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13/10/2014

Apprenez le dothtraki !

Il y avait eu Second Life, ce jeu sur internet qui promettait une vie parallèle, dans un univers virtuel dans lequel on pouvait quand même acheter et vendre des terrains et des boutiques… Une dame était, soit disant, devenue millionnaire en dollars en créant une sorte d’empire dans Second Life… On n’en entend plus parler (c’est comme une illustration du second théorème d’Étiemble, selon lequel les mots disparaissent quand l’objet – ou le concept – disparaît…).

Les Américains sont fous et leurs créations déchaînent des passions partout dans le monde (réel). Dernière en date, une langue créée de toutes pièces pour un feuilleton médiéval !

Naturellement personne ne sait ou tout le monde se fiche éperdument de ce que Orwell ait inventé la novlangue d’une sorte de meilleur des mondes totalitaire (1984) et qu’il existe, depuis la fin du XIXème siècle une langue réputée universelle, l’espéranto.

Non, ici, il s’agit de jouer (et accessoirement de ramasser des pelletées de dollars). Dix pour cent de l’humanité jouent, les autres rament.

Et depuis longtemps les Américains « déclinent » leurs inventions : DVD, produits dérivés, etc.

Leur dernier truc, c’est de permettre aux drogués du feuilleton d’apprendre la langue que parlent leurs héros médiévaux et de former ainsi une communauté encore plus soudée et isolée du reste du monde (réel) !

Pour les retraités menacés par Alzheimer, c’est sans doute bénéfique : apprendre une langue, fût-elle imaginaire, est aussi stimulant que jouer au Memory ou à la bataille.

Mais pour les millions de Français, jeunes ou moins jeunes, incapables d’apprendre correctement une langue étrangère, qui trouvent l’allemand « trop dur » et qui ne maîtrisent rien des règles ancestrales de leur propre langue, c’est quand même un comble !

Voilà, on en est là : un organisme de formation propose des cours de dothraki, avec les mêmes méthodes innovantes et efficaces que pour apprendre le français et le portugais (entendu sur France Inter dans la matinale du 7 octobre 2014).

Jugez vous-même :

Apprendre une langue de Game of Thrones, le Dothraki

Publié le 05/06/2014 à 09:05

"À peu près tout le monde ayant accès à internet, s’il ne la regarde pas, a entendu parlé de la série Game Of Thrones. La série, dont la saison quatre est actuellement diffusée sur la chaîne américaine HBO, et qui a été adaptée de la saga littéraire de George R.R Martin, prend place dans un univers de fantaisie médiévale, et voit s’affronter plusieurs familles pour la conquête du trône de fer. Pour cette aventure a notamment été créée une langue, le Dothraki, qu’il est aujourd’hui possible d’apprendre grâce à un partenariat entre la chaine télévisée américaine HBO et l’école en ligne living language.

 Living language est une école américaine de langues en ligne, qui propose d’apprendre de nombreuses langues, comme le français, le portugais, ou encore l'Hindi.  

Cette école s’est donc associée avec la chaîne américaine HBO, qui diffuse la série Game Of Thrones, et le linguiste David Peterson, qui est l’inventeur du Dothraki pour la série télévisée.

 Ainsi, les internautes ont la possibilité d’apprendre le Dothraki. Mais pas uniquement en ligne, puisque plusieurs solutions sont proposées. La première, à environ $20, est un livre de 128 pages comprenant notamment un guide de prononciation, les phrases de base, et un CD d’une heure avec la prononciation des dialogues en langue Dothraki. La deuxième solution, à $30, est uniquement en ligne, avec cinq leçons progressives pour tout apprendre de la langue, la grammaire, la culture, le vocabulaire, et cinq nouveaux dialogues pour illustrer les leçons. Enfin, la dernière est plus un complément des deux autres solutions, en étant une application mobile, à $3,99. Ces programmes, qui sont disponibles pour l’instant en précommande, devraient sortir le 7 octobre 2014.

Alors, et ce bien que la langue ne soit aujourd’hui plus autant présente que dans les premières saisons de la série, cette nouvelle devrait réjouir ses (très) nombreux fans."

12/10/2014

On peut pas être à la fois Jean Dutourd et Jean Moulin ?

En 2007, Renaud Séchan terminait sa chanson « Socialiste » par cette phrase : « On peut pas être à la fois Jean Dutourd et Jean Moulin ».

C’était « vache » pour Jean Dutourd (1920-2011), ancien résistant et académicien, auteur du célèbre « Au bon beurre, chronique des Français sous l’Occupation », ronchon patenté et habitué des « Grosses Têtes » de Philippe Bouvard !

Pour ce qui nous concerne, Jean Dutourd, membre de l’association « Défense de la langue française », était un aîné en francophonie !

