Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/05/2015

Jean d'O. fait parler de lui (II)

Édité dans la Pléiade, et de son vivant ! Même Chateaubriand n'y avait pas eu droit...

Ça y est : quatre romans de Jean d'Ormesson (Au revoir et merci, La gloire de l'Empire, Au plaisir de Dieu, Histoire du Juif errant) vont être publiés dans la prestigieuse collection La Pléiade.

La Pléiade.jpgAvant lui, il n'y avait eu que Malraux, Gide, Yourcenar et Kundera. Pas mal comme entourage.

Jouez violons, sonnez crécelles : immédiatement Le Figaro, dont il fut directeur, s'est empressé de remplir de pleines pages sur l'événement. Et, pour clamer l'hommage, qui de mieux qu'un Prix Nobel de littérature ? C'est Mario Vargas-Llosa qui s'y est collé.

Et il l'a fait de façon très habile, je veux dire qu'il loue sans flagornerie ni excès.

Il tient ainsi Jean d'Ormesson pour "l'un des meilleurs continuateurs de la grande littérature française" ; il ne dit pas que ses romans sont géniaux ni qu'il est l'égal de plus grands. Il ajoute que cette promotion est justifiée par "l'excellence de son style, qui marie astucieusement l'élégance des classiques à l'audace des modernes, ainsi que par sa culture, la profondeur de sa pensée et l'envol de son imagination". Ça veut tout dire et rien dire mais c'est laudateur...

"Jean d'Ormesson sait raconter des histoires et séduire ses lecteurs par la subtilité de ses thèmes et la trempe de ses multiples personnages". "C'est un intellectuel qui croit au progrès, un esprit pragmatique…".

Mario Vargas-Llosa revient ensuite à sa propre histoire. "C'est pourquoi j'ai appris le français, et les écrivains classiques et modernes ont imprégné ma jeunesse" (Jules Verne, Alexandre Dumas, Victor Hugo, puis tout Balzac, Les Thibault de Martin du Gard, Zola, Montaigne, et la richesse presque infinie de la littérature française : Baudelaire, Flaubert, Stendhal, Proust...).

"… Toute personne ayant vocation littéraire, artistique ou intellectuelle, devait faire par elle-même, dans sa chair, l'expérience française pour être à l'avant-garde de la connaissance et de la créativité".

Sa libraire de Lima était si amoureuse de la langue française que, lorsqu'il lui a offert son premier roman, elle lui a dit "J'espère qu'on le traduira bientôt pour que je puisse le lire en français" !

À noter que Vargas-Llosa entre lui aussi dans la prestigieuse collection, aux côtés des plus grands. Et que cette annonce l'a plus ému que le prix Nobel.

Roberto Calasso, essayiste italien, voit dans Jean d'Ormesson la cohabitation de deux "lignées" de la littérature française (Stendhal et Chateaubriand).

Arturo Pérez-Reverte, écrivain espagnol, "a suivi son œuvre littéraire avec intérêt et respect".

Et Alaa El Aswany, romancier égyptien, écrit "Jean d'Ormesson réussit ce qui est le plus difficile et le plus exigeant en littérature : être à la fois simple et profond… Il est honnête… et sincère".

Au total un bel hommage, pour un parcours remarquable et une vie bien remplie.

En mars 1970, l'année de la séparation des Beatles, l'année de Chicago et de Pink Floyd, Jean d'Ormesson est à Londres pour rencontrer Laurence Durrell en vue d'un entretien télévisé...

Le 24 décembre 1982, à la mort d'Aragon, il écrit "Je l'admire plus que personne".

 

14/05/2015

Jean d'O. fait parler de lui (I)

Jean d'Ormesson ne pouvait pas ne pas intervenir dans le débat sur le projet de réforme du collège de Mme Belkacem. Il l'a fait dans le Figaro du 10 mai 2015, sous la forme d'une Lettre ouverte au Président de la République et aux "Attila" de l'éducation. Rien de moins !

