18/02/2016
Accent circonflexe, accent régional, tout fout le camp
Voici ce que révèlait Marie-Estelle Pech le 14 février 2016, dans le Figaro Premium :
De Toulouse à Strasbourg, les jeunes générations ont de plus en plus tendance à s'exprimer dans un français « standardisé » imposé par Paris et ses élites.
Si le nombre de Français pratiquant les langues régionales ne cesse de diminuer, les accents régionaux, restes de ces mêmes langues, tendent aussi à s'estomper. « Nous sommes dans une phase d'homogénéisation des prononciations, surtout chez les plus jeunes même si on peut assister à des sursauts d'affirmation identitaire, à Marseille, par exemple », explique Philippe Boula de Mareüil, linguiste et directeur de recherche au CNRS.
Dans la plupart des façons de parler le français, le « r » roulé s'est ainsi presque perdu. « On l'entend encore un peu en Bresse bourguignonne ou dans l'Ariège, uniquement chez les locuteurs les plus âgés », poursuit le linguiste.
Donc l’accent régional tend à disparaître…
La récente lubie du Ministère de l’Éducation nationale, qui veut peut-être détourner l’attention de son invraisemblable réforme du collège en ressuscitant la fameuse « rectification de l’orthographe » de Michel Rocard, vingt-six ans après, constituerait, elle, un mauvais coup porté à l’accent circonflexe.
Revenons rapidement sur cette simplification, à laquelle j’avais consacré de nombreux billets dans ce blogue en septembre 2014. Elle a été portée, à la demande du Premier Ministre de l’époque, par une Commission ad’hoc, dont faisaient partie entre autres Maurice Druon secrétaire perpétuel (mais disparu depuis) de l’Académie et Bernard Pivot (aujourd’hui président de l’Académie Goncourt). Elle n’est donc pas l’œuvre de l’Académie française, comme certains voudraient le faire croire, maintenant que la polémique enfle. Au contraire, l’Académie, stupéfaite des concessions faites par son Secrétaire perpétuel, l’a acceptée du bout des lèvres, à la condition que son adoption en soit « facultative » ; autant dire qu’en ce pays où il est si difficile de faire respecter le Code de la Route (obligatoire), c’était saboter la réforme. Et c’est bien ce qui arriva, ce fut un flop.
Certains ricanaient que l’on veuille leur faire écrire « ognon » et « nénufar » et tous ignorèrent superbement les recommandations (remarque : le correcteur de Word accepte ces deux graphies ; il a donc vingt-six ans d’avance sur Mme Belkacem…).
Personnellement, je partageais déjà l’opinion récente de Bernard Pivot (qui cherche à se débarrasser de ce sparadrap), selon laquelle de nombreuses simplifications étaient acceptables, voire souhaitables, mais qu’il ne fallait pas toucher à l’accent circonflexe ni à tout ce qui heurtait notre attachement à la graphie de la plupart des mots.
Dans un sens (simplifier), l’argument était que de nombreuses « complications » de notre orthographe actuelle n’étaient que le fruit (artificiel) de la manie du XIXème siècle de remplacer la graphie phonétique par une graphie étymologique (liée à l’origine grecque des mots). Dans l’autre sens (conserver), l’argument le plus pragmatique était que pour simplifier, on introduisait de nombreuses exceptions et que donc, in fine, on re-compliquait !
Au nom de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse, nouveau secrétaire perpétuel, tient un autre raisonnement ; sans entrer dans les détails, elle rejette d’un bloc cette initiative au motif qu’en vingt-six ans, la situation de l’enseignement (en l’occurrence l’enseignement du français) s’est notablement dégradée et qu’aujourd’hui, l’urgence n’est plus à simplifier – ce serait de la cosmétique comme disent les Anglo-Saxons – mais à revenir aux fondamentaux : enseigner aux enfants à lire, à parler et à écrire le français tel qu’il est.
Quant à moi, je reste sur ma position de septembre 2014 : la « rectification » (puisque c’était son nom officiel) était fondée, modérée, argumentée, limitée, et améliorait la cohérence globale de l’orthographe en supprimant des aberrations et en utilisant habilement des régularités existantes. Donc, au prix d’un renoncement à l’accent circonflexe dans « il apparaît », on pouvait l’accepter et jouer le jeu.
Au bout du compte, qu’est-ce donc que cette tentative qui vient du fond des âges ?
On peut imaginer une tentative de « coup politique » pour distraire l’attention des sujets de fond dans lesquels le gouvernement s’est empêtré, en agitant ce chiffon rouge qu’est toujours en France l’atteinte à la langue…
Mais c’est peut-être tout simplement un coup de pouce aux éditeurs en manque de chiffre d’affaires : pouvoir rééditer tous les manuels aux frais de la Princesse (puisque le Ministère paye les livres du Primaire), c’est toujours ça de pris (ou de prix ?).
L’ennui, c’est que l’État – c’est-à-dire nous – est impécunieux.
15/02/2016
La Francophonie, c'est pas ce que vous croyez (IV)
Sixième idée fausse : la Francophonie, c’est une histoire de langue française, une obsession de linguistes, de passéistes ou de pinailleurs.
Mais non !
