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10/01/2019

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VII

Racontons l’histoire de M.

Une histoire de passion, tout aussi illégitime. Elle concerne, non plus Anatole France et Léontine Arman (voir mes billets précédents), mais Gaston Arman et Jeanne Pouquet, fils et bru de Léontine. Points communs entre les deux histoires, elles se passent la même année et c’est encore une actrice qui en est le motif et le centre.

« C’est en décembre 1909 que Jeanne est alertée par une lettre anonyme sur l’existence d’une liaison entre Gaston et une très jolie et jeune actrice peu connue, Monna Delza » (page 358).

Monna Delza – appelons-la M. – a dix-huit ans de moins que Gaston. Elle est célèbre pour son élégance raffinée.

« La liaison dure. Gaston, de plus en plus attaché à la comédienne, prend l’habitude de voyager avec elle, d’aller la chercher tous les soirs pour souper, de ne rien lui refuser (et elle est exigeante), il n’est pas heureux pour autant car il sait qu’il n’est pas aimé (…). Et Verneuil s’étonnait de voir que, si Caillavet, auteur chevronné et illustre, témoignait de son empressement auprès d’elle, l’actrice, qui entrait dans la carrière, prenait un ton condescendant avec lui (…) (M.) admit qu’elle l’aimait de tout son cœur et l’admirait mais… il y avait entre eux une trop grande différence d’âge (…) M. expliqua que son amant et elle n’avaient pas vécu les mêmes choses au même moment, que Caillavet évoquait devant elle, avec passion, l’affaire Dreyfus et qu’elle avait sept ans quand l’Affaire avait commencé (…) De plus, Gaston n’avait que six ans de moins que son père. Il n’aime plus danser alors qu’elle n’aime que cela, elle adore rentrer tard le soir et il y consent mais il est épuisé le lendemain et elle a des remords : « Je suis une actrice qui arrive. Il est un auteur arrivé », dit-elle en guise de conclusion ».

« Elle n’est pas satisfaite mais Gaston l’est encore moins car il est traité avec pitié et agacement par un être qui ne possède aucune de ses qualités ».

« Il lui disait (à Mme Clara Tambour, propriétaire d’une maison à Croissy) combien il souffrait parce que M. lui demandait de l’argent et ne l’aimait pas. Elle était toute jeune. Il était conscient d’être vieux pour elle, qui préférait les gigolos mais qui raffolait des jolies robes » (page 360).

Et Michelle Maurois de conclure : « Il était dit que Mmes de Caillavet, Léontine, Jeanne et, plus tard, Simone, rencontreraient toutes trois, dans leur vie, des actrices qui contrarieraient leur destin. Toutes trois cependant, par des méthodes différentes, triomphèrent de leurs rivales. La première seule en mourut de chagrin » (page 385).

À vrai dire, l’histoire de Gaston avec M. n’est pas tout à fait terminée. « Il (Gaston) parlait avec son ami Henraux lorsque Mlle Delza a surgi d’une porte, impérieuse et d’ailleurs assez fanée, ce qui est un commentaire inattendu : elle a vingt-sept ans (…). Delza est venue vers Gaston et lui a tendu la main : Comment allez-vous ? Bonsoir, mademoiselle… et ils se sont quittés après ces deux répliques » (page 388).

Après de multiples scènes et de graves ennuis de santé pour Gaston aussi bien que pour Jeanne, « Le nom de Monna Delza ne fut plus jamais prononcé chez les Caillavet . L’actrice devait faire une jolie carrière. Elle épousa le comte Patrimonio et mourut jeune » (page 399).

03/01/2019

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VI

On n’en finit pas de rencontrer dans « Les cendres brûlantes » des personnes de connaissance ! Pas forcément des gens célèbres mais des gens que l’on a croisés, en particulier dans ce blogue.

Ainsi, à la page 291, Michelle Maurois écrit-elle, à propos d’une des dernières promenades de Mme Arman et de M. France : « Ils déjeunèrent avec Mme Bartet et Paul Reboux, le fils de la modiste, amie de Léontine. Le jeune homme commençait une carrière de journaliste et devait plus tard écrire un À la manière de féroce sur Mme Arman et France ».

Mes lecteurs fidèles ont tout de suite relevé un sourcil : mais oui, nous le connaissons ce Paul Reboux ! C’est l’auteur de « Le nouveau savoir-écrire » (Flammarion, 1933) et de « Le nouveau savoir-causer » (Flammarion, 1949). Et, souvenez-vous, j’en ai parlé dans mon billet du 27 septembre 2014. 

