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04/06/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique II

Est-il bien raisonnable de brûler ses vaisseaux dès la critique II et de résumer en quelques mots ce que l’on pense des 400 pages du livre de Michelle Maurois, « L’encre dans le sang », à peine refermé ?

Sans doute pas… mais voici quand même les qualificatifs qui me viennent à l’esprit :

  • plutôt mal écrit (en tous cas avec un style banal et des formules souvent bancales ou absconses) ;
  • bizarrement construit (les deux tiers du livre sautent en permanence d’un personnage à l’autre, avec des remontées dans le temps que l’on ne maîtrise guère qu’à la fin, le dernier tiers est consacré à l’attente impatiente des deux adolescents Jeanne et Gaston de pouvoir se marier, couvés qu’ils sont par une future belle-mère à la fois entichée de son gendre et obnubilée par sa fille, sa beauté, ses humeurs, ses désirs, le tout au-delà du raisonnable ; cette focalisation vient sans doute du fait que c’est un épisode qui a bénéficié du plus grand nombre de documents dans les archives familiales et aussi dont l’auteur a pu parler avec sa propre belle-mère, fille des fiancés en question. On a donc droit à une profusion de détails non seulement sur leurs états d’âme et les « nerfs » de la fiancée mais aussi sur la cérémonie, la réception et le voyage de noces) ;
  • le livre est cependant un témoignage passionnant sur une époque révolue, aux personnages hauts en couleur, dont certains furent et restent célèbres (Anatole France, Marcel Proust…), et un témoignage réalisé à partir d’un travail sans doute colossal de dépouillement d’archives et de « remplissage des blancs » quand celles-ci venaient à manquer.

Petite parenthèse : je m’aperçois seulement maintenant que la fille d’André Maurois était prénommée Michelle, à l’anglo-saxonne, et non pas Michèle ainsi que je l’avais orthographié initialement. Ce n’est pas étonnant de la part des traducteurs anglophones qu’étaient le père et la fille. J’en profite pour indiquer que Michelle Maurois (1914-1994) a reçu le prix de l’Académie française pour « L’encre dans le sang ». Mais, à ce jour, elle n’a pas eu les honneurs de Wikipedia…

Tout de suite m’a frappé la ressemblance avec les livres de souvenirs de Marguerite Yourcenar, « Souvenirs pieux » (1974), « Archives du Nord » (1977) et « Quoi ? L’éternité » (1988). C’est le même travail de généalogiste et d’archiviste qui reconstitue une ambiance, des mœurs, des drames et des passions (voir mon billet suivant). Il est tout à son honneur (mais ce n’est pas vraiment sa famille…) de viser l’exactitude, de rectifier les erreurs et les pieux mensonges et de proposer commentaires objectifs et interprétations. On lit ainsi, à propos des déclarations de sa belle-grand-mère Jeanne : « Certains des documents fort intéressants qu’elle a réunis et publiés sont entachés par l’affabulation ou rendus mensongers par les silences. Il eût été malséant de donner une idée fâcheuse de la famille. La postérité ne devait pas soupçonner par exemple qu’un grand-père avait fait faillite ou que le talent de Proust n’avait pas été pressenti. Or la plus petite entorse à la vérité rend le tout suspect » (page 18). Cette tâche est ardue : « Car chaque génération jouait la comédie à la suivante, taisait des secrets et échafaudait des mythes et des légendes, tant il est vrai que presque tout ce que j’ai appris pendant des années était faux » (page 18).

Mais j’ai pensé aussi, à cause de l’époque, du quartier (la Plaine Monceau) et de l’ambiance justement, aux premiers tomes de « La famille Boussardel » de Philippe Hériat (voir mon billet suivant).

31/05/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique I

Voyons donc maintenant ce qu’est ce livre au titre mystérieux. Michelle Maurois, fille d’un grand écrivain français et écrivain elle-même, découvre dans la maison du Périgord, à Essendiéras, les archives de la famille, sous forme de lettres, de journaux intimes, de factures, de menus de fête. Elles ont été triées par sa belle-mère Simone Arman de Caillavet, deuxième épouse de son père, et représentent un fonds documentaire extraordinaire sur des gens connus ou moins connus, conservé essentiellement par les femmes des deux familles Arman et Pouquet, qui avaient « l’encre dans le sang » comme d’autres ont les études ou le notariat dans le sang, c’est-à-dire qu’elles écrivaient et conservaient tous les écrits. Essendiéras était la propriété de la famille Pouquet comme Capian, près de Bordeaux était celle de la famille Arman, et ces villégiatures jouaient à l’époque le même rôle que nos résidences secondaires aujourd’hui : lieux de vacances, de courts séjours à la campagne, de ressourcement, ou plus puisque l’agent de change Léopold Pouquet était maire de son village.

