13/06/2016
Alain Mabanckou : ses leçons au Collège de France (V)
Après un détour d’un mois par quelques livres d’Alain Mabanckou, nous revenons à son cours au Collège de France, en l’occurrence sur celui du 10 mai 2016 ; il répondit aux détracteurs de son « Sanglot de l’homme noir ».
Ce jour-là (le 10 mai...) évoque différentes choses aux Français… Pour Alain Mabanckou, c’est la commémoration de l’abolition de l’esclavage en France métropolitaine, suite à la loi Taubira.
Petit rappel historique :
Journée commémorative de l'abolition de l'esclavage en France métropolitaine
Le président de la République française, Jacques Chirac, a décidé de faire du 10 mai la Journée commémorative de l'abolition de l'esclavage en métropole : l'occasion pour la France métropolitaine d'honorer le souvenir des esclaves et de commémorer l'abolition de l'esclavage.
La date du 10 mai correspond à l'adoption par le Parlement, le 10 mai 2001, de la loi Taubira "reconnaissant la traite négrière transatlantique et l'esclavage".
Commentaire lu sur le site journee-mondiale.com :
Hideo (contribution publiée le 8 mai 2014 à 15:05)
"Aujourd'hui, l'esclavage existe encore.
- en Afrique, on vend des jeunes filles, on force les mariages, on vend les enfants, on fait de l'immigration un vrai trafic d'êtres humains. Certaines ambassades africaines en France pratiquent l'esclavage envers leur personnel. Sous couvert d'immunité diplomatique, des diplomates africains sont impunis. Il faut changer la Convention de Vienne et punir ces gens qui n'hésitent pas à traiter de racistes ceux qui les dénoncent.
- En Amérique du Sud, on exploite les enfants dans les mines.
- En Asie, les grandes marques de textiles utilisent les enfants pour fabriquer des vêtements de marque, vendus très chers.
L'histoire de l'esclavage avant la colonisation : les royaumes africains faisaient de la vente d'esclaves noirs sur le marché international de Djeddah en Arabie et le Hadje de la Mecque était un piège pour beaucoup d'Africains qui se retrouvaient vendus comme esclave. Encore maintenant en Arabie, il existe des ventes clandestines d'esclaves. Sans compter les pauvres ouvriers indiens, pakistanais et bengalis qui travaillent au Qatar pour construire la Coupe du monde et qui sont traités comme des animaux.
Les Pharaons, les Romains, Sparte, Athènes, Genghis Khan, Alexandre Le Grand, tous ont conquis leur puissance grâce à l'esclavage des peuples vaincus.
C'est l’histoire réelle des peuples du monde et cela ne se résume pas seulement à la sombre époque coloniale africaine. C'est ridicule et criminel de vouloir opposer et culpabiliser les seuls Blancs, au motif que certaines associations à caractère raciste font du clientélisme anti-blanc. C'est inacceptable dans le pays des droits de l'homme et, à l'étranger, on juge sévèrement cette attitude typiquement française, y compris parmi la communauté noire américaine.
Alors cessons de raconter tout et n'importe quoi (…). C'est tous unis, quelle que soit la couleur de notre peau, notre origine ethnique, notre religion, que nous vaincrons l'esclavage et que nous rendrons un noble hommage à tous ceux qui ont souffert et qui sont morts à cause de l'esclavage et de la folie humaine".
Bon, ce jour-là, Alan Mabanckou choisit donc d’illustrer et de défendre son livre de 2012 « Le sanglot de l’homme noir », dont j’ai déjà rendu compte. Il considère que ce livre a été interprété au-delà de ce qu’il voulait dire et cité hors contexte (sur des sites d’extrême-droite d’une part et, à l’opposé, sur slate.afrique par des Africains d’autre part).
On l’a en particulier accusé de « porter les valises des Blancs »... Mais ce qui l’intéresse, ce sont les douleurs des immigrés, qui sont les siennes. Pour lui, l’autocritique des Africains (et pas seulement celle des Européens) est nécessaire pour comprendre ce qui est arrivé.
