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28/10/2014

Écrivains contemporains et langue française (IV)

Vous allez me dire : « un gars disparu à la fin de la Deuxième guerre mondiale, n’est pas vraiment notre contemporain ! ». Bien sûr, vous avez raison. Mais outre le fait que j’ai sous le coude un texte de lui qui cadre parfaitement avec le thème de ma série de billets sur les écrivains, ce gars-là est une « pointure », un penseur hors pair, un visionnaire qui a impressionné André Gide par sa puissance de réflexion.

 

Ambroise Paul Toussaint Jules Valéry, dit Paul Valéry, est un écrivain, poète et philosophefrançais, né à Sète (Hérault) le 30 octobre1871 et mort à Paris le 20 juillet1945.

Poète influencé par Stéphane Mallarmé, il privilégia la forme, le sens étant laissé à l’appréciation du lecteur (!). Il fréquenta Pierre Louÿs et André Gide, et fut ami de la fille de Berthe Morisot et d’Édouard Manet.

Ses réflexions sur le devenir de la civilisation et sa vive curiosité intellectuelle en ont fait un interlocuteur de Raymond Poincaré, Louis de Broglie, Henri Bergson et Albert Einstein (source : Wikipedia).

 

Dans « Regards sur le monde actuel », 1931, voici ce qu’il dit de la langue française :

« Le premier fruit intellectuel d’un peuple est son langage…

Ce langage est formation statistique, qui serait assez variable, et le serait parfois très rapidement, si cette mobilité et si les différenciations locales anonymes pouvaient se développer anarchiquement et altérer sans obstacles le son et le sens des mots, ainsi que la syntaxe.

Mais ce travail incessant se trouve plus ou moins contrarié par des volontés ou des sensibilités qui s’opposent à la moyenne, et dont la puissance s’impose à celle du nombre, qu’elle appartienne à des individus ou à des institutions, ou même à des agglomérations dans lesquelles le commerce des idées est particulièrement intense. Ici, comme en économie, plus les échanges sont actifs, plus il importe que les conventions, les poids, mesures et monnaies soient stables et bien définis.

 

En France, à diverses époques, et concurremment avec l’action des œuvres des écrivains, le langage a été fixé ou modifié consciemment en quelque mesure, tantôt par la Cour, tantôt par l’Académie, tantôt par l’enseignement d’État ; et enfin (et comme tant d’autres choses françaises), par l’action de Paris, et par la concentration à Paris de la production et de la publication des idées.

NDLR : jusqu'ici, vous avez compris ?

La langue évolue n’importe comment, aléatoirement, et ça bousille tout sur son passage, sauf s’il y a des garde-fous et des surveillants. Et en France, c’est le cas depuis François 1er.

 

Toutes ces influences se sont exercées dans le sens d’un tempérament réciproque des facteurs hétérogènes dont j’ai parlé. Il en est résulté quelques caractères spécifiques du français qui le distinguent assez profondément des autres langues occidentales.

 

Le français bien parlé ne chante pas. C’est un discours de registre peu étendu ; une parole presque plane. Nos consonnes sont toutes remarquablement adoucies. Quant à nos voyelles, elles sont plus nombreuses et plus nuancées que dans les langues latines ou germaniques. L’e muet nous est une ressource particulière en poésie.

NDLR : le meilleur est à venir…

27/10/2014

Écrivains contemporains et langue française (III)

Robert Sabatier, né le 17 août 1923 à Paris et mort le 28 juin 2012 à Boulogne-Billancourt est un écrivain de parents auvergnats mais élevé à Paris. C’est ce qui explique que sa saga d’Olivier, en huit volumes, raconte l’histoire – autobiographique – d’un petit parisien de Montmartre qui passe ses vacances à Sorgues et à Saint-Chély d’Apcher : Les Allumettes suédoises (1969), Trois sucettes à la menthe (1972), Les Noisettes sauvages (1974), Les Fillettes chantantes (1980), David et Olivier (1986), Olivier et ses amis (1993), Olivier 1940 (2003), Les Trompettes guerrières (2007).

