26/12/2019
Irritations linguistiques LXI
Dans le Marianne du 27 septembre dernier, Benoît Duteurtre intitulait sa chronique « L’Europe allemande… en anglais dans le texte ! » en soulignant que la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, avait prononcé son discours programmatique, évidemment, en anglais ou plutôt en globish, alors qu’elle parle plusieurs langues, dont le français. On aurait attendu qu’elle s’exprimât en allemand…
Benoît Duteurtre va plus loin que de déplorer un mépris assumé pour la diversité linguistique de l’Union européenne – on a envie de dire « diversité consubstantielle » : pour lui, c’est la preuve que « l’UE reste d’abord une machine au service de la mondialisation et un moyen d’étendre au Vieux Continent des modèles venus d’outre-Atlantique ». C’est bien envoyé ! Et, soit dit en passant, il est quand même étonnant que cette opinion ne soit pas plus répandue (je ne parle pas bien sûr des « élites » qui bénéficient de cet état de fait mais du peuple, qui n’en peut mais).
L’Union européenne, par ses pratiques, sa passivité et son « alignement » a déçu tous les espoirs que l’on pouvait placer dans une Europe pacifiée, coopérante et respectueuse de sa diversité culturelle ; il faut croire que construire cette Europe-là était trop difficile pour les Pères fondateurs et leurs successeurs (MM. Mitterrand, Chirac et Jospin compris) et qu’ils ont préféré la facilité : un modèle uniformisateur, néo-libérale et ouvert aux quatre vents du monde.
« L’UE soumet ses institutions au tout-anglais devenu, sans aucune décision officielle, la langue de représentation de l’Union ». Pour un Jean-Claude Juncker, autre polyglotte, qui décide, suite au Brexit, de ne plus s’exprimer qu’en allemand ou en français, pour un André Vallini qui menace de boycotter un Conseil des ministres européens après avoir appris qu’il devait se tenir en anglais, combien de Donald Tusk « qui ne semble voir dans l’Europe qu’un moyen de devenir américain » ?
Où est le problème ?
- L’Union européenne est la seule entité politique dans le monde à s’exprimer dans une langue technique, étrangère à la majorité de ses habitants ;
- Or le choix d’une langue est une adhésion à une façon de penser, un vocabulaire, une syntaxe ;
- Ce choix divise le public européen en deux catégories : ceux qui comprennent le sabir et les autres.
De même, le choix démocratique de la langue de travail dans les projets de recherche européens (BRITE, ESPRIT, etc.), prévu par les textes, n’a jamais été utilisé, à ma connaissance… Ceux d’entre nous qui réclament que le débat ait au moins lieu, que le choix ne soit pas toujours et systématiquement celui de l’anglais, passent pour des ringards, des chauvins ou des empêcheurs de tourner en rond.
Et le Président de la République française, sourire aux lèvres et bras de chemise, montre un exemple déplorable à chaque fois qu’un micro non français lui est tendu (voir mon billet du 6 novembre 2019).
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
19/12/2019
Les mots du bitume
« Les mots du bitume » est le titre d’un livre de la linguiste Aurore Vincenti, éreinté (à juste titre, me semble-t-il) avec beaucoup d’humour par Samuel Piquet dans le Marianne du 14 septembre 2018.
Quelle était donc la raison de l’irritation de notre chroniqueur ? C’est le fait que certains intellectuels (français), dont fait partie, manifestement, Mme Vincenti, « voient dans les néologismes les plus insignifiants le signe d’un immense progrès ». Cette dame considère que la création de mots comme « askip » (contraction de « à ce qu’il paraît ») est une grande richesse. Elle les appelle les mots du bitume, en d’autres termes les mots de la rue.
Si ça tombe, les intellectuels en question étaient de ceux qui avaient moqué Mme Royal parce qu’elle avait parlé de « bravitude » (au lieu de « bravoure »).
