10/03/2016
La Francophonie, c'est pas ce que vous croyez (épilogue)
Vous l'avez compris, la Francophonie (avec un F majuscule) ne consiste pas essentiellement à préserver le français tel qu'il est aujourd'hui à Paris ni à essayer de faire parler français le plus de gens possible dans le monde. Son dessein est bien plus vaste et dépasse d'ailleurs la question d'une seule langue : pour promouvoir la diversité culturelle menacée par la mondialisation (qui impose le globish partout), elle défend le plurilinguisme. Par exemple, on l'a vu, en développant en Afrique l'enseignement simultané du français et d'une langue locale.
Voici une autre initiative, qui résonne particulièrement à mon oreille : l'intercompréhension.
Il s'agit de s'exprimer dans sa langue maternelle, tout en comprenant ses interlocuteurs qui font de même, sachant que tous s'expriment dans l'une des langues romanes (français, espagnol, italien, portugais, roumain et catalan). Il s'agirait ainsi de rassembler une communauté d'un milliard de locuteurs dans le monde.
Sur le plan stratégique, c'est une façon habile de se rapprocher de nos cousins linguistiques pour endiguer la marée de l'anglais qui les marginalise tout autant que nous, au lieu de lutter chacun dans son coin (la Francophonie, l'espace hispanophone, etc.). Qui se ressemble s'assemble.
Sur le plan opérationnel, c'est réaliste car toutes ces langues sont issues du latin et on peut donc penser qu'il est assez facile d'acquérir de bonnes notions dans les langues parentes.
L'Organisation internationale de la Francophonie lance ces jours-ci un CLOM sur le sujet, destiné aux enseignants francophones.
Cette idée me rappelle ce que je connaissais sous le nom de "méthode canadienne" : dans ce pays bilingue, chacun était censé pouvoir parler sa langue maternelle (anglais ou français). Mais avec l'intercompréhension en langues romanes, on introduit une autre communauté, celle des langues issues directement du latin.
En somme, on reconstruit une sorte de République des Lettres, à l'envers (des langues nationales vers le latin) et destinée, non plus aux seuls lettrés, mais à tous...
Et on démonte aussi un (petit) pan de la tour de Babel !
En cas de succès, imaginez une réunion européenne dans laquelle les représentants de la France, de l'Espagne, de l'Italie, du Portugal et de la Roumanie se comprendraient directement, sans passer par le globish...
PS. Je me demande ce que pensent nos amis espagnols de Madrid de l'inclusion du catalan dans la liste de ces langues romanes, alors que le corse et l'occitan, par exemple, n'y sont pas...
10:52 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie, Histoire et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
07/03/2016
La Francophonie, c'est pas ce que vous croyez (V et fin)
Huitième idée reçue : le français serait en perdition dans le monde
Pas du tout ! Bien sûr, le français n'est pas comme l'anglais LA langue de communication mondiale… Mais sa place est encore enviable. Jugez-en.
L'Organisation des Nations Unies a six langues de travail : l'anglais et le français y cohabitent avec le chinois, le russe, l'espagnol, l'arabe et le portugais. Et les pays francophones y pèsent le tiers.
Le français est langue officielle de 29 pays dans le monde, en plus d'être langue nationale, langue d'enseignement ou langue étrangère enseignée dans de nombreux autres. C'est la deuxième langue la plus apprise au monde.
L'Organisation internationale de la francophonie compte 80 États ou gouvernements.
On estime qu'il y a 274 millions de personnes capables de parler français dans le monde.
Selon le classement à partir de dix critères effectué par le site portalingua, les cinq langues prépondérantes sont l'anglais (largement), le français et l'espagnol, puis l'allemand et le néerlandais. Étonnant, non ?
Selon la taxonomie de Calvet, il y a dix langues "supercentrales" : l'anglais (la seule "hypercentrale"), l'arabe, le chinois, l'espagnol, le français, le russe, l'hindi, le malais, le swahili et le portugais.
Bref, quelle que soit la façon de classer, on retrouve toujours le français !
Et cela devrait continuer car la croissance démographique de l'Afrique francophone va accroître encore son importance numérique.
Neuvième idée reçue : le concept de francophonie serait récent
Nous avons déjà vu que non… et le terme "francophone" est encore plus ancien puisqu'il a été créé par un géographe français, Onésime Reclus, en 1880, dans son ouvrage "France, Algérie et Colonies".
