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16/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique VII

« Écrire » est le titre du chapitre 11 du livre d’Édouard Philippe ; il commence par un long passage – dithyrambique – sur son père qui écrivait chaque matin, tôt, et confesse ensuite sa seule vraie difficulté scolaire : il était nul en orthographe. Cette faiblesse ne s’est atténuée qu’à Sciences Po, preuve qu’il a pu faire de bonnes études secondaires sans en être autrement gêné. Son couplet sur la réforme de l’orthographe semble typique de sa façon de penser et d’agir sur beaucoup de sujets : il brocarde ceux qui ont protesté au moment de son entrée en vigueur (peu contraignante) mais explique tout de suite que lui n’en tiendra pas compte ! Donc « nénuphar » sans « f » et « connaître » avec « î ». Cela ne me choque pas en l’espèce, je fais pareil.

Tout cela lui permet de nous rappeler qu’à vingt-six ans, par les vertus du classement de sortie de l’ENA, il était au Conseil d’État (sans autre expérience, bien sûr, que des concours, des dossiers et un ou deux stages dans la fonction publique). Il est fier de s’inscrire dans une lignée de juristes-écrivains qui compte Éric Orsenna et Marc Lambron après Stendhal. C’est là qu’il a appris la précision, la concision, la rigueur et l’abstraction dans l’expression écrite. Et c’est à la page 176 que l’on apprend que pendant son mandat municipal, et après l’exil forcé de son mentor Alain Juppé, il a pris le temps d’écrire deux romans policiers sur le monde politique, à deux mains, avec Gilles Boyer…

« Tout le monde a quelque chose à dire. Et bien souvent cela n’a pas grand intérêt. C’est la forme qui change tout. C’est la recherche formelle qui transforme la communication et l’expression naturelle en quelque chose qui se rapproche de la littérature » (page 177).

Le chapitre 12 s’intitule bizarrement « À livre offert » mais il est remarquable car très habilement construit (Le Havre et Deauville, villes en miroir l’une de l’autre ; Deauville, de laquelle on voit très bien le nuit Le Havre et ses cheminées de la centrale EDF, cheminées construites par son grand-père maternel, qui lisait Saint Augustin, Deauville dont le maire est Philippe Augier qui aime les livres et aime en offrir, et en offre un à chacun des convives invités à ses dîners. Et le chapitre devient intéressant pour une autre raison, c’est que notre auteur traite des différentes facettes de l’acte d’offrir un livre.

Il précise d’emblée : « Je n’offre jamais mes livres. Les livres que j’ai achetés (ou qu’on m’a offerts), lus et installés dans ma bibliothèque y sont incessibles, inamovibles et imprêtables. Je suis jaloux de mes livres. De ceux que j’ai aimés, de ceux qui ne m’ont plu que modérément et même de ceux dont je soupçonne que je ne les lirai ou relirai jamais. Ils sont là, avec moi, et j’entends bien ne jamais m’en séparer. Le fait d’être assuré de leur présence est profondément rassurant (…) Un livre prêté est un livre perdu » (page 192). C’est exactement ma position et c’est bien dit.

Il lui arrive d’acheter plusieurs fois un livre qu’il a lu et aimé, afin de l’offrir à d’autres. À moi aussi !

« Offrir un livre n’est pas neutre » (page 190). « Le livre offert construit une complicité. Il renforce une relation » (page 194).

Au détour de la page 195, un aveu « Je n’ai pas suffisamment lu. Je ne suis pas un littéraire mais un lecteur et quelqu’un qui aime la littérature » et, comme toujours dans ce récit, en contrepoint immédiat, l’autopromotion : « Ce sont les ouvrages que j’apporte à Magid qui m’apprend à boxer ». Ouah, notre ancien maire, ancien député, éternel lecteur, écrivain occasionnel et nouveau Premier Ministre… boxe !

À suivre...

12/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique V

Dans le chapitre 8 de son livre « Des hommes qui lisent », Édouard Philippe nous révèle sa passion pour Rome, la ville actuelle et l’histoire romaine, tout ensemble. Nos hommes politiques de premier plan adorent nous dire quelle est leur passion, leur jardin intime : M. Pompidou, c’était l’art contemporain, la modernité, les tours et les autoroutes ; M. Giscard d’Estaing, c’était Guy de Maupassant et l’accordéon ; M. Mitterrand, flâner dans les bibliothèques et Marguerite Duras ; M. Chirac, le sumo et les arts premiers (et la bière mexicaine) ; M. Raffarin, la Chine ; M. Sarkozy méprisait la littérature classique et M. Hollande n’avait, semble-t-il, pas de passion. Donc, pour M. Philippe, c’est Rome.