La Francophonie s’est dotée d’un Cadre stratégique pour la période 2015-2022. S’il est vrai que sa première mission est la promotion de la langue française, ainsi que la diversité culturelle et linguistique,
- sa deuxième mission est la promotion de la paix, de la démocratie et des droits humains ;
- la troisième, la promotion de l’éducation, de la formation supérieure et de la recherche ;
- et sa quatrième, l’innovation et la créativité au service de l’économie dans une perspective de développement durable.
Au total, la Francophonie se pose, sans le dire (et sans disposer malheureusement de tous les moyens de sa politique), en véritable contrepoids de la mondialisation sans foi ni loi, en alternative à la concurrence sauvage et faussée, en « troisième voie » droits-de-l’hommiste respectant la diversité et visant la durabilité.
Septième point totalement méconnu : les Français de France s’enorgueillissent, à juste titre, de leur langue magnifique, de leur littérature universelle et de leur Académie si cultivée. Mais se rendent-ils compte, eux qui se débattent avec leur difficulté à apprendre l’anglais correctement, que TOUS les autres francophones de la planète sont au moins bilingues ?
On connaît bien le cas du Québec, qui défend le français bec et ongles mais qui sait s’exprimer en anglais par la force des choses… Mais on ne réalise pas qu’au Luxembourg, les habitants parlent trois langues, qu’ils apprennent l’une après l’autre à l’école, au collège et au lycée. Au Maghreb et au Moyen-Orient, les francophones parlent pareillement l’arabe (il y a quelques mois, France 2 a diffusé un beau reportage sur l’Algérie et son « front de mer » ; il fallait entendre la qualité du français parlé par ces jeunes, par ailleurs arabophones !).
En Afrique sub-saharienne (que l’on appelait autrefois « l’Afrique noire »), le français, même langue officielle (comme dans 29 pays de la planète), cohabite avec nombre de langues africaines ou locales ; par exemple, au Sénégal, un francophone peut parler non seulement le wolof mais aussi une langue ethnique comme le sérère ou le diola !
En un mot, tous sont bilingues, sauf les Français et les Monégasques !
Il est clair que pour tous ces francophones, la « correction », voire la « qualité » ou la « pureté » de la langue française, ne sont pas une obsession ni même la priorité comme elles peuvent l’être pour les Français de France. D’une part parce que le « frottement » avec une autre langue – lexique et syntaxe – influe subrepticement sur le français qu’ils parlent. Et d’autre part parce que tout polyglotte relativise obligatoirement l’importance de se conformer à un « modèle de langue correcte », surtout si ce « modèle » est celui porté à bout de bras par l’Académie lointaine d’un pays démographiquement minoritaire.
Que cela ne nous décourage pas néanmoins de porter haut et fort les couleurs d’un français précis, élégant, subtil, riche de son passé et ouvert au meilleur de la modernité ! C’est, très modestement, l’ambition de ce blogue.
(à suivre)
11/02/2016
La Francophonie, c'est pas ce que vous croyez (III)
Quatrième idée fausse : la Francophonie, ce serait une histoire récente de sommets internationaux produisant de beaux discours, après de bons repas dans des lieux prestigieux… et ce ne serait que cela.
Non, les Sommets de la Francophonie, qui sont les seuls événements médiatisés et donc les seuls connus du grand public, datent de 1986 (le Sommet de Versailles, organisé par François Mitterrand, Président de la République française). Depuis lors, ils se succèdent tous les deux ans, les sommets les plus récents ajoutant chacun une corde à l’arc de la Francophonie (la jeunesse, le dialogue des cultures, le développement durable, l’éducation, les femmes et les jeunes…).
Mais les Sommets ne sont pas à l’origine de la Francophonie !
L’origine, c’est la vision de Léopold Sedar Senghor, au début des années 60, avec un article fondateur dans la revue Esprit, puis la lente construction d’une véritable organisation :
- des Conférences ministérielles (Affaires étrangères et/ou Francophonie, Éducation nationale, Jeunesse et Sports),
- un Conseil permanent,
- un secrétaire général (Boutros Boutros-Ghali, Abdou Diouf, Michaelle Jean),
- une agence universitaire,
- un média (TV5 Monde),
- une Université (à Alexandrie),
- l’assemblée parlementaire,
- l’association des Maires francophones.
Pas mal, non, pour un « machin » dont on ne parle jamais ?
Cinquième idée fausse : la Francophonie, c’est bien mais ça ne débouche sur rien, sauf à dépenser de l’argent.
C’est faux mais il faut reconnaître que la Francophonie fait bien mal sa publicité ; ou alors c’est que les journalistes ne sont vraiment pas intéressés par ce qui ne brille pas, par le travail de fond…
D’abord, la Francophonie a lancé plusieurs actions autour de la langue française et de l’éducation :
- l’IFADEM (Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres) pour améliorer les compétences des instituteurs, que ce soit en pédagogie ou en enseignement du français ;
- ÉLAN (École et langues nationales en Afrique) pour développer l’enseignement bilingue à l’école primaire.
Ensuite, la Francophonie agit pour la prévention et la résolution des conflits, en envoyant des observateurs ou des médiateurs dans les pays membres lors des crises. Plus généralement, elle a pour objectifs la démocratie, la paix, la solidarité…
Elle a eu aussi une action déterminante pour faire adopter à l’ONU la Convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005.
Elle accompagne les États dans le domaine du développement durable.
(à suivre)
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie | Lien permanent | Commentaires (0)