Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/11/2019

M. Macron et la francophonie (I)

On connaissait la start-up nation et autres fariboles néolibérales du Président de la République française mais il restait, dans cet océan de  globish, un îlot de beau langage diplomatique ou administratif : celui des tribunes officielles et des lutrins, cadrés plein champ par les télévisions du monde entier (quand celles-ci s’intéressent à la France…). Devant ou derrière nos dirigeants, Président ou Premier Ministre, figurait le titre de la conférence ou du rendez-vous, en bon français, bien calligraphié et avec les accents sur les majuscules, s’il vous plaît !.

Mais hélas, mille fois hélas, le passage de M. Macron dans l’Océan indien, dans les Comores, puis à la Réunion, a fait voler en éclat cette belle tradition, maintenue jusqu’ici par notre Administration.

Stupéfaction, derrière le Président de la République, lors de sa conférence de presse, nous avons pu voir un énorme « Choose La Réunion », digne des pires logos inventés par les communicants de nos belles régions (voir mon billet du 30 septembre 2019 sur Only Lyon and co.).

Choose La Réunion.jpg

(on notera la mention « TM » à côté du logo, preuve que c’est du sérieux, des fois que les Américains songeraient à nous le piquer !)

Le site réunionnais Linfo.re explique : « Cet après-midi, il rencontre de nombreux chefs d’entreprises lors du forum "Choose La Réunion". Un forum avec pour objectif de renforcer l’attractivité de l’île auprès des investisseurs français et étrangers ». D’accord mais comment peut-il s’afficher devant un logo en anglais, alors que notre Constitution proclame : « La langue de la République est le français » (soit dit en passant, heureusement que les rédacteurs de la Constitution de 1958 ont pensé à écrire cet article 2 ! Car aujourd’hui, vu l’empreinte anglo-saxonne sur nos dirigeants, il serait impossible de l’y inclure. Merci Charles de Gaulle et Michel Debré !).

Allez, pour la route, cette photo de M. Le Maire, ministre de l’économie du gouvernement français, devant une affiche tout aussi belle :

Choose Africa.jpg

Cela ne nous rassure pas !

28/10/2019

Irritations linguistiques LVIII

Et ça continue, encore et encore (refrain connu)…

Pendant que « le français fait de la résistance » (voir l’un de mes récents billets), les mots et la syntaxe anglais (j’accorde le genre sur le masculin de « mots » qui joue ici le rôle de neutre) envahissent le français et le transforme en franglais.

La faute aux médias, aux publicitaires, à tous ceux qui considèrent encore que coller au modèle américain et donc à sa langue est une marque de modernité et de dynamisme.

Ainsi Peugeot vient-il de mentionner dans ses réclames télévisées, en plus de son logo motion & emotion, « unboring the future »… Pour une publicité en France, à l’heure du dîner ! Comment se fait-il que les passionnés de sondages et d’enquêtes n’aient pas encore testé la compréhension de ce message par les Français ? Qui donc le comprend ? Une minorité évidemment… mais les publicitaires – et Peugeot – s’en moquent puisqu’il s’agit de faire moderne et de montrer sa place éminente dans la concurrence mondialisée.

Suite aux élections européennes, on apprend que la liste LAREM « Renaissance » s’est fondue dans le groupe Renew du Parlement. Belle dissolution !

Vu dans le RER A (réseau de transport régional francilien) début octobre 2019, cette annonce déterminante pour notre avenir : « drive devient getaround »… La première dénomination pouvait encore parler aux Français à qui on a lavé le cerveau avec les Auchan drive, après l’échec (oublié) des cinémas drive-in. Mais getaround ?

Et que dire de la fascination des médias pour la forme en –ing de l’anglais ; après footing que nous étions les seuls à utiliser est venu jogging. Et aujourd’hui on fabrique nous-mêmes des Hollande bashing et des flight shaming (à savoir « honte à ceux qui continuent à prendre l’avion ») à tour de bras…

Sur Cnews (quel beau nom de baptême !), j’ai entendu parler, le mardi 10 septembre 2019, d’un métier important à l’hôpital : bed manager. Quand on manque de lits pour accueillir les malades dans l’hôpital public, certains manifestent dans la rue ou font grève, et d’autres inventent des noms ronflants (à savoir, fleurant bon le management supposé efficace des Anglo-saxons) ; c’est beaucoup plus confortable, les cache-misère.