De 1975 à 1981, Michelle Maurois, qui a classé ces papiers, se met à en faire une histoire, l’histoire de ses aïeux par alliance, puisqu’elle-même n’était que la belle-fille de la deuxième épouse de son père. À vrai dire, c’est l’histoire de deux familles essentiellement, les Arman et les Pouquet, et même d’un couple particulier dans ces deux familles, les petits fiancés Jeanne Pouquet et Gaston Arman de Caillavet (le patronyme Caillavet a été ajouté à Arman arbitrairement, sans correspondre à un titre de noblesse ; aujourd’hui, d’innombrables époux choisiraient Arman-Caillavet).

André Maurois et une jeune femme.jpg

Le livre a été publié en 1982 chez FLAMMARION. Michelle Maurois remonte loin : si Jeanne et Gaston ont le rang de grands-parents pour elle, Eugène et Marie Pouquet d’une part, Albert et Léontine Arman de Caillavet d’autre part sont des arrière-grands-parents, et on entend même beaucoup parler à la génération précédente, de Lucien Arman et Laure de Caillavet, d’Auguste Lippmann et Frédérica Koenigswarter, tous ceux-là de la branche Arman, avec une mention spéciale pour Lucien Arman, victime d’une faillite retentissante qui l’a mis au ban de la famille et fait l'objet dans le récit d’un chapitre fouillé et passionnant.

28/05/2018

"L'encre dans le sang" (Michèle Maurois) : réponse à la devinette

La réponse la plus facile concernait le statut de ces écrivains : tous, sauf Michèle Maurois, étaient Académiciens français ; oui, même Dominique Bona, qui a surtout écrit des biographies ou plutôt d’excellents récits de la vie sentimentale de Romain Gary, Berthe Morisot, Paul Valéry et… André Maurois !

Ensuite, quel est donc le lien entre ces personnages ? Eh bien, outre que Michèle Maurois était naturellement la fille de son père, elle était aussi la belle-fille de Simone, née Arman de Caillavet et la petite-fille par alliance de Gaston Arman de Caillavet, célèbre auteur, avec Robert de Flers, de comédies de boulevard à la Belle Époque. Gaston, quant à lui, était le fils de Léontine Arman, née Lippmann et égérie d’Anatole France. 

Procédons donc à rebours : Anatole France, ce monument de la littérature française, Prix Nobel, était l’amant de Léontine, dont il fréquentait assidûment le salon, cette Léonine qui était l'arrière-grand-mère par alliance de la fille d’André Maurois,

Allons plus loin : l’épouse de Gaston Arman de Caillavet, Jeanne Pouquet, grand-mère par alliance de Michèle Maurois, a été courtisée par Marcel Proust, dont elle s’est d’ailleurs moqué tant et plus. Quant à Gaston, il a eu pour gendre posthume André Maurois, industriel défroqué, Alsacien patriote (pléonasme ?), anglophone et anglophile, écrivain, historien, essayiste (lire son « Art de vivre » !) et biographe émérite. À ce dernier titre écrivit « À la recherche de Marcel Proust » !

Enfin, quel est donc le livre absent de mon billet, le chaînon manquant ? C’est « Le lys rouge », roman dans lequel Anatole France raconte sa liaison avec Léontine, pendant du roman d’André Maurois, « Les roses de septembre », qui est le récit à peine dissimulé de sa passion foudroyante et tardive pour une superbe danseuse sud-américaine.

Ainsi donc, par une « transformation conforme », comme disent les mathématiciens, pourrais-je sans mal réorganiser ma bibliothèque à la façon Warburg en mettant côte à côte ces auteurs et ces livres, sous les thèmes croisés de l’excellence littéraire, de l’autobiographie, de la biographie, de la société de la première moitié du XXème siècle et de… l’adultère.