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23/06/2016

"Lumières de Pointe-Noire" : critique (I)

En 2012, après 23 ans d’absence, Alain Mabanckou revient au pays natal, le Congo (dit Congo-Brazzaville), et plus précisément dans sa ville Pointe-Noire, sa capitale économique au bord de l’océan. Sa mère et son père adoptif sont morts depuis longtemps, il n’a pas été là pour leurs funérailles, étudiant en France d’abord, puis enseignant aux États-Unis. 

« Lumières de Pointe-Noire », contrairement à ce que je croyais, n’est pas un roman mais un récit ; non pas un récit de voyage mais le récit d’un retour mélancolique et nostalgique au pays de l’enfance peuplé ici de contes et de magie. 

Échaudé par la lecture du « Voyage autour du monde » de Bougainville (à l’adolescence), puis du « Carrousel sicilien » de Laurence Durrell et même par le « Voyage en Italie » de Jean Giono, je crains comme la peste les récits de voyage ; ni vraiment fiction ni vraiment documentaire ou témoignage, c’est souvent le prétexte pour l’écrivain à compilation, plus ou moins en vrac, de souvenirs et d’impressions, sans fil directeur ni scénario ; les Américains d’Hollywood appelleraient ça un « roadmovie »… 

Je ne devrais pas, mais autant vous le dire tout de suite, ce livre m’a déçu.

D’abord il me semble que sa raison d’être est avant tout personnelle (du point de vue de l’auteur), on pourrait dire « thérapeutique », voire « expiatoire » : attaché pourtant à ses origines africaines, il n’a pas mis les pieds dans son pays pendant 23 ans, et on dirait qu’il cherche à se faire pardonner, à rattraper… Le lecteur se sent extérieur à cette entreprise. 

Ensuite le récit (je parle du fond) n’est pas travaillé ; comme disait Michel Audiard, c’est du brut ! Rien n’est vraiment passionnant dans ces anecdotes ou ces réminiscences de contes de la forêt… De la part d’Alain Mabanckou qui professe dans ses cours l’originalité de la vision africaine sur le monde et le rejet de l’exotisme et des stéréotypes, c’est déconcertant. 

Enfants africains devant l'océan.jpgDe plus, et ce n’est pas le moindre, « Lumières de Pointe-Noire », qui raconte à nouveau l’enfance et l’amour de la mère, est le décalque – ou plutôt la matrice, le moule – de son roman « Demain j’aurai vingt ans » paru en 2010 (trois ans plus tôt) et dont j’ai rendu compte le 16 mai 2016. On a donc, en lisant « Lumières de Pointe-Noire » une impression désagréable de déjà vu, et cela sans la transposition poétique et littéraire du roman. 

À dire vrai, j’ai déjà rencontré ce type de miroir ; c’était avec Pierre Magnan qui, dans son roman « Un grison d’Arcadie », transposait de façon poignante des scènes vécues. Quand quelques années plus tard il a écrit les trois tomes de ses mémoires, on a retrouvé les ingrédients du roman et on a vu en filigrane le travail de l’écrivain ; j’ai trouvé ça magique. 

Mais là, avec « Lumières de Pointe-Noire », non… Le livre est agréable et comme d’habitude bien écrit mais le charme n’opère pas, il n’y a pas de souffle car il traduit une démarche personnelle – légitime et sincère – qui ne nous touche guère. D’ailleurs l’hymne à la mère n’atteint pas non plus les sommets dramatiques du « Livre de ma mère » d’Albert Cohen ni encore moins le côté épique du fantastique « La promesse de l’aube » de Romain Gary

Enfin, je trouve que sa « posture » en tant qu’Africain émigré est souvent « donneuse de leçon » envers ses compatriotes dans la même situation, auxquels il reproche « d’avoir oublié d’où ils venaient ». Il leur reproche aussi de « pérenniser l’idée que le salut de tout Congolais passe par l’Europe ». Mais lui, à cheval sur trois continents, n’a-t-il pas oublié le Congo quand il se balade sur la plage de Santa Monica ou quand il entre, sous les applaudissements, dans la magnifique salle Marguerite de Navarre du Collège de France ? Et ne doit-il pas sa remarquable carrière à son arrivée sans le sou à Nantes un beau matin de 1989, année du Bicentenaire ? C’est un peu énervant… 

À suivre.