C’est l’occasion pour lui d’encenser un livre de Laure Adler et Stefan Bollmann, intitulé « Les femmes qui lisent sont dangereuses » et d’enfourcher discrètement le féminisme ambiant en s’accusant de « sexisme littéraire », délit qui ne risque pas de l’emmener devant un tribunal mais peut éventuellement lui acquérir un certain nombre de lecteurs et d’électeurs qui voient le monde coupé en deux, les hommes contre les femmes (et vice versa). Il va jusqu’à « encourager tous les lecteurs masculins à se poser la question » et à lancer l’alerte (« certains vont avoir des surprises »). On pense à « y-en a qui ont essayé ; y z-ont eu des problèmes » dans le sketch mythique de Chevalier et Laspalès… On pense surtout à cet historien venu battre sa coulpe sur l’antenne de France Inter, le 30 août 2019, devant Nicolas Demorand et Léa Salamé, en s’accusant d’être un mauvais homme qui ne laisse pas leur juste place aux femmes et adjurant ses congénères de faire leur examen de conscience et, sans doute, de faire pénitence. Décidément la femenmania bat son plein ; merci aux campus américains !

Il cite Taslima Nasreen : « Un livre est une arme redoutable qui peut faire changer les esprits ». Et là, on est d’accord. Son râteau étant de fait très large, il en profite pour citer aussi les rappeurs : « Le savoir est une arme » et en particulier Médine, rappeur havrais, dont il s’accuse de l’avoir trop longtemps méconnu…

Le chapitre se termine bien néanmoins : « Le livre est une arme et une bibliothèque, un arsenal » (page 125).

À suivre...

09/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique IV

Le chapitre 6 du livre « Des hommes qui lisent » d’Édouard Philippe se terminait sur sa conception de l’action publique nécessaire en faveur de la lecture : autour d’un festival littéraire aux thèmes variés renouvelés chaque année, et traités par des écrivains, des comédiens, des illustrateurs, des danseurs, des plasticiens… multiplier les angles d’accès, incluant évidemment le cinéma.

Le chapitre 7 commence par Saint Augustin pour ensuite mettre en scène ses enfants : sa fille de deux ans lisait dans son lit sans savoir lire et a découvert les livres numériques sur le téléphone de son père (qu’il appelle un iPhone, avec un I majuscule…), livres « remarquablement pensés et réalisés », paraît-il, tout cela avec facilité, évidemment ; son fils de dix ans s’est enthousiasmé pour le Faust de Goethe, en écoutant en même temps que son père dans la voiture (« Je profite de mes heures de conduite pour apprendre », page 110), les CD ou les retransmissions d’œuvres lues, en particulier par Guillaume Gallienne. Ni une ni deux, il rencontre ce monsieur dans un dîner, invité par un ami commun, monsieur qui ne peut être que drôle et incroyablement brillant… Et Édouard Philippe de conclure, à destination du bas peuple : « Profitez de toutes les occasions qui pourraient vous être données de dîner avec lui » ! C’est du même tonneau que le fameux « Qu’ils mangent de la brioche » de Marie-Antoinette. Il est vrai qu’en pareille occasion, Nicolas Sarkozy avait rencontré… Carla.

Trêve de persifflage ! On retient que tout peut être lecture même sans livre (papier) et que tout ce qui a rapport avec les œuvres écrites peut mener à la lecture. Peut-être, sauf que, en vertu de la loi de l’accélération permanente (ou de la facilité galopante ou de la commutation incessante), il y a fort à parier que, une fois l’histoire vue au cinéma ou entendue à la radio, nos apprentis lecteurs se tournent vers une autre histoire, tout aussi résumée ou déformée, sans jamais revenir aux textes originels.

Mais je suis d’accord que ça vaut le coup d’essayer, par tous les moyens, d’intéresser le plus vaste public possible à la lecture et d’effacer les obstacles potentiels que sont l’épaisseur d’un livre, un vocabulaire difficile, la nécessité de s’isoler pour lire, etc.

Autre enseignement du chapitre : Édouard Philippe aime lire, considère que lire est un acte fondamental pour apprendre et découvrir, s’est engagé pour améliorer la situation au Havre. C’est l’essentiel, même s’il n’était pas obligé, pour dire tout cela, de nous rappeler que les chiens ne font pas des chats…

À suivre...