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18/02/2019

"Déchirez cette lettre" (Michelle Maurois) : critique II

Le mariage est la grande affaire des jeunes filles et de leurs familles à cette époque, et Simone n’échappe pas à la règle. Ses nombreuses tentatives, ses angoisses, ses fiançailles rompues remplissent une bonne partie du volume « Déchirez cette lettre ». Cependant elle ne se berce pas d’illusions. Voici ce qu’elle en dit : « Les jeunes gens se marient rarement dans l’entraînement irrésistible d’un coup de foudre pour la jeune fille à laquelle ils demandent sa main. Le libre exercice sensuel de l’amour, pendant les années de la vie de garçon, les blase sur les emportements physiques de la passion : ils en calculent le peu d’importance dans l’ensemble d’uneexistence, la durée éphémère – et loin de chercher dans le mariage un prétexte légitime à l’accomplissement d’une fonction animale, dont ils ont l’habitude d’apaiser les exigences en dehors du domicile familial, ils font entrer, dans le choix de leur compagne légitime, des considérations sociales et financières beaucoup plus que des préférences d’attraction. Une épouse n’a pas pas besoin d’être une maîtresse experte – il y a des filles de joie pour la mise en action des rites passionnels –, mais il faut qu’elle apporte un grand luxe dans l’intérieur que l’on veut bien constituer avec elle, et qu’elle assure fastueusement la « matérielle » du ménage. L’enfant, qu’on lui fera par condescendance et par calcul, sera le lien indestructible qui opèrera définitivement la fusion des fortunes, le prétexte à ne pas divorcer, donc à jouir sans remords et sans inquiétude des rentes de l’épousée » (page 166).

Nous sommes en 1918, on ne saurait être plus lucide sur les mœurs de son époque. Un peu plus tôt, Simone avait déjà écrit : « Les hommes sont généralement des mufles. À la femme qui leur plaît ils offrent 100000 francs pour être son amant ou bien ils lui en demandent 500000 pour devenir son mari » (page 129).

La fille d’Anatole France, Suzanne Psichari, mourra de la grippe espagnole, le 18 novembre 1918, au 3 rue Boccador à Paris dans l’appartement de sa mère qu’elle habitait avec son fils, Lucien. Son mari, Michel Psichari, dont elle était séparée, avait été tué le 20 avril 1917. Cette famille concentrait en son sein les deux fléaux qui ravagèrent la France (et l’Europe) au début du siècle : la guerre mondiale et la grippe. Nous aurons l’occasion de reparler des Psichari.

En 1919, c’est le père de Jeanne, Eugène Pouquet, qui meurt. Il laisse une succession importante, dont le partage causera des rancœurs. Son épouse, Marie « avait sacrifié un tiers de sa fortune personnelle à l’achat de la charge d’agent de change de son mari. Elle eut la pénible surprise de voir qu’il n’était tenu aucun compte de la valeur de cette charge dans l’héritage, alors qu’Essendiéras était soumis au partage. En présence du notaire, elle sentit qu’elle devait dire quelque chose mais elle se tut. Elle ne comprit qu’après que les traitements étaient inégaux entre Jeanne et Pierre, sources de longues querelles de famille » (page 212). Combien d’épouses ont été dans la situation de Marie Pouquet au siècle précédent ? Il n’y a pas si longtemps, les épouses n’héritaient pas de leur mari !

Enfin, le mariage de Simone est annoncé, avec un diplomate roumain Georges Stoïcesco, en janvier 1920. Ce ne sera pas un succès, même si une fille naîtra de cette union, enfant dont Simone se désintéressera.

Pour terminer ce dernier billet sur la saga de la famille Arman-Pouquet, laissons la parole à Michelle Maurois : « Ce même mardi 2 décembre 1924, Simone donnait chez elle un déjeuner de dix couverts réunissant Robert de Flers et sa femme, Jeanne Pouquet, Alice Halphen, Paul Valéry, François Mauriac, Bernard Grasset et André Maurois. Elle avait demandé à Grasset de lui amener ce dernier, veuf depuis quelques mois, et qu’elle ne connaissait pas.

Mon père crut que son éditeur l’emmenait chez une très vieille dame, Mme Arman de Caillavet, l’égérie d’Anatole France. Il fut surpris et fasciné de rencontrer une belle jeune femme brune, entourée d’écrivains célèbres et qui parlait familièrement de Marcel Proust.

Le 6 septembre 1926, Simone de Caillavet devenait Mme André Maurois. Ce mariage devait durer quarante et un ans, jusqu’à la mort de mon père. Mais cela, comme disait Kipling, est une autre histoire, et je ne la conterai pas » (page 439).

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