20/06/2016

Un pays spolié par la corruption

Lu dans le Marianne du 6 mai 2016, sous la plume d’un lecteur (Jack Poisson, de Clermont-Ferrand) : « Il existe en Afrique, ce continent ravagé par la corruption, un petit État spolié par un vieillard et sa famille au pouvoir depuis trente-deux ans.

Ce pays est le Congo-Brazzaville, qui a déjà connu d’atroces guerres civiles. Non seulement le Congo-Brazzaville est un pays martyrisé mais il subit son martyre dans l’indifférence de la communauté internationale. Dans les médias, c’est la loi du silence. Les politiciens ferment les yeux (…). Quant aux associations en tous genres, pourtant si promptes à dénoncer tout et n’importe quoi, elles se taisent. Pourquoi un tel mutisme ?

Le Congo possède du pétrole. C’est peut-être la cause de ses malheurs. Que pèse la vie d’un peuple face aux intérêts financiers et pétroliers ? ».

Pétrole_gas_Congo_Zaïre.jpgSur le même sujet, à propos des fameux Panama Papers, voir cet article dans LE MONDE mis à jour le 7 avril 2016 à 15 h 53 : « Depuis les hôtels luxueux du bord de mer à Pointe-Noire, capitale économique du Congo-Brazzaville, le ballet pétrolier se livre à l’œil nu. Les torchères scintillent au-dessus des plates-formes d’où est extrait l’or noir en eau profonde. On distingue dans la brume les tankers qui glissent au large, chargés de pétrole brut ou raffiné qui assure 75 % des revenus d’un État parmi les plus corrompus d’Afrique. Mais l’essentiel est ailleurs, opaque. Car la richesse de ce petit pays d’Afrique centrale, dirigé depuis trente-deux ans par Denis Sassou-Nguesso, 72 ans – et réélu le 20 mars pour au moins cinq ans supplémentaires – s’évapore dans des complexes circuits financiers offshore que seuls maîtrisent certains membres de la famille au pouvoir et une poignée de traders qui leur sont proches. En 2015, le Congo a produit 290 000 barils de pétrole par jour. Mais plus de la moitié des 4,4 millions d’habitants vit toujours sous le seuil de pauvreté.

Lucien Ebata, 47 ans, est l’un de ces intermédiaires liés à la famille Sassou-Nguesso. Domicilié de l’autre côté du fleuve Congo, à Kinshasa, cet homme d’affaires est à la tête d’Orion Group SA, au capital autorisé de 10 millions de dollars (8,8 millions d’euros). Cette holding établie en Suisse est immatriculée aux Seychelles depuis 2009 par la firme panaméenne Mossack Fonseca, via la société luxembourgeoise Figed, selon les documents consultés par Le Monde. L’activité principale du groupe, qui compte plusieurs filiales, est la commercialisation de produits pétroliers. Parmi ses clients, on trouve la major anglo-néerlandaise Shell, ainsi que la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont Denis Christel Sassou-Nguesso, le fils cadet du président congolais et ami personnel de Lucien Ebata, est directeur général adjoint ».

Le Congo-Brazzaville, eh bien, c’est le pays natal d’Alain Mabanckou !

Et voici ce qu’il fait dire à l’un de ses interlocuteurs sur ces deux questions (la spoliation et le pétrole) dans son livre « Lumières de Pointe-Noire », publié en 2013 : « Le pétrole, c’est le pouvoir ! Quand il y a une guerre, c’est qu’il y a du pétrole (…). Le pétrole a foutu la pagaille entre les nordistes et les sudistes (…). Ah oui, cette guerre, c’était pour contrôler le pétrole, le vendre en cachette et s’acheter des villas en Europe ! Ici le pétrole n’appartient pas au peuple, il appartient au président de la République et à sa famille (…). Le problème c’est que le président, il travaille avec les Français » (page 195).

Je vous en dirai bientôt plus sur ce livre, que je termine actuellement.

16/06/2016

Irritations linguistiques XXVIII : langue de Président, langue de philosophe, langue de patron

On avait souffert de la diction particulière de M. Chirac, de ses césures intempestives et de ses « euh… » qui ne l’étaient pas moins.