En septembre, j’ai aussi lu un article sur les vieux homosexuels ; pour leur venir en aide, on parle maintenant de senior homos pride

Marianne s’interroge dans son numéro du 29 mars 2019 sur la possibilité d’échapper aux GAFAM et cite quelques exemples de « résistants ». Parmi eux, Tariq Krim, promoteur du mouvement slow web. On lit dans l’article que le deuxième âge du web celui qui nous a grisés (!) a été celui de la convivialité : « qui nous a fait découvrir le chat, les tweets, les emojis et les followers ». Rien que des mots anglais dans la phrase ! Pas étonnant car toutes ces inventions et leur mise en œuvre sont le fait des Américains ; on s’est précipité comme un seul homme dans leur utilisation et on les a appelés, en français, par leur nom – anglais. Optimiste le promoteur du web du temps long indique : « Nombreux sont ceux qui, comme moi, souhaitent mettre cette vision en œuvre mais n’arrivent pas à convaincre nos gouvernants, encore subjugués par les apparats de la réussite économique des grands acteurs américains et chinois ». En effet…

Dans le Marianne du 28 juin 2019, Laurent Ottavi revient sur le traité de Versailles (28 juin 1919), critiqué, pour des raisons différentes, par Keynes et Bainville et termine son article par ces mots : « Comme un symbole, l’anglais, en tant que seconde langue officielle du Traité de Versailles, avait mis fin en 1919 à l’usage exclusif du français dans la diplomatie européenne depuis Utrecht (en 1713). Au grand dam de la France, la roue de l’histoire avait tourné ».

21/10/2019

Les mots (français) à la mode IX

Bien sûr il y a « du coup », expression impropre qui s’est répandue si rapidement et si largement qu’elle en est devenue quasiment un tic ; combien de personnes commencent aujourd’hui systématiquement leur phrase ou même leur prise de parole par « du coup ». C’est énervant mais on sait que ces modes disparaissent un jour, comme elles sont apparues ; et surtout, leur promotion et leur succès n’ont pas de « coulisses » ni de groupe de pression « à la manœuvre ». Il serait intéressant d’étudier comment elles naissent et comment elles s’installent dans le langage courant, de façon virale, mais l’enjeu de cette invasion est nul. Trois petits tours et puis s’en vont !

Autrement plus problématique est l’expansion du mot « féminicide ». Il doit être facile d’en identifier la paternité ; ou plutôt la « maternité », pour rester dans le sujet, puisque Mme Schiappa ne doit pas être loin de la source, dûment cornaquée qu’elle a dû être par des associations féministes et/ou de victimes. J’imagine qu’un arrêté, un décret ou un projet de loi a dû officialiser la chose, à savoir qu’un homicide commis par un homme sur sa compagne ou son épouse, dans le registre des « violences conjugales » ne devrait pas s’appeler « un homicide » mais « un féminicide »… Étonnant, d’ailleurs, que le genre masculin ait été conservé pour ce substantif (ah si ! c’est normal puisque c’est un homme qui le commet !). Les médias ont sauté sur le vocable comme s’il révolutionnait l’approche et l’ont popularisé. L’Académie, elle, n’a pas pipé mot…

Le hasard (ou plutôt la synchronicité) a voulu que j’ouvre le Marianne du 12 juillet 2019 au moment où je rassemblais des idées pour un nouveau billet de ma rubrique « Les mots français à la mode ». En tête figurait comme chaque semaine maintenant l’éditorial de Natacha Polony. Il était intitulé « Le féminicide ou l’art de mal nommer » (avec une référence à Albert Camus) et il était, quasiment comme chaque semaine, excellent.

Mme Polony ne s’est pas intéressée au mot en tant que tel ni au processus qui l’a fait naître mais au fond de l’affaire. Que dit-elle ?

Que le sujet des violences conjugales est évidemment dramatique et révoltant.

Que sa prise en compte demande avant tout des moyens importants et rapides.

Que l’emploi d’un mot nouveau avait pour but de signifier que, non seulement les femmes sont les premières victimes de ces violences mais qu’en plus elles seraient tuées « parce que femmes ». La justice devrait donc considérer qu’il est plus grave de tuer une femme qu’un homme ? Dans ce cas, ce ne sont plus les femmes que l’on défendrait mais les hommes que l’on combattrait, détruisant ainsi « l’universalisme qui est la plus belle conquête des Lumières » !

Elle considère que « féminicide » est « un néologisme forgé comme un slogan pour effacer le complexité du réel » et que « le terme masque le fait que l’homme qui tue sa conjointe ne le fait pas parce qu’elle est une femme mais parce qu’elle est sa femme et que leurs relations sont pathologiques ».

Savourons la conclusion de Mme Polony, qui nous ramène à notre sujet : « La guerre idéologique contre l’universalisme, relais supposé de la domination masculine, se joue d’abord dans la langue, à coups d’expressions et de concepts que les médias reprennent sans aucun recul, parce que le recul ne saurait avoir cours dans un combat pour le bien. Et c’est ainsi que, pour la bonne cause, les Lumières s’éteignent ».