Son premier chapitre est une « lettre à Boris », son fils né d’une Française de Guadeloupe et qui n’a jamais vu l’Afrique, pour qu’il ne s’arrête pas aux préjugés.
Il n’y a pas de communauté noire en France car ce peuplement ne s’est pas fait comme aux États-Unis. D’où le concept de négritude. En particulier, pour lui, il n’y a rien de commun entre les différents Noirs qui habitent en France car ils ne partagent que la couleur de peau et la langue ; ce sont des « citoyens de l’alternative » car ils peuvent toujours rentrer dans leur pays d’origine, contrairement aux Noirs américains. Il y a même un contentieux entre les Noirs américains et antillais, et les Africains, ces derniers étant accusés d’avoir contribué à la traite triangulaire (il est vrai qu’il y a eu des « collabos noirs »). D’une façon générale, il y a des chocs de cultures entre Noirs d’origines différentes.
Il recommande le livre « Le devoir de violence » de Ouologuem, qui évoque l’esclavage par les Arabes et les notables africains.
« Lorsque le Malien Yambo Ouologuem publie "Le devoir de violence" en 1968, il obtient le prix Renaudot (une première pour un écrivain africain) et déclenche un véritable coup de tonnerre (pour la première fois, la complicité active et féroce des notables africains dans certains des pires aspects de la société est dépeinte et mise en cause au même titre que celle du colonisateur). C'est aussi dans ce roman que Ouloguem forgea le terme de "négraille" par dérision envers la "négritude" de Senghor, qu'il réfute sans pitié » (critique empruntée au site littéraire Babélio).
Au total il regrette que son livre ait été critiqué sur ces thèmes, alors qu’il en abordait bien d’autres. Il a même reçu des menaces de la part de mouvements noirs…
Mais il est optimiste : « Le monde de demain est un monde de courtoisie » (voir son colloque du 2 mai 2016 au Collège de France, dont je rendrai compte).
Dans sa conclusion, Alain Mabanckou revient sur la commémoration de l’abolition. En 1948, on célébrait plus l’assimilation que l’abolition (on effaçait les douleurs, on oubliait…). Mais commémorer, c’est reconnaître un crime contre l’humanité !
Au bout d’une heure, on se dit que, bien sûr, le thème de réflexion est légitime, qu’il concerne à bon droit les Noirs de France et d’ailleurs, que la position de notre écrivain est équilibrée et humaniste… mais qu’on est quand même très loin de la littérature.
La Chaire a bon dos (et la chair est faible).
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie, Histoire et langue française, Mabanckou Alain | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2016
Irritations linguistiques XXVII : franglais journalistique, Hauts de France, conteneur et raccord
Chaque jour, presque chaque chronique journalistique, nous apporte son lot de sujets d'irritation, de découragement et de commisération.
Dernier avatar en date : la revue de presse d'Hélène Jouan, sur France Inter, le 26 mai 2016. Voici deux perles de cette chroniqueuse :
- "Si Nicolas Beytout est le seul à outer...". "Outer" semble être une création de la dame ou, à tout le moins, un néologisme des "gens de Paris qui sont modernes", construit à partir de "out" (au dehors), sur le modèle de "outing" apparu pour qualifier la "déclaration publique" d'homosexuels connus pour autre chose que leur homosexualité et la révélant à cette occasion. Pour la dame, "outer" servirait donc à dire "s'exprimer", voire "se lâcher" ou carrément "exploser", "laisser parler sa rage"... Tout ça pour ça ?
- "Ils veulent hacker 2017...". Même punition (pour nous) : Hélène Jouan ne connaissant ni le mot "pirater" (pourtant guère correct...) ni le mot "préempter" (pourtant à la mode chez les technocrates) ni tout simplement les mots "confisquer", "dénaturer", "confisquer", "manipuler", etc., elle invente "hacker", en référence aux pirates informatiques qui déchiffrent les codes d'accès et font du dégât dans les sites internet et les systèmes d'information des entreprises multinationales.