Il a bougonné contre l’abâtardissement de la langue il y a déjà longtemps et a tenu la rubrique « Le bon français » dans le Figaro.

Il a publié en 1999 un livre décapant : « À la recherche du français perdu » (Plon). À noter que l’éditeur, bizarrement, avait écrit « Français » (avec une majuscule) et non pas « français » sur la couverture…

Dans son premier chapitre, intitulé « L’état de siège », il écrivait :

« Il y a plusieurs raisons à cela. La plus grande est le snobisme. Les Français s’évertuent à utiliser des mots américains (ou américanomorphes), non certes dans le but d’apprendre l’anglais, idiome, du reste, auquel leur gosier est étrangement réfractaire, ni dans celui de communiquer avec d’éventuels Anglo-Saxons, mais pour épater les autres Français. Savoir l’anglais (ou faire semblant) est une espèce de luxe, une espèce de supériorité sociale…

Il y a quelque chose de magique dans ce qu’Étiemble appelait le « sabir atlantique ». La magie de ce qu’on ne comprend pas.

Même remarque en ce qui concerne le galimatias pédant, où fleurissent les problématiques, les thématiques et mille autres belles choses inaccessibles aux esprits simples.

Même remarque encore à propos du charabia administratif et de la langue de bois des politiciens…

Jusqu’en 1940, il n’y avait rien de mieux au monde que la France, que le génie français, que la langue française. Ce chauvinisme était irritant, j’en conviens, mais il était sain, car il est sain pour un pays de s’admirer et il ne l’est pas de se dénigrer…

… Nous sommes devenus l’humilité même, nous nous mettons au dernier rang des nations, nous renions tout : nos grands hommes, notre passé, notre histoire, nos chefs d’œuvre, l’architecture de nos villes, que nous écrasons sous des gratte-ciel, notre littérature. Nous renions notre langage, qui est notre dernier trésor. Nous ne sommes pas encore remis d’avoir perdu la guerre de 1940, que les Américains, les Anglais et les Russes et le général de Gaulle ont gagnée à notre place."

11/10/2014

Guerre des mots avec les terroristes

Ne pas nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde, disait en substance Albert Camus.

On nomme beaucoup de nos jours, c’est d’ailleurs l’une des origines de l’abus de mots anglais dans notre langue.

Les entreprises ont depuis plusieurs années pris la manie de nommer leurs projets d’acronymes si possible prononçables, souvent des noms féminins, allez savoir pourquoi… Même les projets de réorganisation, de redéploiement et de diminution de coût reçoivent un nom (Altitude 7500…).

Les constructeurs automobiles et les marques de luxe sont en première ligne : non seulement les modèles de voiture sont baptisés mais aussi les versions de chaque modèle  (exemple bien connu : la Mégane – Scénic…), ce qui pose des problèmes permanents de « propriété » car il est devenu très difficile de déposer à l’INPI des mots agréables (prononçables), positifs et pertinents…

En fait, j’aurais dû évoquer en premier lieu les noms de baptême : la première chose que l’on fait à la naissance, en même temps que l’on attend le premier cri, c’est de donner à voix haute le prénom de l’enfant (et de vérifier que le médecin l’écrit correctement ; le prénom de ma fille a failli s’écrire Ellen à l’état-civil, à cause d’un médecin franglophone ou snob, ce qui est souvent la même chose).

Bref, nommer les êtres, les choses, les concepts, c’est fondamental, c’est une reconnaissance.

C’est dire que, dans la géopolitique et la diplomatie, désigner par un nom un État ou une organisation n’est pas sans conséquence. Les mots sont aussi des balles, puisque les batailles se gagnent souvent dans la communication.

En octobre 2014, l’actualité, c’est la barbarie en Irak et en Syrie. Il n’est donc pas anodin de nommer de telle ou telle façon le groupe armé qui perpètre ces exactions.

N’étant pas spécialiste, je reproduis ci-dessous de larges extraits de l’article paru dans Marianne.net, fautes d’orthographe et d’accord mises à part :

http://www.marianne.net/Fabius-lance-la-guerre-des-mots_a...

le 15 septembre 2014, sous le titre « Fabius lance la guerre des mots ».

