09/05/2015
Marques d'infamie (IV)
Ma moisson continue, il suffit de se baisser pour ramasser dans les journaux et dans les pubs de la télé, de pleines brassées de "signatures" de marques en anglais.
L'article de Boulevard Voltaire que je citais le 6 mai dernier avait détecté : « Creative technologie » (Citroën), « Motion and Emotion » (Peugeot) et « Life is a beautiful sport » (Lacoste).
Mais DS Automobiles affiche "Spirit of avant-garde" et Volkswagen, en plus de "Das Auto", "Think blue L'innovation responsable", Samsung "Next is now", Toshiba "Leading innovation"...
Parfois, ça va plus loin : des pubs entièrement en anglais. Après celle de Renault, dont ICB me dit que le sous-titrage est écrit en caractères si petits que seuls les anglophones la comprennent, il y a la chanson qui accompagne celle de Peugeot, qui ne peut faire autrement qu'imiter son concurrent français, dans ses excès les plus déprimants (pub, rémunérations des dirigeants…).
Je viens de découvrir à la télé celle de Lancôme, "Advanced Génifique" (sic !) qui est également entièrement en anglais sous-titré. Je crains vraiment, si la France d'en-bas ne réagit pas, que cela devienne la règle. Mettez-vous à la place des marques : c'est tellement plus facile de faire réaliser un seul film, en anglais, et ensuite de le sous-titrer dans les dix langues qui comptent dans le monde ; une seule actrice ou mannequin, un seul décor, un seul scénario et roule ma poule. Quelle économie !
Il y a de temps en temps une éclaircie : avant-hier, j'ai vu dans la rue une voiture de la société EAV qui était "siglée" : "l'assainissement au sens propre". Fortiche et drôle, non ?
Veolia (pourquoi pas Véolia ?) veut simplement "Ressourcer le monde". Sobre, à défaut d'être modeste.
Notons aussi l'acronyme de la fameuse marque de chaussures de sport A.S.I.C.S. : anima sana in corpore sano. Magnifique (et que je dédie à Mme Belkacem).
Allez, au total, c'est trop triste… contemplons encore une fois la beauté pure :
06:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
08/05/2015
Retour en Kabylie
J'adore la synchronicité, les associations d'idées, les raccourcis, et les boucles. Alors quand j'attaque "Passion en Kabylie" (Gallimard, 2014), ce petit livre de Gilles Kepel associé à "Passion arabe" et à "Passion française", et que je découvre que c'est le récit de son pèlerinage dans le Djurdjura sur les traces de Mohammed Arkoun, qui a été son professeur à Paris, je suis aux anges. Et effectivement, à regarder de plus près la couverture, on voit que Gilles Kepel tient dans ses mains la biographie écrite par la fille du philosophe algérien "Les vies de Mohammed Arkoun" dont j'ai rendu compte dans ce blogue.
Gilles Kepel a un indéniable talent de conteur : il passe d'un thème à l'autre avec fluidité, c'est presque comme une phrase unique qui se déroule pendant 23 pages.
Il chemine, sous escorte quand même, vers le village natal d'Arkoun, Taourirt Mimoun, où son guide sera le propre frère cadet de l'érudit.
Comme dans Passion arabe, Gilles Kepel accorde beaucoup d'importance aux langues. Nous aussi. Voyons donc ce qu'il écrit : "Contrairement au reste du pays, où les panneaux indicateurs sont tous bilingues français-arabe, je ne vois plus rien d'écrit dans cette langue-ci depuis le dernier barrage et le renforcement massif de notre escorte, comme si nous avions passé une sorte de frontière. Parfois l'arabe a été barbouillé de noir, comme le FLNC s'y amuse pour les toponymes français sur la signalétique routière de l'île de Beauté. Ici, un panneau a été repeint à neuf en blanc, puis rédigé à nouveau en lettres noires : à la place de l'arabe, les noms de lieux sont transcrits en caractères latins qui reproduisent la prononciation kabyle standardisée : Tizi Wezzu / Tizi Ouzou".
Gilles Kepel remarque que la tribu des Beni Yenni avait la réputation de réaliser les plus belles parures de l'Algérie, en corail enchâssé d'argent. Or, à proximité, il n'y a ni corail ni mines d'argent ! C'est un peu l'automne à Pékin, mais à l'envers. Et c'est amusant car Sylvie fait profession de la création de bijoux. Bon sang ne sautait mentir, à quelques générations de distance...
La suite est pittoresque, à la Giono (mais dans un style littéraire bien différent) : l'enterrement selon le rite musulman, la maison de Mohammed, son bureau, l'épisode des figues, l'intrusion de la touriste japonaise, jeune et jolie semble-t-il, qui cache son passeport dans un endroit imprévisible et qui voyage seule en autocar dans une zone dangereuse...
Un couple le reconnaît car il passe souvent à la télé (française) et ici, la télé a remplacé les livres, qui n'arrivent plus en Algérie.
Dans le village, il y a ceux d'en-haut et ceux d'en-bas ; c'est quasiment proustien...
