le corps de l’article ! Donc c’est purement accrocheur, pour faire moderne ! 

Il y a des constantes, des tics de langage à longue durée de vie. J’en ai trois en tête. Il y a d’abord le fameux « voilà », en perte de vitesse cependant, qui est proféré d’un air décidé, quand le locuteur ne sait plus quoi ajouter, tout en laissant entendre qu’il s’est suffisamment fait comprendre et que donc ses auditeurs peuvent parfaitement boucher les trous eux-mêmes.

Et il y a l’horrible « Merci d’avoir été notre invité ! » des journalistes de radio et de télévision. La formule en soi est aberrante : l’invité en question l’a été par le journaliste et il pourrait à la limite le remercier de l’avoir été. Le journaliste de son côté pourrait remercier son invité d’avoir accepté l’invitation. Mais le remercier du fait qu’on l’a invité, cela n’a pas de sens ! 

Et il y a l’horripilant « Je vous laisse… » : « Je vous laisse vous asseoir », « Je vous laisse enlever votre veste », « Je vous laisse sortir votre Carte bancaire », etc. (propos que l’on entend aussi bien chez le médecin, le podologue, le dentiste qu’au guichet de la banque – sauf peut-être pour la veste). 

Il paraît que l’un des dadas de « La république en marche » et de l’actuel Président de la République est d’appliquer les méthodes de l’Entreprise pour gérer les hommes et les choses, ce que l’on appelle le management, et partant d’utiliser le vocabulaire lié à ces pratiques, à savoir le franglais (qu'ils croient sans doute être de l’anglais). D’où le teambuilding, le coworking et autres horreurs. Marc Endeweld le souligne dans son article de Marianne le 25 août 2017 : « C’était l’une de ses promesses de campagne : la constitution d’une task force – une force opérationnelle en français – contre le terrorisme (…). La communauté du renseignement se demandait encore à quoi pouvait bien correspondre cet anglicisme dont raffolent les équipes Macron ». 

Je constate aussi que des mots inutiles comme « le store » se répandent à grande vitesse. 

Et j’en suis à me demander comment et pourquoi un terme comme « liseuse » a pu se diffuser aussi rapidement… 

La situation ne s’améliore pas non plus côté typographie ; dans ma commune, des panneaux « Axe Partagé » ont fleuri, avec un p majuscule (pourquoi donc ?), pour indiquer aux cyclistes qu’ils ont le droit de se faire klaxonner et bousculer par les voitures dans les rues concernées. Dans la gazette municipale, on lit : « Virginie D., maire-adjoint en charge de la Vie scolaire, etc. »… (pourquoi pas « chargée de… » ?). Remercions le Ciel d’avoir échappé à « maire-adjointe » ; ça viendra, malheureusement (voir mon billet sur l’orthographe féministe). Bien sûr, tout ce qui doit faire un peu « moderne » dans cette cité est affublé d’un nom en anglais : « OPÉRATION JOB DATING », « KEEP COOL, LE SPORT BONHEUR », « ACROBAT’CLUB », « SO SWING », « SELF DÉFENSE » ( !). Mais le même organe de l’édile utilise par ailleurs à la perfection les majuscules accentuées et les Ç ; donc tout n’est pas perdu.

18/09/2017

"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique IV

Encore quelques mots sur « La fortune des Rougon » avant de conclure (y passer plus de temps serait une injure à tous les auteurs dont j’ai lu les œuvres magnifiques, ne serait-ce que cet été !). 

Tiens, un exemple du romantisme du roman « C’étaient les morts qui leur soufflaient leurs passions disparues au visage, les morts qui leur contaient leur nuit de noces, les morts qui se retournaient dans la terre, pris du furieux désir d’aimer, de recommencer l’amour. Ces ossements, ils le sentaient bien, étaient pleins de tendresse pour eux ; les crânes brisés se réchauffaient aux flammes de leur jeunesse, les moindres débris les entouraient d’un murmure ravi, d’une sollicitude inquiète, d’une jalousie frémissante. Et quand ils s’éloignaient, l’ancien cimetière pleurait » (page 80). Et un peu plus loin : « Cette odeur âcre et pénétrante qu’exhalaient les tiges brisées, c’était la senteur fécondante, le suc puissant de la vie, qu’élaborent lentement les cercueils et qui grisent de désirs les amants égarés dans la solitude des sentiers ». et d’évoquer « des tombes mal fermées brûlant de servir de couche aux amours de ces deux enfants »… Charmant, non ? Réminiscences de Baudelaire et de sa charogne ?

On nous dira que c’est l’une des caractéristiques de Zola que de donner vie aux choses inanimées… peut-être, mais est-ce pour autant agréable à lire ? 

Les expressions maladroites – volontaires ou non, on ne sait – sont monnaie courante : « en effet, la joie faisait un tel vacarme dans sa tête que, par moments, elle devenait sourde, l’esprit perdu en pleine jouissance », « et, montrant ses dents branlantes de vieille, elle ajouta avec un rire de gamine » (page 122 du volume II) et, page suivante, « elle ne jeta plus sur les fenêtres d’en face que des coups d’œil sournois, pleins d’une horreur voluptueuse » (en fait d’oxymore, on a fait bien mieux !). 

Le mépris pour les notables de province, simulé ou non, est palpable ; il est même grossièrement exprimé, Zola ne craignant de faire dire à son narrateur : « À Plassans, le maire avait sous la main d’incroyables buses, de purs instruments d’une complaisance passive » et « crise étonnante, qui mettait le pouvoir entre les mains d’un homme taré » (page 139). 

En voilà assez… 

Peut-être que le tome suivant, « La curée », me fera changer d’avis ?

 

V.3 du 21 septembre 2017