04/09/2017
"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique I
Les amateurs du Club des Cinq, voire d’Arsène Lupin, ne sont guère dépaysés… Mais ceux qui ont été époustouflés par « la Comédie humaine » d’Honoré de Balzac ou enchantés par « Les Misérables » de Victor Hugo ou même ceux qui ont été pris par « Les Boussardel » de Philippe Hériat (roman en quatre tomes de la fin des années cinquante) sont confondus par l’entame de cette saga qui prétendait brosser un tableau de la France des années cinquante (du XIXème siècle)…
Je veux parler de « La fortune des Rougon », d’Émile Zola, premier tome d’une « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire » intitulée « Les Rougon-Macquart ».
J’ai dans ma bibliothèque, depuis assez longtemps, sous une forme éditoriale disparate, une partie de cette « Histoire », dont le fameux « Au bonheur des dames » qui date de mon année de Terminale et qui est l’un des rares que j’aie lus (ajoutons-y, je crois, Germinal et c’est à peu près tout). Je m’étais dit qu’un jour ou l’autre je commencerais par le début et j’irais jusqu’au bout. Et nous y étions au début de l’été ; j’ai donc lu « La fortune des Rougon ».
Ce premier roman – que j’ai lu en deux volumes dans une belle collection des Éditions de Crémille (Genève, 1991) – est censé nous expliquer l’ascension à partir de rien d’un couple médiocre mais ambitieux du Sud de la France au moment du Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte (à vrai dire, à la faveur de la confusion qui a suivi ce Coup d’État). Toutes proportions gardées, l’opportunisme de Rougon et de son épouse ressemble à celle du Poissonnard de Jean Dutourd dans « Au bon beurre » : se faire passer le moment venu pour un héros, un homme providentiel.
Autant le dire tout de suite, c’est consternant ; du moins le début, l’historiette entre deux jeunes gens, Silvère et Miette, dont on ne sait si ce sont des enfants précoces ou des adolescents. Extrait : « Au bout d’un instant, Miette frissonna. Elle ne s’appuyait plus contre l’épaule de Silvère, elle sentait son corps se glacer. La veille, elle n’eût pas frissonné de la sorte, au fond de cette allée déserte, sur cette pierre tombale, où, depuis plusieurs saisons, ils vivaient si heureusement leurs tendresses, dans la paix des vieux morts » (page 47). Et c’est ainsi pendant les 75 pages du chapitre I.
Zola peint ses personnages de curieuse façon, dont il ressort surtout son mépris pour les bourgeois de province. Ses métaphores sont souvent maladroites et déconcertantes. En voici un exemple : « Sa bouche en bec de lièvre (NDLR : celle de M. Isidore Granoux, ancien marchand d’amandes), fendue à cinq ou six centimètres du nez, ses yeux ronds, son air à la fois satisfait et ahuri, le faisaient ressembler à une oie grasse qui digère dans la salutaire crainte du cuisinier… » et plus loin, il écrit : « Tous les habitués du salon jaune, à la vérité, n’avaient pas l’épaisseur de cette oie grasse » ; on comprend, grâce à la répétition de cette bizarre métaphore, que certains au moins ont des traits fins ou une figure émaciée ; mais non : « Un riche propriétaire, M. Roudier, au visage grassouillet et insinuant, y discourait des heures entières, etc. » (page 136). Soit dit en passant, il y a page 137 une coquille amusante dans le portrait du libraire « aux mains humides, aux regards louches, le sieur Vuillet » : « Cet homme illettré dont l’ortographe était douteuse, rédigeait lui-même les articles de la Gazette avec une humilité et un fiel qui lui tenaient lieu de talent » !
On distingue trois thèmes et trois scènes dans « La fortune des Rougon » : l’aventure sentimentale naïve des deux jeunes gens, la description de la vie des notables à Plassans au fin fond de la Provence (dans laquelle Zola cache mal son mépris pour les invités du Salon jaune) et la « prise de pouvoir » par Rougon à travers quelques péripéties du combat local entre républicains et conservateurs ; en résumé, on a droit à du mauvais Jules Verne, du mauvais Balzac et du mauvais Hugo.