« C’est une guerre des mots qu’a engagée Laurent Fabius avec le prétendu État islamique. Refusant de reconnaître l’organisation comme un État et encore moins d’assimiler l’islam dans son ensemble au terrorisme, le ministre des Affaires étrangères lui a préféré l’appellation des « égorgeurs de Daech » (NDLR : l’article indique « prononcez Dache ». Je me demande bien pourquoi. La tendance pour les mots étrangers importés dans le français est de faire concorder graphie et prononciation et de les écrire à la française. Cf. dans un billet précédent, sur la réforme de l’orthographe, l’exemple de « ponch »)… 

… À l’Assemblée nationale, Laurent Fabius s’était expliqué sur cette rectification sémantique : « Le groupe terroriste dont il s'agit n'est pas un État. Il voudrait l'être, il ne l'est pas, et c'est lui faire un cadeau que de l'appeler “État”. De la même façon, je recommande de ne pas utiliser l'expression “État islamique” car cela occasionne une confusion entre l'islam, l'islamisme et les musulmans. Il s'agit de ce que les Arabes appellent “Daech”… ».

Le ministre tente ainsi de donner un écho aux consignes du Conseil français du culte musulman… et suit, en substance, le raisonnement du président américain qui avait dit… : « ISIL (Islamic state of Iraq and the Levant) n'est pas islamique. Aucune religion ne cautionne le meurtre d'innocents et la majorité des victimes de l'ISIL sont des musulmans. ISIL n'est certainement pas un État. Il était auparavant la branche d'Al-Qaïda en Irak ». 

Si donner une résonance aux ambitions affichées d'un groupe terroriste pose question, l'appellation Daech est loin de faire l'unanimité parmi les experts arabisants.

L’historien arabisant Pieter Van Ostayen explique que l’acronyme Daech (Dawlat islamiya fi 'iraq wa sham) signifie l’État Islamique en Irak et au levant, soit le même sens que celui que Laurent Fabius n'accepte pas (NDLR : mais avec la nuance qu’il n’évoque rien aux Français qui l’entendent, contrairement à État islamique !) et qu’il est le plus souvent utilisé par les opposants au groupe terroriste. Car, en arabe, Daech n’existe pas mais peut faire référence à un verbe arabe qui signifie « piétiner » ou « écraser ».

Selon le chercheur Romain Caillet, « l'acronyme Daech est un terme impropre et péjoratif, utilisé par ses opposants. L'expression a été popularisée par le média Al Arabya. La chaîne qatarie Al Jazeera n'utilise d'ailleurs plus ce terme. Si, en langue arabe, il peut y avoir une légitimité à l'employer, son utilisation en français est clairement idéologique ».

A contrario Myriam Benraad, politologue spécialiste de l’Irak, a déclaré à Slate en juin 2014 : « Le terme "Da'ech" n'est pas péjoratif en soi ; il l'est devenu en raison du contenu qu'on lui associe : les exactions, les exécutions, les offensives, etc. Si les partisans de l'EIIL n'utilisent pas ce terme, c'est qu'ils sont dans une logique de pureté de la langue. Leurs communiqués sont écrits dans un arabe parfait et donc choisi et sans fautes, ce qui leur permet d'affirmer leur identité et de recruter plus. Ils n'utilisent donc pas cet acronyme ».

Ce sont les islamistes eux-mêmes qui ont simplifié leur dénomination, après la proclamation d’un « califat » le 29 juin 2014, décrétant qu’il fallait désormais les appeler « l’État islamique », comme pour mieux préciser leurs ambitions.  
 

Le débat porte en fait sur la légitimité de la dénomination des organisations terroristes. Faut-il s’en remettre aux noms choisis par les organisations elles-mêmes (Action directe est le nom par lequel l’organisation armée revendiquait ses attentats), aux appellations qui s’imposent dans leur région d’origine (Boko Haram est en fait un « surnom » donné à un groupe terroriste par les habitants du Nigéria dans une langue haoussa parlée en Afrique de l’Ouest) ou aux États qui les combattent (Al-Qaïda est le nom donné par les États-Unis à la mouvance terroriste qui était sous l’autorité d’Oussama Ben Laden – NDLR : que Jacques Chirac appelait Bin Laden… –. Son appellation d’origine était Al-Qaida Al-Jihad, « la base de la guerre sainte ». Ben Laden envisageait d’ailleurs de changer le nom de son organisation, au prétexte que la notion de Jihad ne s’était pas imposée ? 

… Laurent Fabius semble avoir perdu cette première bataille, tant il est vrai que le groupe terroriste a déjà imposé... sa « marque ».

C’est un phénomène général : aujourd’hui, les mots nouveaux se répandent très rapidement, via les médias ou via la publicité, la plupart du temps sans qu’il y ait la moindre réflexion sur leur pertinence et leur cohérence avec la langue d’accueil (le français). Et il est extrêmement difficile de rattraper un coup manqué, à savoir de remplacer un mot inadéquat par un autre, une fois qu’il a été répandu. Voir les difficultés du mot « courriel » face à mail (sauf au Québec, comme d’habitude) et, par conséquence, le rocher de Sisyphe des Commissions de terminologie.