François Hollande discours.jpgOn est à peine mieux loti avec le président actuel, M. Hollande, qui a sa syntaxe à lui. Jugez-en : « La France, elle a fixé ses conditions, la France, elle a dit s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n’a pas accès aux marchés publics et si en revanche les États-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l’on fait ici, je ne l’accepterai pas » (cité par Bruno Rieth dans le Marianne du 29 avril 2016). N’a-t-il pas appris à faire des phrases simples – sujet, verbe, complément – ? 

 

Dans le même numéro, c’est Régis Debray qui répond à une question sur la confusion entre l’idée de république et celle de démocratie : « En 1989, nous étions déjà gallo-ricains. Mais il y avait encore du jeu. Vingt-sept ans après, nous sommes devenus des Ricains pur sucre, et de bon cœur. Nous avons donc pris les étiquettes d’outre-Atlantique, d’où le brouillage des cartes. L’ancienne gauche républicaine se rêve en parti démocrate (…). Et l’ancienne droite démocrate s’appelle les Républicains. À part le roquefort et le refus très provisoire des spots payants de campagne électorale, je ne vois plus un trait de notre vie publique qui ne soit pas importé de la métropole.

Cela dit, au titre près, les tempéraments de base restent les mêmes, hérités de l’Histoire et en particulier de la Révolution (…). On me dit par exemple que certains officiers dans notre armée totalement otanisée s’expriment encore en français alors que les ordres reçus sont en anglais, tout comme les lettres de M. Moscovici, commissaire européen, à M. Sapin, ministre de son état ». 

Écoutons maintenant M. Drahi, qui va coiffer les journaux qu’il a achetés, de son opérateur téléphonique qui va ainsi devenir : « un éditeur de contenus cross media s’appuyant sur un très diversifié portefeuille de marques premium ». 

Fanzone.jpgEn ce moment, il y a aussi les fan zones qui nous écorchent les oreilles. J’en tenais pour responsables le snobisme et la paresse de nos concitoyens, surtout de leurs élites… Eh bien je me trompais ! C’est une invention de l’UEFA, qui l’impose aux pays d’accueil de l’Euro de football. À vrai dire, ce n’est pas la seule incongruité qui apparaît quand on se documente sur l’organisation de ces compétitions : l’UEFA laisse les pays payer la mise à ses normes de leurs stades mais empoche les recettes ; elle prend carrément la main sur une partie du service d’ordre et sur les fameuses zones où elle a toute latitude pour laisser les marques « partenaires » matraquer les spectateurs avec leurs publicités ! Vous avez dit sport ? Vous avez dit spectacle ? Pauvre société de consommation ! 

J’ai eu un doute l’autre jour en entendant un journaliste parler des « littoraux français » (France Inter, la matinale du 9 juin 2016)… Mais oui, c’est bien le pluriel de « littoral », qui ne se comporte pas comme « festival » et « carnaval » !

J’ai entendu aussi « boycottage », alors que les gens utilisent en général « boycott ». Pourquoi pas ? Autant franciser les emprunts en leur donnant un mode de construction et une consonance familiers. 

Amélie Nothomb.jpgIntrigué et agacé par le succès commercial des Musso et Lévy (Marc, pas B.-H.), j’avais lu et commenté dans ce blogue leur dernier livre (l’histoire de la baudruche…). Je n’ai pas encore fait de même avec Amélie Nothomb mais l’entrefilet d’Alexandre Gefen à son sujet dans le Marianne du 6 mai 2016 ne m’encourage guère à me lancer : « Un nom belge, un chapeau de sorcière sur le melon, un sourire inusable, un discours parfaitement calibré pour une sortie de Seconde (…). Amélie, le culte du moi et des plateaux-télé (…). Capable de vous fournir le même roman pas trop long, pas trop cher, chaque année ; à l’heure de cadeaux de dernière minute pour votre nièce ado, vous penserez Nothomb ».

 

Enfin, dans le même numéro, le sociologue Christopher Lasch parle de ego branding pour désigner l’incessante auto-promotion à laquelle se livrent les responsables publics sur les réseaux sociaux.