Cela étant, le livre de Michelle Maurois n’en avait pas tout à fait fini avec la passade sud-américaine d’Anatole France. « Jeanne Brindeau n’était pas une méchante femme. Elle avait été éblouie par le maître, enivrée par sa chance, à cinquante ans, d’être ainsi aimée (…) Elle avait cru à cet amour comme une jeune fille ou comme une femme qui vit sa dernière aventure et elle était véritablement sidérée de l’attitude inqualifiable de son amant » (page 302).

C’est dire que cette passion ne s’achève pas du tout comme celle de Paul Valéry pour Jeanne Voilier (« Je suis fou de toi » de Dominique Bona)…

En effet Anatole France lui avait promis de rompre avec Mme Arman et de partir en voyage avec elle. À l’heure dite, elle s’était présentée, avec armes et bagages, au domicile de France, pour apprendre par la gouvernante que ce dernier était parti en bateau ! En fait il s’était réfugié chez Mme Arman.

Elle lui écrit « Tu n’as pas d’horreur pour moi ? Ne suis-je plus ta chérie comme tu m’appelais ? ». « Mme Brindeau ne peut plus manger ni dormir. Elle a rapporté chez France la chaînette et les deux pierres achetées avec tant de joie ». Mais elle ne tentera plus rien pour le voir. Elle apprend par la presse que France et elle vont se marier ! et « aussitôt s’abattent sur Jeanne Brindeau des lettres et télégrammes de félicitations ». Elle écrit à France pour l’assurer qu’elle n’est pas à l’origine de ces rumeurs. Mais la lettre est interceptée par la gouvernante, Joséphine, la future (vraie) Mme France…

« (Jeanne) ne lui fera plus aucun reproche et lui restera toujours fidèle (…). Elle ne devait pas revoir France, qui plus jamais ne se manifesta ».

Que c’est triste, l’ingratitude, la lâcheté, l’égoïsme, la fin des histoires d’amour, et la fin des histoires tout court !

27/12/2018

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique V

C’est à la page 278 que Michelle Maurois raconte l’épisode – la tromperie – qui inspirera le roman « Le lys rouge » d’Anatole France et qui motivera mon intérêt pour cette famille et pour ce milieu passionnant de la fin du XIXème siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant.

Anatole France n’est plus guère attiré par Léontine Arman, née Lippmann, qui vieillit mal ; il accepte une invitation à donner une série de conférences en Argentine et prend le bateau le 30 avril 1909 malgré les réticences de sa maîtresse. Après plusieurs mois sans beaucoup de nouvelles de l’infidèle, « le 27 juillet, Léontine confie à l’abbé Mugnier, qu’une femme semble exercer sur France, en Argentine, une emprise » (page 285). « Mais arrivèrent des échos d’Argentine, puis une lettre anonyme donnant des précisions. Le maître avait rencontré une actrice. On avait photographié M. et Mme France. Bientôt tout Paris chuchota la nouvelle ». En effet , sur le bateau se trouvait une actrice, Jeanne Brindeau, qui faisait partie d’une troupe de la Comédie-Française et « pour laquelle, quinze ans auparavant, le docteur Germain Sée s’était ruiné ». « Née en 1861, ayant encore grande allure, blonde, coquette, Mme Brindeau pouvait faire illusion (…) (France) lui trouva le visage fatigué mais des dessous étourdissants et un corps resté très jeune ».

« La liaison de l’actrice et de l’écrivain devient officielle et stupéfie les Argentins ». « Anatole France hésite entre la raison et l’amour. Il a soixante-cinq ans ; il est amoureux comme un jouvenceau » (page 288). Après la série de conférences, il suit Jeanne Brindeau en Uruguay et au Brésil, puis c’est le retour vers l’Europe, depuis Rio, du 11 au 28 août. Arrivé à la Gare Saint Lazare, où Mme Arman l’attendait, « M. France a quitté Brindeau et il est venu courageusement au-devant de Madame » (témoignage d’Eugénie). 

« Trente-huit ans plus tard, la petite-fille de Mme Arman, Simone, devait revivre les mêmes tourments que sa grand-mère (mais elle y survécut). André Maurois, de trois ans moins âgé que France en 1909, partit pour une tournée de conférences en Amérique du Sud où sa femme avait refusé de l’accompagner. Il s’éprit, non d’une duègne, mais d’une jeune actrice qui le suivit durant tout son voyage (…). Mon père tira de l’aventure un roman : Les roses de septembre » (page 290). 

Cette belle fin de chapitre, factuelle et fataliste, n’est rien à côté du livre magnifique que Dominique Bona écrivit sur la vie sentimentale d’André Maurois et dont j’ai rendu compte dans ce blogue. « Il n’y a qu’un amour » est bien supérieur aux « Roses de septembre » !