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25/10/2014

Irritations VI : enfants de pub !

France 2, Journal télévisé du 20 octobre 2014, 20 h 30…

David Pujadas aborde le sujet de l’envahissement de notre langue par l’anglais dans le quotidien professionnel par un petit reportage (merci à ICB qui me l’a signalé).

Il fait son introduction en franglais, parsemée de business, cool, fashion, talk, break et débriefer.

L’enquête est menée dans une agence de pub digitale (sic) : deux collègues travaillent devant l’écran et un appareil décompte le nombre de mots franglais : 18 en 2 min 30 ! À la volée, j’ai relevé : templates, user-friendly, sur le front et sur le back

Puis la journaliste passe aux publicités : elastic binding, nextyear, le mois du must, etc. Et la pub TOTAL, que j’avais remarquée dans les rues : entièrement en anglais !

Une voix pénétrée de l’importance de son message nous dit que l’anglais apporte une « stature » aux marques, même de luxe (sic)… On aurait pu penser que dans le luxe, justement, les marques françaises n’en auraient pas besoin et même que le français était leur marque de fabrique, leur garantie d’authenticité. Je suis convaincu que c’est le cas mais ces gens sont snobs et par ailleurs, doivent justifier leur salaire et leur supposée compétence…

 

Et d’interroger deux Français dans la rue : l’un dit que c’est comme ça, on ne peut rien y faire, l’autre que c’est dommage car le français est une belle langue. Avec des Français comme eux deux, sûr qu’on va gagner la guerre économique et vaincre le chômage…

 

Et d’invoquer la loi Toubon, qui a vingt ans… et qui a quelques succès palpables : GE condamnée pour avoir essayé d’imposer l’anglais à ses salariés, s’en souvient certainement. L’an dernier, 43 marques ont vu leur publicité censurée (NDLR : qu’est-ce que ça serait s’il n’y avait pas de censure, quand on voit que TOTAL y a échappé ?).

 

Malheureusement, malgré la très bonne intervention de Jacques Toubon, qui place le débat sur la protection des droits des personnes et des salariés, le reportage n’en appelle à aucune réaction particulière, ne propose aucune échappatoire, ne mentionne pas les mouvements de défense du français ni les efforts de l’Académie et du Haut Comité…

 

La France courbe l’échine, elle n’a plus de ressort…

 

Pendant que ce reportage passait, je faisais autre chose… en vérité, je lisais le programme télé.

Et qu’est-ce que j’y voyais ?

En première partie de soirée : MENTALIST, CAM CLASH, WALL-E, RUSH HOUR 3, ONCE UPON A TIME, ULTIMATE RUSH, soit 6 titres anglais sur les 19 chaînes du programme.

Mais, à d’autres moments de la journée : Money Drop, Baby boom, Harry, Slam, le tube, je suis supporter du Standard, l’œil de Links, Rush, Le Before, M6 Kid, Desperate Housewives, Le live, Ghost Whisperer, Rush hours 2 (après le 3, comprenne qui pourra), Power Rangers Super Megaforce, Wazup, Friends, Ultimate rush (rediffusion ?), LA Ink, Sunshine, soit vingt émissions ou feuilletons dont le titre est en anglais, sur une seule journée.

Les cerveaux disponibles ingurgitent leur bouillie…

 

Je ne peux pas rester là-dessus, j’en ai des hauts-le-cœur. Voici donc un petit Hugo :

« Après la bataille » (La légende des siècles)

 

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui disait: " À boire! à boire par pitié ! "
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: "Caramba ! "
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.

24/10/2014

Écrivains contemporains et langue française (I)

J’inaugure une nouvelle rubrique : la position des écrivains francophones contemporains sur la langue française.

Et je commence par le plus rigolo : Alphonse Boudard, auteur de polars, de « L’argot sans peine » et de la « Méthode à Mimile ».

C’était en 1988, dans l’hebdomadaire "L’événement du jeudi", un peu avant la réforme de l’orthographe commanditée par Michel Rocard. Le syndicat des instituteurs était pour.