09:58 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Roman, Zola Émile | Lien permanent | Commentaires (0)
03/09/2017
Qui a dit ça ? qui c'est celui-là ? (III)
À quoi et à qui vous fait penser cette analyse ?
« En fait les décisions arrêtées furent promptement exécutées ; au cours des mois suivants le secrétariat général fut institué, les membres de la Commission, choisis parmi l’élite de leurs Administrations et de leurs professions respectives, furent désignés et se réunirent ; les sous-commissions (...) commencèrent leurs travaux (...) ; on put croire un instant que l’on atteindrait le but que l’on s’était proposé. C’était oublier que l’économie ne peut rien si la politique ne vient l’éclairer et la féconder. Et la politique, au contraire, devait renverser bientôt la fragile construction échafaudée (...) ! ».
18:31 Publié dans Actualité et langue française, Blog, Histoire et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
31/08/2017
Irritations linguistiques LIII : Pâques
Chers lecteurs, cela faisait longtemps que je ne vous avais pas fait part de mes « Irritations linguistiques » (déjà une trentaine ont été publiés), rubrique fondatrice de ce blogue avec celle consacrée aux règles oubliées de notre belle langue…
Voici donc une nouvelle série d’irritations.
À tout seigneur tout honneur : France Inter, abandonné par son animateur vedette Patrick Cohen (la fameuse matinale, le 7-9), nous informait le 28 août 2017 que 501 nouveaux livres seraient publiés à la rentrée (nombre qui donne le tournis et nous fait verser une larme de crocodile sur le sort de ces innombrables auteurs qui ne seront pas lus et dont l’opus terminera au pilon – et ce, sans compter les autres innombrables qui ont essuyé un refus et qui ne seront pas publiés et donc pas lus non plus évidemment). On pouvait penser que le chroniqueur de service n’avait que l’embarras du choix pour en distinguer un et le faire sortir du lot… Eh bien non ! Il n’a rien trouvé de mieux que de consacrer son temps de parole à faire le panégyrique d’un roman américain sur l’esclavage ! Désamour de soi, quand tu nous tiens…
Parmi les innombrables tics de langage et aberrations du français moderne censé être « branché », il y a « Mais pas que ». Oh que c’est horripilant ! Votre interlocuteur (mais c’est souvent un journaliste) vous cite quelques qualités ou défauts, quelques avantages ou inconvénients… et pour exprimer qu’il y en a d’autres, que la liste est longue, qu’il pourrait multiplier les exemples, il brise là en concluant « Mais pas que » (sous-entendu : mais il n’y a pas que cela). Imaginons les Tontons flingueurs en train de déguster leur tord-boyaux ; Jean Lefèvre « y-trouve un goût de pomme » et Bernard Blier aurait répondu « y-en a mais pas que » ? Bien sûr que non ! Michel Audiard parlait bien mieux que cela ! Il lui a fait dire : « Y-a pas qu’ça mais y-en a ».
Il y a déjà quelque temps, SG m’a fait suivre un article du blogue des correcteurs du journal « Le Monde » (daté du 13 octobre 2015) consacré aux pléonasmes les plus en vogue dans la presse, qu’ils attribuent à raison à « l’usure des mots mais aussi à la méconnaissance de leur sens ». J’ajouterai le manque criant de bon sens et le snobisme.
Le premier pléonasme m’a amusé car il m’en a rappelé un autre fort en vogue dans le milieu scientifique et technique (et même dans le bâtiment) : le « taux d’alcoolémie » est une expression aberrante puisque l’alcoolémie elle-même est déjà un taux (d’alcool dans le sang), tout comme « évaluer la volumétrie d’une pièce » puisque la volumétrie est la mesure (le mesurage disent les spécialistes) du volume.
« Le Monde » pointe aussi le « tri sélectif », le « principal protagoniste », le « tollé général », le « etc. suivi de trois points » et l’expression « opposer son veto ». Mais, bon prince, il épargne les pléonasmes consacrés par l’usage ou par la littérature : « au fur et à mesure », « le gîte et le couvert », le « pauvre hère » et le « frêle esquif »…
Le record semble détenu par le détestable « au jour d’aujourd’hui » qui serait une façon de dire trois fois la même chose.
14:45 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)