17/12/2015
Père sévère
Décidément le blogue de Marie-Anne Chabin est une mine, et un régal !
Je viens de lire son billet "Persévérance" et je ne sais pas quoi louer...
Il y a d'abord cette facture très classique de ses billets, avec un titre, un début et une fin, très construits et en général avec un jeu de mots, un trait d'humour, une longue introduction sinueuse et pertinente pour en arriver au sujet, tout à fait dans ma manière à moi.
Mais je trouve que ses développements sont plus fouillés et plus aboutis que les miens : emprunt à plusieurs domaines de connaissance différents, étymologie, points de vue philosophique, historique… Elle doit y passer beaucoup de temps et le résultat est souvent meilleur que le mien, et plus court, bien que moins "militant" et plus "fataliste" peut-être.
Elle a eu nombre d'idées amusantes ; par exemple, de faire des séries de billets avec un suffixe prédéterminé dans le titre (c'était -ule, c'est maintenant -ance, comme "Persévérance"). D'où des séries année après année, regroupées par suffixe du titre ("Texticules acidulés" pour l'année dernière…).
Mais, à vrai dire, si j'en parle et si je prends le risque de mettre en valeur la production d'une "concurrente", c'est pour ses états d'âme sur la pérennité de son travail d'écriture, tout à fait semblables aux miens.
Jugez-en, public !
"Car j’ai décidé de persévérer dans l’écriture de ce blogule et de me lancer dans une cinquième année, même si ma persévérance frise l’obstination. En effet, les blogs sont en train de passer de mode. Comme le souligne Loïc Le Meur, pionnier des blogs au tournant du siècle, les blogs comme outils de conversation sont obsolètes et l’échange, aujourd’hui, a migré vers les réseaux sociaux (voir l’article de Vincent Glad dans Libération du 8 septembre 2015).
Si le nombre de commentaires ou de likes est le seul critère de réussite, mon blog est sans doute un échec. Cependant, je veux espérer que la mesure de la réussite, pour les blogs comme en toutes choses, ne se cantonne pas à la quantité.
Pour ma part, me référant à Guillaume d’Orange plutôt qu’à un autre, la motivation de l’action (si on estime que ce que l’on fait sert à quelque chose) et la satisfaction d’avoir agi plutôt que de n’avoir rien fait sont mes critères de choix.
J’ai créé mon blog pour exprimer mes impressions personnelles et professionnelles face à la société de l’information, sans coller à une actualité trop éphémère, et en m’imposant une règle oulipienne d’écriture, en référence à Raymond Queneau. Or, la société de l’information est toujours critiquable et j’ai toujours plaisir à écrire ces texticules hebdomadaires.
Conclusion : je persévère.
Du reste, l’audience de mon blog, où des billets d’il y a plusieurs mois ou années sont régulièrement consultés, correspond à mon attente, sans parler de tout ce que cela m’apprend. Quant à parler ou non de réussite, il faudrait préciser les critères de jugement. Et s’il faut être jugé, il est préférable d’être jugé par ses pairs. Des pairs sévères, évidemment".
N'est-ce pas remarquable ?
Dernier point : elle vient de rempiler pour sa cinquième année (mais ses billets sont hebdomadaires)...
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Blog | Lien permanent | Commentaires (0)
10/12/2015
Suis-je vraiment à toi ?
Imaginez-vous qu'il existe des "coachs en image" (ça vaut bien les wedding planner, non ?). Par exemple, Aude Roy, qui s'est intéressée aux formules de politesse que nous utilisons (ou non) à la fin de nos courriels.
On voit bien le lien avec "l'image" que nous donnons : la formule peut être inadaptée, incorrecte, prétentieuse, fade, administrative, etc.
Le Figaro Madame (eh oui, il faut être éclectique !) lui a consacré un article le 16 novembre 2015, sous la plume de Lucile Quillet.
Quelles sont donc les recommandations d'Aude Roy ?
D'abord de conclure avec une formule qui regarde vers l'avenir (elle dit "vers le futur" mais, pour moi, c'est incorrect).
"Ne pas mettre de formule de conclusion constitue un manque de politesse".
"… Il faut donner un rendez-vous futur, soit physique, soit téléphonique ou via un autre courriel (elle dit "via un autre mail" mais vous savez ce que j'en pense…)".
Ensuite de bannir le "bien à vous", traduction servile de l'américain "sincerely yours". En français, pourtant moins puritain, cela peut être interprété de façon ambiguë. "Vérité en-deça des Pyrénées, erreur au-delà" (Pascal). C'est vrai qu'en aucun cas, je ne suis "à mon correspondant" !