Il a aussi écrit une Histoire de la poésie française en neuf volumes ;

Robert Sabatier fait partie de L'Auvergne des douze dénombrés par Jean-Pierre Leclerc, en compagnie de Blaise Pascal, Chamfort, Jules Vallès, Pierre Teilhard de Chardin, Valéry Larbaud, Jules Romains, Henri Pourrat, Georges Bataille, Alexandre Vialatte, Jean Anglade et Georges Conchon (éditions  Trois Arches, Chatou, 1993).

 

Voici ce que disait de Robert Sabatier l’hebdomadaire Valeurs actuelles le 11 mai 2007 : « Son écriture, dépouillée à l’extrême, son style, percutant à force de simplicité, tiennent lieu de modèle en ces temps de verbiage intempestif ».

Un avis personnel ? Dans les « Allumettes suédoises », Robert Sabatier dresse un catalogue de tous les objets et lieux de son enfance. C’est un témoignage intéressant sur l’ancien temps, c’est documentaire mais interminable… Dans le même esprit, j’avais préféré les mémoires de Louis Bled.

« Les Noisettes sauvages » se passe en Haute-Loire, lors de ses séjours chez ses grands-parents. J’ai préféré. Ensuite je me suis lassé…

 

Un exemple de son style ? Voici un extrait de « Dessin sur un trottoir » (1964) :

« J'imagine que ma grand-mère vit encore. Je prends le train pour Langeac, puis l'autocar cahotant qui me conduit à Saugues. Les pins, les genêts, les sorbiers, les fougères, l'odeur des étables, la charrette de foin qui bouche la route, la puissance des vaches attelées, la manière qu'a le paysan de tenir l'aiguillon qui les guide, entre trois doigts, comme un porte-plume...

Je la rejoins près de la fontaine. Visage de cuir sombre qu'éclairent des yeux bleus. Coiffe simple : tout juste un bonnet serré par un ruban noir qu'une épingle à tête verte a fixé dans les cheveux blancs, aux anses tressées au-dessus des oreilles.

Elle attend son tour pour poser son bidon sur la double barre de fer en regardant les bœufs qui s'abreuvent dans le bassin. Elle prend la température de la journée ».

Ajout du 3 novembre 2014

Dans Marianne du 7 juillet 2012, Guy Konopnicki s’interroge sur l’examen de français du Brevet des collèges ; allant plus loin que le collectif « Sauver les lettres », qui considère qu’il est seulement à peine du niveau de la sixième, il le place au niveau de l’ancien certificat d’études primaires. Il en veut pour preuve les lettres de Poilus de la Grande Guerre qu’il a eu à relire ; « ces ouvriers et paysans, qui avaient quitté l’école à 12 ans, écrivaient un français simple et clair, avec fort peu de fautes de grammaire et d’orthographe. Or nous lisons aujourd’hui, sous la plume de diplômés de l’enseignement supérieur, une effroyable mélasse de vulgarité, d’anglicismes et de locutions préfabriquées ».

Et de saisir l’occasion de louer le français de Robert Sabatier, qui venait de disparaître (Robert, pas son français), lui qui n’avait même pas pu fréquenter le collège, ce qui l’a mené à l’Académie… et qui écrivait « une langue populaire et raffinée, totalement dépourvue de cette vulgarité dont usent les cuistres quand ils prétendent faire parler les gens du peuple ».

26/10/2014

Écrivains contemporains et langue française (II)

Jacques Laurent-Cély, né le 5 janvier 1919 à Paris, mort le 29 décembre 2000 à Paris, est un journaliste, romancier, et essayiste français, était Académicien depuis 1986, est à la fois l’auteur de « Les sous-ensembles flous » (1981) et de « Les bêtises » (prix Goncourt 1971), et, sous le pseudonyme de Cécil Saint-Laurent, des fameux « Caroline chérie » (1947), saga sous la Révolution française. Militant royaliste dans sa jeunesse, il devient ensuite anarchiste de droite ; son nom reste associé au mouvement littéraire dit des Hussards, avec Antoine Blondin, Michel Déon et Roger Nimier (source : Wikipedia).

