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10/10/2014

Trop Nobel pour être honnête

Quand J.-M. G. Le Clézio s’est vu décerner le prix Nobel de littérature, il y a quelques années, j’ai manifesté mon enthousiasme auprès de l’Italien, homme de culture à qui j’avais fait découvrir les magnifiques mémoires d’Élias Canetti, autre prix Nobel. N’ayant rien lu de Le Clézio et étant simplement intrigué par ce prénom à rallonge, je réagissais par pur chauvinisme. En plus, le lauréat, comme Marguerite Yourcenar, vivait à l’étranger (elle aux États-Unis, lui au Mexique)… L'Italien m’a refroidi d’un « Peuh ! littérature de gare… » qui m’a laissé pantois.

Hier soir, rebelote avec le Nobel de Patrick Modiano et là, coup de chance, j’ai lu deux de ses livres « Rue des boutiques obscures » (prix Goncourt 1978) et « Dimanches d’août » (1986) ou, plus exactement, je me suis rarement autant ennuyé qu’en lisant ces deux livres ; j’avais d’ailleurs acheté le second en ayant oublié que l’auteur m’avait déjà fait perdre quelques heures avec ses histoires lancinantes de quête sans issue autour d’un nom ou d’une adresse, « un Simenon dont on ne connaîtrait jamais le fin mot », comme il a été dit dans les commentaires.

Bien sûr, il y avait eu dans ma propre histoire de lecteur un léger blocage au milieu de Madame Bovary… mais depuis que Fabrice Lucchini et Jean d’Ormesson professent, indépendamment, que Flaubert est l’un des très grands de notre littérature, je m’étais promis de me racheter en relisant Madame Bovary depuis le début et en le terminant…

Bien sûr, il y avait eu « Femmes » de Philippe Sollers, qui malgré les promesses de son titre, m’avait vu craquer au bout de cent pages, à la vaine recherche de la moindre ponctuation…

Mais, à part ces deux-là, jamais aucun livre ne m’avait rebuté au point des opus de Patrick Modiano, même pas « La langue maternelle » de Vassilis Alexakis qui pourtant n’est pas passionnant…

Et ce type a cumulé les prix littéraires ! C’est à croire que je suis à côté de la plaque côté littérature. Le Nobel ? mais moi, je l’aurais donné deux fois chacun à Jean Giono, à Romain Gary, à Laurence Durrell, à Albert Cohen, pas à Modiano !

Quand on regarde la liste des lauréats (quinze sont français à ce jour), on se rassure (de dépit !) : à part Albert Camus, hors concours pour moi, et Jean-Paul Sartre, Henri Bergson, Anatole France et François Mauriac peut-être, aucun grand romancier, de ceux qu’on lit et relit en France de nos jours, n’a été primé. L’Académie royale de Suède a raté Marcel Proust, le plus grand de tous, c’est dire...

D’aucuns diront que le fonctionnement de ces machins à distinction est tout sauf clair et qu’il faut n’y accorder aucune attention. Sans doute…

Et qu’en pense la médiasphère ?

Ce matin, les commentateurs s’esbaudissaient de ce que le lauréat était un taiseux, ne terminait jamais ses phrases et n’avait pas d’adresse de mél. Piètre apologie. Bernard Pivot qui en connaît bien plus que moi sur la littérature, est un admirateur de la première heure…

Moi, j’ai surtout noté que, interrogé par France Inter, le récipiendaire a su dire trois phrases assez quelconques, parmi lesquelles figurait deux fois le mot « en fait ». Ce qui confortera ICB dans son irritation envers ce tic de langage très répandu.

09/10/2014

Vous reprendrez bien un peu de Paul Reboux (III) : la narration

Le duo infernal hommes politiques – conseillers en communication, toujours à la recherche d’améliorations sur la forme du discours, à défaut du fond, a importé lors de l’élection présidentielle de 2007, une approche américaine (évidemment…) nommée story-telling, sans s’apercevoir que cela pouvait être interprété (avec un peu de malice) comme « raconter des histoires », avec tout ce que cela dit de la manipulation, volontaire ou non. Il s’agit donc pour eux de nous raconter des histoires, plutôt que d’avoir un programme et de s’y tenir s’il rencontre une majorité.

Mais nous aussi, nous pouvons avoir à en raconter : histoires drôles de fin de repas, histoires inventées pour nos enfants le soir, anecdotes racontées dans le train ou le métro, nouvelles ou romans à compte d’auteur pour les plus littéraires d’entre nous….

Comment donc conter, c’est-à-dire raconter des histoires ?

Voici donc ce qu’en dit l’inénarrable (!) Paul Reboux. 