Y a-t-il de quoi fouetter un chat ?
Après tout, on utilise bien « à plus » (pour « à plus tard »), qui est cent fois mieux que le ridicule « à très vite »… Et il y a quelques décennies, des étudiants avaient inventé l’expression imagée « je craque ».
Samuel Piquet considère cependant que oui, parce qu’il doute de la capacité de nombreux Français de « changer de trottoir », c’est-à-dire de parler le français en même temps que la langue de la rue, de savoir adapter son vocabulaire au contexte et aux situations. Voici comment il explique cela : « Mais tous les Français savent-ils jouer à merveille avec les registres de langue ? Il y a fort à parier Queneau et on ne saurait trop leur conseiller de laisser béton le bitume » ! En effet, les piètres résultats de nos jeunes contemporains en lecture et écriture lui donnent entièrement raison (cf. mon billet du 12 décembre 2019 sur la nouvelle enquête PISA). Si, pour certains, la langue de la rue devient LA langue, alors il y a de quoi s’inquiéter : ces mots de la rue, en plus d’être éphémères, sont « un marqueur social discriminant ». Alain Bentolila, un autre linguiste, estime que 10 % de la population française ne maîtrise que 500 mots !
En fait Mme Vincenti veut peut-être nous rassurer : le français est bien vivant, « comme si le péril qui la menace actuellement était la sclérose ». Non, la menace est ailleurs : c’est la disparition encouragée du passé simple, le bannissement de certains accords (« les arbres et les fleurs sont belles »…), la simplification de l’orthographe, etc. (il paraît que le Club des Cinq d’Enyd Blyton a été entièrement retraduit car trop difficile !).
La conclusion de Samuel Piquet est logique : « Il n’est pas interdit d’utiliser le langage du bitume (…) à condition qu’on ne laisse plus régner en maîtres sur l’école, ceux qui confondent grande littérature et textos et qui prennent l’argot pour de l’art brut (…) Ceux qui seraient prêts à donner notre langue aux tchats ».
Tout Eddy !
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Société, Vocabulaire, néologismes, langues minoritaires | Lien permanent | Commentaires (0)
12/12/2019
Renforcer sa maîtrise du français augmente la moyenne générale d'un étudiant
Marie-Christine Corbier faisait le point le 2 décembre 2019, dans Les Échos, à la veille de la publication des résultats de l’enquête internationale PISA sur la « compréhension de l’écrit », qui en est le thème dominant cette année.
Pour les jeunes Français, ce n’est pas fameux !
Un professeur de lettres modernes en BTS avoue : « On est obligé de tricher dans les évaluations pour ne pas sanctionner la qualité de l’orthographe ou de l’expression (…) Le niveau de nos étudiants en français est un vrai problème ».
Un enseignant en licence confirme : « Ils ne savent pas écrire correctement, ne maîtrisent ni la syntaxe ni la grammaire ni le vocabulaire, et ne savent pas lire correctement un énoncé. Le pire (…), c’est qu’ils n’ont pas conscience de l’importance de la langue et de la communication écrite ».
Consternant et inquiétant, au pays de Montaigne, Corneille, Chateaubriand et Hugo !
Et le problème vient de loin ! Du CM1 !
Bien pire, la performance des élèves français baisse constamment au fil des enquêtes…
Seule lueur d’espoir, à condition qu’il y ait justement une prise de conscience : un professeur de l’Université Paris-Est à Marne la Vallée a montré que « les étudiants incités à travailler le français ont vu leur moyenne générale augmenter de l’ordre d’un point et c’est aux étudiants les plus en difficulté que cela a le plus profité ». En l’occurrence c’est la consultation régulière de la plateforme Voltaire qui permettait ce renforcement de la maîtrise du français (en d’autres temps, on consultait le dictionnaire pour un oui pour non).
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Données chiffrées sur le français, Société | Lien permanent | Commentaires (0)