Voilà, nous avons énoncé et corrigé neuf idées reçues sur la francophonie. Force est de constater que cette grande idée généreuse et ambitieuse n'a pas la faveur des médias ; d'une part parce qu'elle est à contre-courant de la pensée unique actuelle (le néolibéralisme, la concurrence à outrance, les droits de l'individu et l'individualisme, l'ouverture à tous les vents, la technologie sans modération…) et d'autre part parce qu'elle crée très peu d'événements susceptibles de "faire l'actualité".
Et d'où viennent donc les éléments de ces cinq billets qui nous ont permis de jouer au jeu des neuf erreurs ?
Ils sont extraits d'un CLOM de l'Université Lyon III, cours que l'on pouvait suivre en ligne sur internet au dernier trimestre 2015 et qui était intitulé "La Francophonie : essence culturelle, nécessité politique". Nous étions 5000 à travers le monde…
Salut en passant à Marijuz, Fatima et Shelton, d'Amérique du Sud et d'Afrique !
PS. CLOM : cours en ligne, ouvert et massif (en anglais MOOC)
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie | Lien permanent | Commentaires (0)
20/02/2016
Accent circonflexe, accent régional, tout fout le camp (addendum)
Sur le sujet de la "rectification de l'orthographe" et de la nouvelle lubie de Mme Belkacem, je viens de lire un point de vue intéressant de Dominique Jamet dans le site "Boulevard Voltaire".
Contrairement à la critique très répandue de la "réglementation de la langue" confiée à l'Académie française par Richelieu au XVIIème siècle, qui s'opposerait à son évolution "naturelle et harmonieuse", D. Jamet rend hommage aux lexicographes comme Furetière, Larousse et Littré qui "ont tenu le grand livre du vocabulaire, du bon usage, de ses enrichissements, de ses apports, de ses évolutions" et aux érudits et écrivains comme Malherbe, Voltaire, Anatole France, Giraudoux et Valéry, qui "ont gardé sa limpidité, sa transparence, son élégance" à notre langue.
Le résultat remarquable en est que nous lisons encore facilement Molière, Corneille, Racine, Montesquieu, Rousseau, Chateaubriand, Hugo, Zola, Romains, Alain et Camus, alors que les auteurs antérieurs à cette vigilance et à cette régulation, Chrétien de Troyes, Villon, Rabelais, Montaigne, nous sont devenus partiellement étrangers.
D. Jamet écrit : "C'est grâce à eux que le français a échappé au misérable destin qu'ont connu le latin ou le grec. Ceux qui ont eu la chance et le bonheur d'apprendre et de pratiquer ces langues mortes sont à même de mesurer la différence de qualité, de pureté, d'harmonie, de correction, entre Cicéron, César, Salluste, Virgile et Saint Augustin, Sidoine Apollinaire ou Fortunat (NDLR : pour le latin), entre Platon, Aristote, Thucydide, Démosthène et Lucien de Samosate ou Clément d'Alexandrie (NDLR : pour le grec)".
Il en déduit que cette "réforme" est nuisible et qu'il faut au contraire préserver le français : "La défense et l'illustration de notre langue, de sa qualité, de sa correction, de sa pérennité, sont ou devraient être l'affaire et le combat de tous".
Et il conclut : "Technocrates, bureaucrates, médiacrates, hommes politiques, journalistes, présentateurs de radio ou de télévision, enseignants même, ont en commun de maltraiter, de malmener, de massacrer le merveilleux outil que leur ont légué nos ancêtres. Gardiens du trésor, ils le dilapident. Une réforme s'impose. Ce n'est pas exactement celle que prône Mme Najat Vallaud-Belkacem".
Léopold Senghor lui aussi parlait de "trésor"...
Et ce blogue, depuis bientôt deux ans, ne dit pas autre chose. Mais la question est de savoir si cette "rectification" abîme la langue ; mis à part la suppression occasionnelle de l'accent circonflexe, je ne le crois pas ; elle n'empêchera aucunement nos arrière-petits-enfants de nous lire dans cinquante ans !
En revanche, il me semble clair que la diversion opérée par le Ministre est purement opportuniste et sans intérêt ; elle devrait avoir bien d'autres combats à mener (comme l'alphabétisation).