1.   Dès le début, ménager l’effet de surprise du dénouement ;

2.   Ne pas enchevêtrer deux ou trois épisodes ;

3.   Ne pas omettre les détails préparatoires indispensables (NDLR : si on les mentionne au cours de la narration, cela embrouille tout) ;

4.   Ne pas conter les anecdotes dans les milieux où elles sont déplacées (et il ajoute, pince-sans-rire : ces gaffes-là ne sont supportables qu’au fort de l’été, à cause du froid soudain qu’elles provoquent…) ;

5.   Veillez à ce que les histoires soient brèves (voici son exemple : « Jean S. frotte une allumette pour voir s’il y a de l’essence dans le réservoir de son auto. Il y en avait. Jean S. était âgé de vingt-trois ans ») ;

6.   Conservez à toute histoire un caractère humain (sentiment vrai, réaction plausible, etc.) ;

7.   Étudiez la présentation. Évitez les développements excessifs. Mais la concision ne doit pas transformer l’anecdote en squelette…

08/10/2014

Jean d'O., on t'aime

Il est charmant, délicieusement bien élevé, faussement modeste, cultivé et il a le regard bleu clair, malicieux, pétillant… À noter que son deuxième prénom est Bruno.

Ça fait beaucoup de qualités pour un homme.

Malheureusement pour lui, normalien, vaguement de droite, il n’est guère plus connu qu’Alain Juppé, Laurent Fabius, Bernard-Henry Lévy, voire que Nicolas Demorand… autres normaliens… et son drame, c’est qu’il n’arrive pas à la cheville de son idole, de notre idole à tous, François-René de Chateaubriand.

Et c’est foutu, c’est trop tard ; aucun chef d’œuvre à l’horizon, et l’horizon n’est plus très loin.

J’avais lu « Au plaisir de Dieu »… c’est l’histoire romancée de sa famille, et surtout de l’abandon de ses illusions et de son château en province. Il paraît que c’est un roman à clés, je ne les ai pas trouvées, ni cherchées d’ailleurs. C’est agréable à lire, alerte, bien construit mais on ne s’enthousiasme pas : ni descriptions à couper le souffle ni trouvailles de style ni caractères fouillés ni réflexions philosophiques à méditer. Non, une aimable saga en un volume.

J’ai lu cet été sa dernière production, j’ai envie de dire « alimentaire », « Comme un chant d’espérance » (Éditions Héloïse d’Ormesson, tant qu’à faire, faisons travailler la famille, d’autant qu’elle n’a plus de château, 2014). Ça fait 120 pages, pas plus, avec un saut à la page à chaque petit chapitre, et ça prétend raconter l’histoire de l’univers et expliquer comment on peut viser le tout en partant de rien (à savoir le big bang et avant)… Obligatoirement on est déçu. Jean d’Ormesson évoque en deux lignes la physique mathématique et la cosmologie – on n’en saura pas plus – et, de chapitre en chapitre, tourne autour des mots « rien », « tout », « Dieu », le "néant", les "origines", la "fin des temps". On n’apprend pas grand-chose et – c’est bien dommage – on ne ferme pas le livre avec l’espérance, qui en était pourtant la promesse. En tous cas, pas moi.

Je suis sévère sans doute ; il y a quelques bons passages, dont sa liste de livres, de sites et d’événements préférés. Ils prouvent, selon lui, l’existence de Dieu…

Et surtout, au détour du chapitre XLI, Jean d’O. nous balance un texte affiché, à la fin du XVIIème siècle, dans l’église de Baltimore et qu’il tient, miracle des coïncidences et de la synchronicité, de la librairie Le bleuet, à Banon (Alpes de Haute Provence)… vous vous rappelez ? « Quand le courrier de Banon passe à Vachères, c’est toujours dans les midi. On a beau partir plus tard de Manosque les jours où les pratiques font passer l’heure, quand on arrive à Vachères, c’est toujours midi » (Jean Giono, la première phrase de Regain, 1930).

Voici donc ce texte cité par Jean d'Ormesson :

« Allez tranquillement parmi le vacarme et la hâte

et souvenez-vous de la paix qui peut exister dans le silence.

Sans aliénation, vivez autant que possible

En bons termes avec toutes personnes.

Dites doucement mais clairement votre vérité.

Écoutez les autres, mêmes les simples d’esprit et les ignorants :

Ils ont eux aussi leur histoire.

Évitez les individus bruyants et agressifs :

ils sont une vexation pour l’esprit.

Ne vous comparez à personne :

il y a toujours plus grands et plus petits que vous.

Jouissez de vos projets aussi bien que de vos accomplissements.

Ne soyez pas aveugle en ce qui concerne la vertu qui existe.

Soyez vous-même.

Surtout n’affectez pas l’amitié.

Non plus ne soyez cynique en amour car il est,

En face de tout désenchantement, aussi éternel que l’herbe.

Prenez avec bonté le conseil des années

En renonçant avec grâce à votre jeunesse.

Fortifiez-vous une puissance d’esprit

pour vous protéger en cas de malheur soudain.

Mais ne vous chagrinez pas avec vos chimères.

De nombreuses peurs naissent de la fatigue et de la solitude.

Au-delà d’une discipline saine, soyez doux avec vous-même.

Vous êtes un enfant de l’univers. Pas moins que les arbres et les étoiles.

Vous avez le droit d’être ici.

Et, qu’il vous soit clair ou non,

l’univers se déroule sans doute comme il le devait.

Quels que soient vos travaux et vos rêves, gardez,

dans le désarroi bruyant de la vie, la paix de votre cœur.

Avec toutes ses perfidies et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. »

 

Allez, Jean d’O, on t’aime !