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07/10/2014

Émerveillements I

Je vous ai suffisamment ennuyés par mes rabâchages sur le mauvais français, le vilain franglais, la baisse de la natalité (de la fécondité) de la langue, les horribles envahisseurs impérialistes… (rassurez-vous, ça va continuer !).

Aujourd’hui, je vous propose une accalmie, une oasis, sous la forme d’une démonstration de ce que l’on peut écrire avec des mots tout simples (ils sont d’ailleurs tous simples…), pour titiller, surprendre et faire rêver.

« De rouge, l’été devint blond, puis de craie : poussières, étincellements de craie qui effacèrent les couleurs de tout, même celles des corbeaux gras qui essayaient de voler vers le couvert et disparaissaient dans la lumière, plus blancs que neige. On coucha les blés, on les traîna sur les aires. On les fit fouler aux pieds par les chevaux…

Le temps s’acharnait à la pluie. Les nuages étaient couchés pesamment sur la terre du plateau. Des rages d’eau hachaient les arbres et la boue. Des troupeaux d’averse couraient de tous les côtés sous les coups de pierre du vent. Puis ils se remettaient à paître la forêt et les hommes qui passaient comme des ombres sous la crème grise du brouillard. Ce n’étaient plus des raies de pluie ou même des jets de fontaine, c’étaient de gros paquets lisses, luisants comme du fer neuf, et sous lesquels, hachés comme à la serpe, éclataient des branches plus épaisses que le bras…

L’hiver de cristal arriva. L’air glacé comme un alcool très pur agrandissait toutes les formes, et les rares oiseaux énormes qui traversaient le ciel désert y traçaient de toutes les pointes de leurs plumes, de longues éraillures diaprées…

On a fait fondre des morceaux de glace et poussé à bouillir pour avoir un peu de chantonnement d’eau. On a mangé notre jambon. On a fumé la pipe. La nuit est tombée. Je crois même qu’on a fumé la pipe pour que la nuit tombe. Il n’était plus question de sortir. On aimait mieux ça. On a mis du bois au feu et on a dormi… »

Quelle inventivité, quel don d’observation, quelle maîtrise du rythme de la phrase… c’est Jean Giono dans « Deux cavaliers de l’orage » (écrit en 1950, publié chez Gallimard en 1965).

Et bien sûr, je ne mets ici en exergue que le lyrisme du maître de Manosque ; il faudrait parler du vocabulaire qu’il utilise, souvent ancien ou rural ou spécialisé, de sa façon inimitable de mettre en place les dialogues ou de décrire un paysage, une vie, un événement, avec souvent des ellipses, du non-dit, de son génie des histoires rustiques, rudes, des caractères entiers et pittoresques…

Bref, c’est un écrivain, parmi les meilleurs.

06/10/2014

Blogue à part

Une chronique de France Inter s’appelait ainsi il y a quelques années : « blogue à part ». Il s’agissait de braquer le projecteur sur une déferlante sociétale : l’engouement à travers le monde – et en France – pour un outil internet qui permettait à tout un chacun de devenir écrivain, chroniqueur, narrateur, pamphlétaire… en un mot, de raconter et de « se » raconter, à dix, cent ou mille personnes, en général inconnues, qui pouvaient réagir à travers des commentaires.

C’était l’avènement du blogueur.

Le 16 juin 2006, il y a donc huit ans déjà, Favilla, dans les Échos, parlait de 3,2 millions de Français en train de « bloguer », chiffre en progression de 40 % sur un semestre (enquête Médiamétrie).

Le site hébergeur Skyblog affichait lui 5 millions de blogues…

Les chiffres étaient donc « à la louche » mais le phénomène était réel, surtout auprès des jeunes (de l’époque) : 80 % des créateurs de blogues avaient moins de 25 ans.

Favilla voyait là une évolution favorable : on pouvait se réjouir de voir la jeunesse aller de la violence ingurgitée passivement (la télé) à la communication à l’état pur (le blogue, sic !), en passant par les jeux vidéo (la violence avec de l’interactivité, mais avec une machine), puis le téléphone mobile (pas de violence mais l’interactivité avec un humain).

Il attribuait au blogage trois caractéristiques : il n’a pas besoin d’un destinataire clairement défini ; il est le plus souvent centré sur lui-même et incite à l’autoévaluation, voire à l’introspection ; enfin, et c’est ici que le phénomène se rattache à nos préoccupations, il fait appel à l’écrit !

Contrairement au téléphone, il n’y a pas d’effet de voix, d’intonation possible ; il faut user de vocabulaire, même si le français y laisse parfois à désirer.

Que l’on y songe : jusque dans les années 80 (le PC d’IBM est arrivé sur le marché avec François Mitterrand…), tout le monde écrivait, d’autant que le téléphone (fixe) avait longtemps été une denrée rare en France : écrire pour les vœux du Nouvel An bien sûr, pour donner des nouvelles, mais aussi pour réclamer, pour commander et payer un article. C'était l'époque de l'écrit (depuis le XVIIè siècle et avant !).