Écrivain prolifique, polémiste, engagé politique, c’est aussi un personnage de roman. Dans ses derniers jours, Jacques Laurent demanda à son ami Christophe Mercier d’aller jusqu’à La Hune pour y acheter Le Vicomte de Bragelonne afin d’y affronter ce que ce passionné d’Alexandre Dumas refusait de lire depuis toujours : le récit de la mort de Porthos dans la grotte de Locmaria. Il la lut enfin et décida alors de prendre congé de ce monde…

 

Il a aussi écrit, et c’est là qu’il nous intéresse, « le français en cage » (1988), livre dans lequel il s’insurge contre les interdits abusifs de la langue française.

Comme on va le voir, sa position est en fait plus nuancée.

Je reproduis ici, quasiment in extenso, l’entretien qu’il avait accordé à un journal d’entreprise « La vie électrique ».

 

« Les interdits… parviennent presque à dégoûter les gens de leur langue et à conférer à ceux qui connaissent quelques-uns de ses pièges, une supériorité sur les autres.

… cet état de fétichisme dans lequel vit une partie du public, qui sentirait le français s’abîmer sous lui si on supprimait les quelques petits jeux de farces et attrapes qui émaillent notre langue.

 

Le principal danger qui menace le français est la détérioration de sa syntaxe, en particulier l’oubli du sens du subjonctif. C’est dramatique (sic).

 

Je suis aussi choqué en écoutant la radio et la télévision. J’entends fréquemment les expressions « au plan de » (au lieu de sur le plan de), « le midi » (au lieu de à midi), un médicament qui s’avale « par voie orale ou buccale » (au lieu de par la bouche)… c’est grotesque. Les journalistes ont une grande responsabilité car ils s’adressent à un large public.

 

Je suis cependant très indulgent avec l’orthographe… une faute ne me révolte pas. Voltaire, qui était un puriste en matière de construction de phrase et de choix de vocabulaire, disait : « L’orthographe, je m’en fiche, je laisse cela à mon imprimeur ».

 

Le français, actuellement (NDLR : en 1988), n’est pas vraiment en péril. Peut-être le sera-t-il en 1992, lorsque l’Europe se fera. L’anglais deviendra, si nous n’y prenons pas garde, la seule langue de communication (NDLR : quel don prémonitoire !).

Nous avons une espèce de docilité coupable envers les pays anglo-saxons, surtout les jeunes, qui préfèrent souvent une expression anglaise à une expression française.

Mais j’applaudis à l’arrivée de vocables étrangers qui nous manquaient et auxquels nous ne pouvions donner un équivalent (NDLR : c’est en partie contradictoire avec ce qui précède. Et où se situe la limite entre la docilité coupable et l’accueil reconnaissant ?). Entrer en lutte contre week-end est inutile.

Comme écrivain, j’ai un rapport privilégié avec la langue. En cas de doute, c’est le Littré que je consulte. Je le lis même par plaisir. Il est amusant de constater combien le sens des mots a évolué depuis le XIXè siècle.

Ainsi le mot dévisager signifiait : déchirer le visage avec les ongles et les griffes.

Glauque… désignait un beau vert mêlé de bleu.

 

… les écrivains peuvent, selon leur caractère, choisir de cultiver la concision ou la surcharge, la correction ou la négligence. J’avoue pratiquer les unes et les autres… Je me corrige très peu. J’écris d’un jet. En me relisant, j’ai tendance à faire comme Stendhal, à rajouter des mots et des phrases (NDLR : j’aurais écrit « à ajouter »). Flaubert, au contraire, coupait et recoupait dans ces textes pour être le plus concis possible. Je pense qu’un écrivain ne doit pas avoir envie d’être trop parfait (NDLR : si « parfait » est le maximum atteignable, on ne doit pas parler de « trop parfait » ; néanmoins, le plus-que-parfait existe… c’est une histoire à la Raymond Devos !).