Voici ce qu’en disait A. Boudard : « C’est délirant. Toucher à l’orthographe, c’est s’attaquer à la logique écrite de tous nos livres. Pensez qu’il va falloir corriger les tragédies de Racine, les romans de Balzac et les vers de Rimbaud ! Toute la Bibliothèque nationale !

… L’argot ne tient pas debout sans l’orthographe. Même si on est parfois obligé de l’inventer.

… J’étais et je reste un cancre. Quand Pivot m’a demandé de faire des dictées, j’ai refusé. En réalité, l’orthographe me hante.

… Aujourd’hui je consulte tout le temps les dictionnaires.

… Mais leur histoire de réforme est un serpent de mer. En gros, faut pas tuer les phoques, faut préserver les baleines… et l’orthographe. »

On sait ce qu’il en a été deux ans plus tard. L’Académie française a avalisé la réforme, en la rendant d’application facultative. Elle a été publiée au Journal officiel. Les dictionnaires commerciaux ont indiqué l’orthographe rectifiée des mots concernés. Et on a eu le droit, dans les concours, d’écrire nénufar et ognon.

La semaine dernière, en Auvergne, dans un restaurant, le Maire d’un petit village, à la table à côté, a parlé des oua-gnons… qu’il doit écrire « oignon », à l’ancienne !

23/10/2014

Irritations V : c'est pas trop juste...

ICB, fidèle lectrice, me signale son agacement face à l’abus de l’adverbe trop : « j’ai trop faim », « c’est trop bien », « il est trop gentil », « j’ai passé une trop bonne soirée », « le film était trop génial »… ainsi va le langage jeune.

Moi, j’ai encore ramassé une brassée de « juste » dans les médias audiovisuels : « c’est juste hallucinant », « on a juste l’impression que tout le monde veut travailler ensemble » (dans un reportage sur les jeunes Français qui ont émigré en Californie et qui y ont trouvé le paradis professionnel).

Mais sur France 2, à 20 h 15, le 20 octobre 2014, j’ai aussi entendu à propos de la disparition annoncée du paiement avec des pièces et des billets : « il suffira de scanner un QR-code avec son smartphone ».

Quand on vous dit que la France est dépassée…

Évidemment ça ne date pas d’hier. J’ai gardé une page Télévision du quotidien Libération de 1985. Voici ce qu’on pouvait y lire :

"Miami vice : vu

Depuis deux ans sur NBC, le feuilleton « hot » Miami Vice nettoie le « network » compassé : kinky-sex à fond, fashion congelé, déco double-crème, galerie de guest-stars et flics emballant sous prétexte d’enquête. Prochainement sur A.2. Action."

Ça veut dire quoi ?

Vu comme ça, la situation n’a pas vraiment empiré, en fait.

Encore un petit coup d’œil dans le rétroviseur : en juin 1993, Jacques Grison (Nancy) écrivait au courrier des lecteurs de l’Événement du jeudi, son agacement envers le journaliste de télé Claude Sérillon.

« Pourquoi faut-il que vous disiez « conséquent » pour important, « avatar » pour ennui ? Domestiques devient « gens de maison », aveugle « malvoyant », sourd « malentendant »… Des mots comme rassurer deviennent « sécuriser », boucher « occulter », oublier « omettre ». Se souvenir est remplacé abusivement par « se rappeler », engendrer par « générer ». « Positionner » est un barbarisme, sauf pour les comptes bancaires et les portées musicales (NDLR : ?), de même que « visionner » (réservé au cinéma), « réceptionner » (réservé aux marchandises), « réhabiliter » (réservé au condamné à tort). « Investir » a remplacé occuper

Malheureusement, la télévision est notre école. »

Deux commentaires sur cette compilation très pointilleuse :

  • L’emploi abusif de « conséquent » pour signifier important, était déjà dénoncé par Berthet en 1941… ;
  • Le camouflage des mots qui peuvent fâcher (domestiques, aveugle, sourd…) peut être compris soit comme un souci de la société moderne d’atténuer les différences, soit comme une hypocrisie (voir mon billet sur la lingua quintae respublicae).