Et on comprend à la fin qu'il est passé tout à côté d'un repaire d'islamistes qui a fait allégeance d'abord à Al-Qaïda, puis récemment à Daesh et que c'est là, une semaine plus tard qu'a été capturé et assassiné Hervé Gourdel, le 24 septembre 2014. L'horreur rejoint la nostalgie et la beauté des paysages, la "passion" devient celle du supplicié…
Sur l'Algérie d'aujourd'hui et ses contrastes - la baie sublime d'Alger et la misère urbaine par exemple -, il faut voir le film de Merzak Allouache "Les terrasses".
06:00 Publié dans Actualité et langue française, Histoire et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
06/05/2015
Angine
Mon fidèle lecteur FPY s'étonne que je n'ai pas encore réagi au nouveau nom de GDF Suez, géant de l'énergie qui devient ENGIE.
C'est vrai. D'une part je ne l'ai appris que récemment, d'autre part je suis fataliste (eh oui…) sur cette affaire des noms de marque, achetés à prix d'or aux agences de comm. et devenus une sorte de point de passage obligé pour les dirigeants de multinationales qui veulent faire parler d'eux, paraître moderne ou peut-être cacher quelques turpitudes.
Parlons-en donc, puisque FPY le demande !
Dès la fusion voulue par Dominique de Villepin et réalisée très laborieusement en 2005, GDF Suez n'était plus ni une entreprise publique ni une entreprise française. Dès lors pourquoi s'étonner ou s'inquiéter qu'elle choisisse un nom plus ou moins français ou plus ou moins anglo-saxon ?
Le sigle GDF n'était pas utilisé par Gaz de France à l'époque parce que cette marque était déposée (par quelqu'un d'autre). C'est pour cela que l'on parlait d'EDF et Gaz de France, au temps de l'héritage de la Libération et des grandes lois de 1946.
Tout cela a été balayé par l'absorption de Gaz de France par SUEZ, conglomérat belgo-français incluant déjà Electrabel en Belgique et maintenant une filiale en Grande Bretagne ; rien que du meccano industriello-politique habituel, mais dont l'originalité était que Nicolas Sarkozy avait juré ses grands Dieux (lesquels ?) que Gaz de France ne serait jamais privatisée, avec sa célèbre formule : "C'est clair, net et précis"…
SUEZ, c'est une histoire industrielle et financière plus que centenaire puisqu'elle remonte au canal de Suez. Un journal avait ainsi pu titrer "les sept vies de SUEZ".
Bref, si l'on réfléchit un peu : que faire de GDF dont on veut se débarrasser depuis le début ? que faire de SUEZ qui des Pyramides à l'eau, en passant par les travaux publics, ne veut plus rien dire ? que faire de ce sigle hétéroclite et imprononçable ? En changer, tout simplement !
Le nouveau sigle est-il à consonance anglaise ? Sans doute mais pas plus que de nombreux autres. Pour moi, c'est un enfumage de plus, un enterrement de première classe pour les deux entreprises ; on rebat les cartes et on passe à autre chose.
On ne sait pas comment le prononcer, dit-on… C'est vrai mais pas plus que Avoriaz ou Cassis.
Moi, ça m'évoque les Rolling Stones, avec leur scie commerciale et pleurnicharde. Et c'est là que le coup de M. Mestrallet trouve ses limites, lui qui voit dans le sigle "Un nom simple et fort, qui évoque l’énergie pour tous et dans toutes les cultures". Il est bien le seul.
FPY me fait remarquer que le site "Boulevard Voltaire" m'a brûlé la politesse sur ce coup-là. Je l'admets volontiers et suis allé y voir. Ce qui m'a surtout intéressé dans l'article, c'est qu'ils évoquent mon autre dada : les petites phrases qui accompagnent les sigles, que le journaliste-pourfendeur de franglais appelle les punchlines.
Voici ce qui est écrit à propos de celle de ENGIE :
Bon, le plus beau vient après. Avec le slogan idoine, la punch line adéquate : « By people for people », ce qui ne veut à peu près rien dire, mais qui en jette. Ça aussi est censé être compréhensible par le commun des petits Terriens : « Par le peuple et pour le peuple », ou un truc approchant. Oui, il paraît que l’heure est à la mondialisation, ce qui n’est pas fondamentalement faux. Mais dans cette mondialisation, on avait cru comprendre que la « marque France » était aussi un atout de première ampleur. Il est à craindre que non. Alors, pourquoi le faire en « english » ; pardon, en « globish », puisque c’est de ce sabir n’entretenant que de lointains rapports avec la langue de Conan Doyle qu’il s’agit désormais ? Good question. Pareillement, il sera tout aussi licite de se poser la question qui suit : why toutes ces sociétés censées porter le savoir-faire français de par le vaste monde communiquent-elles toutes in english ? Citroën ?« Creative technologie »… Peugeot ? « Motion and Emotion ». Lacoste ? « Life is a beautiful sport ».
On en apprend tous les jours, c'est ça qui est bien avec la pub.
À propos de pub, vous avez vu que Renault, dont le président s'augmente dans des proportions indécentes, sans contre-pouvoir, a osé faire diffuser une pub entièrement en anglais, sous-titrée ?
06:00 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (3)