Aude Roy tolère "Cordialement" (que je trouve néanmoins passe-partout, omniprésent et impersonnel), "Bien cordialement" et même "Très cordialement". Fait surprenant, elle accepte aussi "Sincèrement", "Très sincèrement" et "Sincères salutations", qui nous rappelle, à nous autres, les belles formules des lettres d'antan ("Veuillez agréer, chère Madame, l'expression de mes sincères salutations" ; ça avait du chien, non ?). Mais "Salutations distinguées" est jugé trop solennel, même si l'on écrit au grand patron.
Les formules "Amitiés" (destinée à une personne avec laquelle des liens se sont créés), "Chaleureusement" (destinée à une personne plus âgée) sont également possibles.
Moi, j'aime bien la sobriété, voire le dépouillement, sauf exception ; après tout, on est au bureau pour travailler, non pour se faire des guili-guili… Mais Aude accepte un bref "Salutations" du bout des lèvres...
Et comment signer ?
Éviter un simple "Q." si vous vous prénommez Quentin, de même que "BOUCHER Quentin" (nous ne sommes plus à l'école) et "Quentin" (on n'est pas au foot mais au travail), et encore moins "Jean" car les homonymes doivent être nombreux dans la boîte.
L'ego maintenant : nul besoin d'étaler une "signature électronique" déclinant les innombrables moyens modernes de vous joindre ! Restez sobres et pragmatiques ; qui va vous contacter sur Facebook ? est-il vraiment utile de mentionner votre blogue (sauf si vous êtes Alain Juppé ou Michel Onfray) ? Pas de photo non plus ni de logo, qui appesantissent inutilement vos courriels (pitié pour les réseaux !).
Aude résume l'idéal comme suit : "Moins vous en mettez, plus vous vous rendez désirable".
07/12/2015
Nouvelles du front
"La France incarne tout ce que les fanatiques religieux haïssent : la jouissance de la vie ici, sur terre, d'une multitude de manières, une tasse de café qui sent bon, accompagnée d'un croissant, un matin ; de belles femmes en robes courtes souriant librement dans la rue ; l'odeur du pain chaud ; une bouteille de vin partagée avec des amis, quelques gouttes de parfum, des enfants jouant au jardin du Luxembourg, le droit de ne pas croire en Dieu, de ne pas s'inquiéter des calories, de flirter et de fumer, et de faire l'amour hors mariage, de prendre des vacances, de lire n'importe quel livre, d'aller à l'école gratuitement, de jouer, de rire, de débattre, de se moquer des prélats comme des hommes et femmes politiques, de remettre les angoisses à plus tard, après la mort.
Aucun pays ne profite aussi bien de la vie sur terre que la France.
Paris, on t'aime.
Nous pleurons pour toi. Tu es en deuil ce soir, et nous le sommes avec toi".
Voilà donc, d'après Éric Brunet (Valeurs actuelles, 26 novembre 2015) ce qui a été publié dans le New York Times, par un anonyme, en anglais, quelques heures après les attentats du 13 novembre 2015.
C'est ce qui s'appelle de la francophilie et ça fait chaud au cœur.
Dans le même numéro, André Bercoff rend compte d'une mission en Syrie ; le ministre du Tourisme de Bachar al Assad rappelle : "En 1960, 40 % de la population parlait encore français. Ils ne sont plus que 1 % aujourd'hui".
Quant à Philippe Barthelet, il s'insurge contre le temps "futur" employé, selon lui, de façon incantatoire par les politiques. Par exemple, par le Président de la République, qui annonce "L'état d'urgence sera décrété", alors que l'on aurait attendu de sa part : "est déclaré", voire "a été déclaré". On pourrait ajouter que le mode passif (donc impersonnel) n'est pas non plus adapté ; pourquoi ne pas dire "J'ai décrété l'état d'urgence" ?
C'est bizarre cet emploi du futur car, dans la vie courante, a contrario, on l'évite sans cesse au profit du présent : "Je t'appelle" ou bien "Je passe à 17 heures" ou bien "Vendredi prochain, je ne suis pas là"...
Faut-il rappeler, enfin, la confusion permanente, plutôt orthographique et grammaticale, entre "futur" et "conditionnel" ? "Demain, je serais au cours de gym", au lieu de "Demain, je serai au cours de gym". Avec, à la base, une confusion sur la prononciation ("è" fermé au lieu de "é" ouvert).
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)