27/06/2019
Émerveillements linguistiques : les caractères diacritiques de l'Administration française
Bravo l’Administration et en particulier les services du Ministère de l’Intérieur !
En effet, sur le site qui permet d’apporter son soutien à la proposition de loi de certains Parlementaires sur le statut d’Aéroports de Paris, voici ce qu’on lit :
Contrairement à ce qui se passe dans certains formulaires sur internet et malheureusement sur les sites de certaines banques – même enracinées dans la ruralité… –, on peut saisir les caractères diacritiques de la langue française, en premier lieu desquels : les accents.
Adèle H. et Mme de Clèves ne seront donc pas affublées ni du prénom Adele ni du titre de noblesse Cleves… Ouf !
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
20/06/2019
Émerveillements linguistiques : la langue selon François Bizot
François Bizot était au Cambodge en mission d’ethnologie lorsque les Khmers rouges ont imposé leur dictature folle et commencé à martyriser leur peuple dans une paranoïa sans limite. Fait prisonnier, il réussit à établir un dialogue avec son gardien, qui acceptera de le libérer. C’est ce qu’il racontera trente ans plus tard dans « Le portail » (Éditions de la Table ronde, 2000).
En 1988, lors du procès des tortionnaires, il reconnaît son geôlier, Douch ; commence alors pour lui un douloureux processus de réflexion sur la violence, la responsabilité, la culpabilité, la nature profonde de l’homme, qui renvoie entre autres à Hannah Arendt et ce qu’elle a écrit à la suite du procès d’Eichmann. C’est l’objet de son livre de 2011, « Le silence du bourreau » (Flammarion).
François Bizot était allé au Cambodge au début des années 70 pour fuir « le formalisme qui battait alors son plein en France ». Il s’attelle à une tâche dantesque : traduire pour les protéger des manuscrits bouddhistes anciens.
Voici donc ce qu’il écrit de la traduction et de l’importance de la langue : « Traduire, c’est établir des ponts ; c’est projeter une pensée, une langue, hors d’elle-même. C’est contourner son esprit dans une gymnastique extrême, jusqu’à glisser d’une façon de voir à l’autre pour la restituer avec son étrangeté, en veillant à ne rien gommer, à ne pas l’adapter à nos propres images, à créer en soi un espace suffisant pour en accueillir de nouvelles, sans les banaliser, sans en noyer le message spécifique ni les réduire aux limites de notre propre langage, c’est-à-dire du monde dans lequel il nous avait jusque-là été donné de regarder, d’aimer, d’exister.
Une langue se distingue d’une autre par son style, exactement comme un peintre se remarque à sa façon singulière de considérer la nature. Comparer des langages humains, mettre en balance des adéquations, transposer dans un système ce qui se trouve exprimé dans un autre, c’est apprendre à peser des acceptions de termes tirées d’une vision différente de la vie ; la tâche réside dans notre plus ou moins grande disposition à réviser la nôtre. Pour cela, il faut effectuer un saut, et ce saut n’est pas un déplacement, c’est une transformation » (pages 68-69).
Dans « Le portail », voici ce qu’il écrit également page 91 de l’édition « La table ronde » : « J’avais horreur de communiquer en français avec des Khmers : les phrases me semblaient plates, vides de sens, parce que ce ne sont pas seulement les mots qui diffèrent d’une langue à l’autre, ce sont aussi les idées qu’ils traduisent, les façons de penser et de dire. Je ne pouvais rendre dans ma langue ce que j’avais à expliquer à mon bourreau. Les liens qui étaient en train de s’établir entre nous dépendaient totalement de notre capacité à nous comprendre, sur un terrain commun ; et ça ne pouvait se faire que dans sa langue ».
Ce qui prouve bien, entre autres, que les publicitaires qui communiquent – soit disant – avec nous en anglais à longueur d’affiche et de scénettes télévisées n’ont rien d’important à nous dire…
17/06/2019
Nouvelles du front (linguistique) X
Lu dans Le Figaro.fr le 24 mai 2019, cet article de Claire Conruyt, rapportant une information du quotidien The Times, reproduisant lui-même un avis de l’agence de recrutement Indeed (ouf !) : les employeurs britanniques exigent plus souvent la maîtrise de l’allemand que celle du français lors de leurs recrutements.
Et la journaliste de parler de « désamour du français au profit de l’allemand » et d’en imputer la cause à la situation économique britannique, elle-même conséquence du Brexit annoncé (et encore jamais acté)… Évidemment ! On nous refait le coup du référendum de 2005, non plus pour nous faire accepter un projet de constitution néo-libérale mais pour nous empêcher d’imaginer quitter un jour cette Union européenne où il fait bon vivre.
Mais quels sont les chiffres ? « Sur un million de postes, 1 221 avaient pour condition la maîtrise de l’allemand. En deuxième position venait le français : soit 1 152 postes ». Si l’on compte bien, cela fait une différence de 69 postes, sur 1M, soit 0,007 % ! N’est-ce pas une tempête dans un verre d’eau ?
Plus inquiétant peut-être est la dynamique : « +11,6 % ces dernières années pour les postes exigeant l’allemand, contre seulement +1,2 % pour celles exigeant le français ». Comme on le voit, la statistique est précise...
Mais notre journaliste semble siffler la fin du match sur un score nul puisqu’elle note : « L’étude des options allemand et français dégringole. Comme le précise The Times, le nombre d’élèves britanniques préparant le GCSE ou le A-level – des examens qui ont lieu au cours des deux dernières années de leur éducation secondaire – a baissé d’un tiers par rapport à 2013. Entre 2017 et 2018, l’étude des options allemand et français a baissé de 29 % ». Bon, les Anglais, peu gourmands de langues étrangères car n’en ayant pas besoin et les apprenant de moins en moins, au moment de quitter un espace où ils les entendaient de temps à autre, est-ce vraiment une surprise ?
Finalement le plus intéressant dans cet article, ce sont les commentaires de quelques-uns de ses lecteurs ; certains calculent les pourcentages, relativisent, trouvent l’article mal construit, peu convaincant et son titre racoleur et alambiqué, tandis que la plupart s’auto-flagellent, accusent nos gouvernants (surtout socialistes !) et justifient, en citant Schopenhauer, les moqueries dont la France serait l’objet en Europe.
Concernant la qualité de l’article, on ne peut que leur donner raison car il est loin de respecter aussi bien la structure thèse-antithèse-synthèse qu’un squelette QUI-QUOI-QUAND-COMMENT et encore moins la logique d’une démonstration… C’est « en vrac ».
Et c’est sans parler de la typographie dont la journaliste (ou ses relecteurs) semble ignorer les règles minimales : un espace (insécable) avant « : » et avant « % », un espace (insécable) avant « et après », pas d’espace avant « . ».
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Données chiffrées sur le français | Lien permanent | Commentaires (0)