Bien embêtée par la mission impossible de trouver un nom fédérateur associant la Picardie (région historique et géographique), le Nord (qui ne veut rien dire) et le Pas de Calais (département justifié géographiquement mais non historiquement), la nouvelle grande région présidée par M. Xavier Bertrand s'est trouvé un nom : les Hauts de France... évitant ainsi le piège de la frustration de telle ou telle composante. Certes mais c'est rigolo de se dire que ladite région a comme département proche, un qui a tout fait pour ne plus s'appeler la "basse" Normandie. C'est bien connu, il est préférable de faire partie de la haute !
Le Nouvel Observateur a trouvé ce nom incohérent (la vaste plaine de la région est en réalité la plus basse de France en altitude et n'est en amont de rien du tout), la Voix du Nord et le Parisien ont donné la parole à des historiens et troubadours picardisants, les uns promouvant "le Nord" (rappelez-vous Michel Galabru dans les Ch'tis, morceau d'anthologie), les autres "Picardie" tout simplement. Tous rappelant que l'Oise, historiquement, appartient plutôt à l'Île de France, berceau de la nation.
Retour à France Inter... Le 27 mai, j'entends parler de "container". Je croyais que cela avait disparu (comme hardware et software !) grâce à la proximité formelle et sémantique de "conteneur" : même longueur, même phonétique, même sens, même étymologie. Mais qu'est-ce qui peut donc pousser ces journalistes à utiliser encore "container" ? Moi, je sais ! Ce sont des snobs qui pensent, les pauvres, que la légère consonance anglaise rehausse le niveau et l'intérêt de leur discours.
Il y a une expression qui m'intrigue et m'amuse : "ça fait raccord", "c'est raccord avec ceci ou cela". D'où cela peut-il bien venir ? Quelle en est la motivation cachée ? Montrer l'importance de l'intégration, du nivellement, de la soumission, de l'absence d'aspérité, du "pas de vague"... ? J'attends des suggestions et des avis !
07:34 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
26/05/2016
Irritations linguistiques XXVI : dictionnaires, illettrisme et français à Bruxelles
Un condisciple de l’École des Nobel m’écrit que je dois être content que le terme alumni entre au(x) dictionnaire(s)… Le pauvre, il n’a pas tout compris. Non seulement je suis totalement opposé à cette mode qui veut que les Associations d’Anciens Élèves des Grandes Écoles – en particulier celles de la moribonde ParisTech – remplacent le terme explicite « Anciens Élèves » par le terme américain, d’origine latine, « alumni » (je n’y vois aucune raison autre que le mimétisme imbécile envers l’Empire…) mais encore je rappelle obstinément que les dictionnaires sont des entreprises commerciales, dont l’un des rares avantages concurrentiels est d’attraper plus de mots « nouveaux » que les autres.
Pour preuve, cet article du Figaro (extrait) : Larousse contre Robert : dans les coulisses de la guerre des mots par Mohammed Aissaoui, mis à jour le 18/05/2016
« Le Petit Larousse et Le Petit Robert se livrent à une bataille sans merci. L'enjeu est économique et commercial – près d'un million d'exemplaires vendus chaque année. Et chacun se veut le plus moderne en intégrant toujours plus de mots nouveaux, quitte à tomber dans le piège de la mode et de l'éphémère.
C’est tout juste si on n'utilise pas des méthodes dignes de l'espionnage pour savoir ce que trame le concurrent. Il faut dire que ces encyclopédies se retrouvent dans la plupart des foyers – il s'en vend environ un million d'exemplaires chaque année ; près de 2,5 millions d'exemplaires si l'on tient compte des dérivés (junior, bilingue, poche…) ».
