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19/06/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique IV

Il faut mémoriser un minimum de généalogie de cette famille pour y comprendre quelque chose : fascinée par sa belle-mère Simone, Michelle Maurois remonte le temps pour découvrir, dans ses ancêtres, d’où lui vient cette personnalité et ce souci d’écrire : d’abord ses parents, Gaston Arman de Caillavet et Jeanne Pouquet, puis ses grands-parents paternels, Albert Arman et Léontine Lippmann (mariés en 1867), et ses grands-parents maternels, Eugène Pouquet et Marie Rousseau. Elle ira même un peu plus haut, jusqu’à Lucien Arman et Auguste Lippmann. 

Au-delà de la famille, le livre abonde en personnages illustres ou pittoresques. En voici deux exemples.

J’ai toujours cru, depuis l’époque où les mathématiques modernes enchantaient nos études, que le groupe de savants qui avait « reconstruit » l’édifice mathématique à partir d’axiomes avait inventé son nom collectif, Bourbaki. Et bien, à la page 57 de « L’encre dans le sang », je découvre que l’un des témoins de mariage de Léontine, était « Charles Bourbaki, général de division, qui servit en Algérie et en Crimée, fut commandant de la Garde impériale en 1870, remporta la victoire de Villersexel mais perdit la bataille de Lisane à Héricourt. Il tenta ensuite de se suicider près de la frontière suisse ».

Avec Gérard d'Houville, page 19, c’est bien autre chose. Wikipedia nous apprend que c’était le nom de plume de Marie Louise Antoinette de Heredia, romancière, poétesse et dramaturge française, née le 20 décembre 1875 à Paris 7ème et morte le 6 février 1963 à Suresnes. Elle est la deuxième des trois filles de José-Maria de Heredia, le célèbre poète parnassien.

Elle épouse le poète Henri de Régnier, puis devient la maîtresse de Pierre Louÿs (« Les chansons de Bilitis »). Elle a par ailleurs d'autres amants, Edmond Jaloux et son ami Jean-Louis Vaudoyer, le poète italien Gabriele D'Annunzio exilé à Paris entre 1910 et 1914, le dramaturge Henri Bernstein.

Son pseudonyme « Gérard d'Houville » vient du nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle. Sous ce nom de plume, elle reçoit en 1918 le 1er prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre (C’est la première femme à obtenir ce prix).

En 1894, elle contribue à créer l'Académie canaque, parodie de l'Académie Française.

Ce n’est pas tout ! Dominique Bona, que j’associais aux Maurois au début de cette série de billets (voir ma devinette), réapparaît ici car elle a écrit une biographie, « Les Yeux noirs : les vies extraordinaires des sœurs Heredia » (Paris, J-C. Lattès, 1989).

Incroyable, non ?

14/06/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique III

Ce qui est passionnant dans « L’encre dans le sang » de Michelle Maurois, c’est que tous les personnages sont réels et presque tous célèbres, les autres, fort pittoresques, ayant souvent servi de modèles à des pièces de théâtre ou des romans : M. et Mme Arman, et leur fils, dans « La recherche du temps perdu » ; Mme Pouquet dans deux pièces de son gendre et aussi dans un roman d’André Maurois, et bien sûr Léontine Arman dans « Le Lys rouge ». 

Deuxième intérêt du récit : à travers l’histoire familiale reconstituée, c’est la France du tournant du XXème siècle qui revit sous nos yeux, celle qui était le cadre de la Recherche, avec d’ailleurs son auteur en filigrane (il accompagne au tennis nos fiancés, il écrit des petits mots, il cancanne…). 

Tout le début du livre est consacré à la mémoire, aux mémoires, aux journaux intimes, à la transmission, au désir de laisser une trace. Le personnage de sa belle-mère, Simone, semble devoir dominer le récit :

« Comprendre, c’est pardonner, disait mon père (NDLR : André Maurois). Je n’étais pas d’accord avec lui et ne le serai jamais (NDLR : personnellement je le suis). Néanmoins il avait peut-être raison en ce qui concerne les morts. Depuis la disparition de Simone en 1969, dès que je parle d’elle à ses amis, à ses relations, chacun me confie ce qu’elle lui a raconté, me montre d’étonnantes lettres où elle se mettait à nu, et, avec elle, toute sa famille, son mari, et même moi, à l’occasion » (page 24).

Comme beaucoup de gens aujourd’hui, Simone souhaitait laisser un témoignage, sa vérité : « Dans le milieu auquel j’appartiens, des milliers de femmes tiennent ponctuellement le journal de leur vie. Combien peu de ces cahiers se voient imprimés par une descendance indifférente ! Autour de moi, j’assiste à l’étouffement systématique de tels manuscrits » (page 25). C’est son « directeur de conscience », l’abbé Mugnier qui disait d’elle « Simone a de l’encre dans le sang » (page 25).

« Ce récit débute en 1890 au moment où le père et la mère de Simone de Caillavet se rencontrent » (page 25).

Le décor est en place, faites entrer les acteurs. Bel avant-propos ! Et de fait, le premier chapitre (sans numéro) s’intitule : la rencontre.

07/06/2018

"Souvenirs pieux", "Archives du Nord", "Quoi ? l'éternité" (Marguerite Yourcenar) : critiques succinctes

Il y a longtemps – d’octobre à décembre 2012 – que j’ai lu ces trois livres de Marguerite Yourcenar qui forment une sorte de biographie de sa famille. À cette époque, je n’avais pas de blogue et je notais mes « comptes rendus de lecture » dans un petit carnet…

Marguerite Yourcenar 1.jpg

Voici ce que j’avais écrit :

« Souvenirs pieux » (27 octobre – 6 novembre 2012) : quel style pour décrire des personnages et dérouler une histoire, peindre une situation, décrire une société ! Travail d’historien incroyable car elle fait revivre une époque et une famille, à partir d’archives, de photos et de lettres. Elle a des expressions curieuses… L’intérêt baisse au milieu avec l’histoire des deux frères et du suicide. Au total, impressionnant ! 

« Archives du Nord » (25 novembre – 14 décembre 2012) : la magie continue et même s’amplifie. C’est trépidant, avec des allers et retours… On s’y perd à force, dans toutes les branches des deux familles. Quel style ! Indéniablement influencé par Proust quant à l’esprit, la façon de penser mais bien plus sobre et direct ; presque journalistique parfois, souvent passionnant. Beaucoup de réflexions philosophiques. Et sa famille ! Surtout son père Michel ! Quelles vies incroyables ! (et vous voudriez que nous, on soit écrivain ?). Un régal, d’autant qu’elle a le génie des fins de chapitre. Au fait, pourquoi « Yourcenar » ? 

« Quoi ? l’éternité » (14 décembre 2012 – 5 janvier 2013) : un AVC l’a empêchée de terminer ce troisième tome de ses mémoires, « Le labyrinthe du monde », à cinquante pages près… C’est touffu, alerte, plein de rebondissements, souvent captivant (la vie de son père Michel, de Jeanne et d’Egon). Elle parle très peu d’elle-même. C’est parfois obscur, souvent elliptique, cultivé, en vrac (on s’y perd), avec des tournures bizarres (même la syntaxe).

Marguerite Yourcenar 2 en Grèce en 1931.jpg

(en 1931, elle est en Grèce pour traduire les poèmes de Constantin Cavafy)

PS. Née en Belgique, elle s’appelait en fait « Cleenewerck de Crayencour » et « Yourcenar » serait un anagramme de « Crayencour », au C près…

Soutenue par Jean d’Ormesson, elle est la première femme à entrer à l’Académie française, en 1980.