Le téléphone pour tous, et ensuite le téléphone mobile, d'abord analogique, arrivent : on range les stylos, on oublie la grammaire et l’orthographe, et on se met à parler à tous comme Boris Vian parlait à sa concierge : de tout et de rien, comme ça vient… C'est l'époque de l'oral.

Dans l’entre-temps survient la messagerie électronique, dans le monde de la recherche d’abord, dans l’entreprise ensuite, dans le grand public enfin ; patatras, il va falloir réapprendre à écrire. On ne réapprend pas car on n’a pas le temps, même si on a toute la place qu’on veut dans le courriel (sa longueur n'est pas limitée). Retour de l'écrit, mais un écrit bâclé. Les courriels s'échangent par millions dans les entreprises mais écrits n'importe comment, parfois avec seulement quelques abréviations (asap, ct, à+, etc.).

Le point d’orgue est atteint avec le portable numérique et ses textos : il faut écrire comme dans la messagerie mais on n’a pas la place. En effet,  le texto – terme initialement déposé par SFR et maintenant utilisé couramment, et même généralisé au Québec – se dit SMS en anglais, c’est-à-dire short message service ou service de messages succincts. C'est une innovation des Finlandais de Nokia intégrée à la norme européenne GSM. Il est est de longueur limitée. Il vise à communiquer vite. On use et abuse donc des abréviations et des mots écrits "comme on peut". C'est l'époque de l'écrit instantané.

Mais revenons au blogue, qui, normalement, donne du temps et de la place pour écrire bien. Retour de l'écrit réfléchi et posé ?

Son côté « narcissique » est patent : chez Skyblog, on notait en avril 2006, qu’il y avait eu 4,2 millions de visiteurs (pour 5 millions de blogues). Donc moins d’un visiteur par blog et par mois !

1 % des blogues concentrent 80 % des visites…

Favilla conclut donc : « la plupart des blogueurs sont des voix qui crient dans le désert » !

Et moi et moi et moi ?

Et aujourd’hui ?

Je n’ai pas de chiffres récents, je constate seulement deux choses : d’abord on ne parle plus des blogues ni à la radio ni dans la vie courante, ensuite, ne serait-ce que chez mon hébergeur québécois hautETfort, il y a des dizaines et des dizaines de blogues, sur des sujets très variés, et les billets affluent en permanence, chaque jour.

Que racontent-ils ? je ne sais pas non plus, je n’ai pas le temps de lire… je blogue !

05/10/2014

Irritations III

S’il fait des voitures comme il parle français, il aura des problèmes ; s’il parle à ses interlocuteurs professionnels comme il parle au grand public, il en aura aussi ; entendu Carlos Ghosn sur France Inter le 1er octobre 2014, à 8 h 25, dire d’un ton sentencieux : « le crossover est une version moderne du SUV »…

Entendu une mère d’élève déclarer sur France 2 : « pour les gamins, en 6ème, c’est juste une horreur »…

Entendu dans la série Downton Abbey : « merci de nous avoir aidés sur la ferme » (au lieu de « à la ferme »). Ce n’est qu’une traduction bien sûr mais ça renseigne sur la langue que parlent les traducteurs… sauf que, en anglais, ils disent peut-être « on the farm » (y a-t-il un prof. d’anglais dans mes lecteurs ?). Ceci expliquerait alors cela !

Entendu à la télé, je ne sais plus où, je ne sais plus quand : « ça leur permet de pouvoir réparer tel ou tel truc ».

Le 6 octobre 2014, c'est le Président de la République (François Hollande) qui déclare, avec son habituel langage technocratique : "Nous sommes en situation de pouvoir soigner…"… Quelle redondance ! pourquoi pas, tout simplement  « ça leur permet de réparer… » et "nous pouvons (ou nous savons( soigner…" ?

Entendu une jeune germanophone proclamer : « manque de chance, j’ai booké mon cours de danse justement ce samedi-là ». Pourquoi pas « j’ai réservé » ou « j’ai programmé » ou « j’ai fixé » ?

le 7 octobre 2014, dans le 7-9 de la matinale de France Inter, une journaliste conclut, à propos de Clémentine Autain : "Elle n'est définitivement pas pro-business", en référence à une déclaration de Manuel Valls à la City de Londres. Snobisme de Parisienne branchée qui feint de ne pas savoir que "définitivement" n'est pas la traduction du definitely anglais (qui veut dire "vraiment" ou "absolument")...

 

Loin de l’Académie, loin du Journal officiel, loin de Claude Hagège et d’Henriette Walter, les Français parlent une langue un peu bâtarde et approximative, comme elle vient…

C’est « la langue de chez vous », à laquelle je vais consacrer un prochain billet (et non pas le billet suivant, contrairement à la confusion permanente entre les deux adjectifs que font vos animateurs préférés du PAF : « et Machine va nous interpréter la prochaine chanson » au lieu de « la chanson suivante »…), après avoir écouté l’émission "Carnet de campagne" le 22 septembre dernier.