Autre sujet d’irritation (ou de démoralisation) : Un jeune sur dix en grande difficulté de lecture par Marie-Estelle Pech, mis à jour le 18/05/2016 dans le même Figaro.
« Après une période de baisse entre 2010 et 2013, notamment chez les garçons, la part des jeunes en grande difficulté de lecture a augmenté légèrement en 2015, et ce quel que soit le sexe, selon la Direction des études statistiques du Ministère de l'Éducation.
Selon les évaluations effectuées à l'occasion de la Journée « Défense et Citoyenneté (JDC) » qui concernait, en 2015, plus de 770 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans, 9,9 % d'entre eux ont de « très faibles capacités de lecture », voire sont en situation d'illettrisme (Ils étaient 9,6 % en 2014). Tous se caractérisent « par un déficit important de vocabulaire ». L'étude fait en outre part d'une augmentation des « lecteurs médiocres ». Ils sont 9,4 % en 2015 contre 8,6 % en 2014. Ces jeunes sont obligés de compenser leurs lacunes de vocabulaire pour parvenir à une « compréhension minimale » des textes.
On compte 80,7 % de lecteurs efficaces en 2015 contre 81,8 % en 2014 parmi les jeunes appelés de 16 à 25 ans. Sans surprise, les difficultés de lecture sont en grande partie liées au niveau d'études : 42,7 % de ceux qui n'ont pas dépassé le collège sont en difficulté contre 3,7 % pour ceux qui ont suivi des études générales ou technologiques au lycée. Plus d'un quart des jeunes évoquant un niveau CAP ou BEP présentent également des difficultés. Comme les années précédentes, la fréquence des difficultés de lecture est, en France métropolitaine, plus prononcée dans des départements du Nord ou entourant l'Île-de-France. En région parisienne, la part des jeunes en difficulté varie de 4,6 % à Paris, à 11,5 % en Seine-Saint-Denis. Concernant l'outre-mer, les pourcentages sont nettement plus élevés : autour de 30 % pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, 48 % en Guyane et 75 % à Mayotte.
Ces comparaisons « doivent toutefois être maniées avec précaution ». En effet, ces résultats concernent des jeunes de nationalité française, qui représentent environ 96 % des générations scolarisées en France, cette proportion pouvant être sensiblement différente d'un département à l'autre. De plus, les jeunes participants n'ont pas tous le même âge. Certains jeunes, en proportion variable selon les départements, ne se sont pas encore présentés à la journée défense, « et l'on sait, de par les précédentes enquêtes, qu'ils auront globalement de moins bons résultats que les autres », observe l'étude.
Le pourcentage de jeunes en grande difficulté est très différent selon le sexe : 11,3 % des garçons contre 8,4 % des filles. De fait, les garçons réussissent moins bien les épreuves de compréhension. Ils témoignent plus souvent d'un déficit des mécanismes de base de traitement du langage écrit. Les différences entre les garçons et les filles s'observent en particulier pour les niveaux d'études les moins élevés. À partir du niveau baccalauréat, les performances des garçons et des filles ne sont pas significativement différentes ».
Dernier point de ce billet : l’effondrement (programmé, consenti, laissé dans l’ombre) du français dans les institutions européennes. Le Marianne du 8 avril 2016 indiquait que « le pourcentage des documents européens qui sont rédigés en français est passé de 40 % en 1997 à 5 % en 2014 ». La messe est dite ; les Ravis de la crèche de la construction européenne et de la francophonie pourront toujours nous répéter que tout va bien, les faits sont là, déprimants… « Sur la même période, le pourcentage des documents en anglais est passé de 45 à 81 %... (La Grande Bretagne) a réussi la colonisation linguistique de l'Europe avec l’aide efficace des idiots utiles de l’intérieur ». Elle a d’ailleurs également réussi sa colonisation néo-libérale… je ne sais pas quelle est la plus grave des deux.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie | Lien permanent | Commentaires (0)