Et il n'y va pas avec le dos de la cuillère : après les formules diplomatiques qui conviennent aux protagonistes, entre gens qui savent se tenir ("Cette réforme, la ministre la défend avec sa grâce et son sourire habituels et avec une sûreté d'elle et une hauteur mutine dignes d'une meilleure cause" ou plus loin "Mme Najat Vallaud-Belkacem est pour la littérature et la culture de ce pays un Terminator de charme, une sirène séduisante dont il faut s'éloigner au plus vite, une espèce d'Attila souriante derrière qui les vertes prairies de la mémoire historique ne repousseraient plus jamais"), il attaque sur le terrain de l'exception culturelle "qui plongeait ses racines dans le latin et le grec" et de la défense du français ("Le français occupe déjà dans le monde une place plus restreinte qu'hier. Couper notre langue de ses racines grecques et latines serait la condamner de propos délibéré à une mort programmée").

Ensuite, la défense de la littérature, de Montaigne à Chateaubriand, en passant par Ronsard, Anouilh et Joyce, qui tomberaient selon lui dans une trappe.

Il convoque les défunts Claude Lévy-Strauss et Jacqueline de Romilly pour contrer les "rêveries meurtrières de Mme Vallaud-Belkacem", puis l'inévitable collègue de l'Académie, notre ami Marco Fumaroli (voir mon billet à son sujet), Jacques Julliard, qui a écrit dans Marianne "Notre littérature est le bien le plus précieux. Je le dis tout net si je devais me convaincre que la gauche est, à son corps défendant, l'agent de la marginalisation de notre littérature dans la France moderne, je n'hésiterais pas une seconde : ce n'est pas avec la littérature, notre patrie quotidienne, que je couperais. Ce serait avec la gauche", et aussi Régis Debray, Pierre Nora, François Bayrou, Luc Ferry… tous ces gens que la ministre qualifie de "pseudo-intellectuels".

Et l'interpellation du Président se termine par : "Ne laissez pas périr nos biens les plus précieux : notre langue, notre littérature, notre culture".

Que penser de cette Lettre ? Que l'auteur pouvait mieux faire !

Jean d'Ormesson 89 ans.jpgBien sûr sa publication intervient à une période difficile ; âgé de 89 ans, Jean d'Ormesson a été victime de plusieurs accidents cardiaques au cours d'émissions de télévision récentes. Il n'est pas exclu que le texte ait été écrit dans l'urgence, alors que la polémique enfle depuis déjà début avril. D'où les citations, nombreuses, de chroniqueurs antérieurs sur le même sujet ; d'où cette grandiloquence, cette dramatisation, cette impression de désespoir et de fin du monde...

J'avoue que j'ai été déçu : pas vraiment d'argument nouveau, en particulier rien de percutant à même de lutter contre l'assurance et la fraîcheur de teint d'une ministre à peine sortie de l'adolescence et qui aura beau jeu de railler l'immobilisme, le conservatisme, le conformisme de ses contradicteurs.

C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait, avec aisance et sans douter jamais, le 12 mai 2015, dans la Matinale de France Inter.

Profiter de son article pour dénoncer trop de réglementation, trop de freins à une économie souple et vivante, des impôts absurdes et écrasants, affaiblit la rigueur du propos et la crédibilité de son auteur. C'est à croire que c'est un passage obligé pour écrire dans le Figaro...

 

 

 

13/05/2015

De l'art de publier un article attrape-tout… (II)

Enfin, dans la toute dernière partie de l'article de J.-P. Robin, on pense que l'on est arrivé au cœur du sujet annoncé, à savoir le fait que les fautes de français plomberaient la vie économique elle-même.

Il paraît que les entreprises feraient la chasse aux erreurs d'orthographe, en feraient un motif de licenciement et obtiendraient gain de cause auprès des Cours d'appel… Vu mon expérience professionnelle dans un géant industriel français, si c'était vrai, la moitié des cadres dirigeants auraient été remerciés depuis longtemps...

On attend des exemples de la catastrophe ; on lit seulement que les S'miles de la SNCF seraient une niaiserie linguistique grotesque et que Hachette a appelé ses boutiques d'un nom - Relay - qui n'existe pas en anglais et qui ferait que les Français ne savent plus écrire "relais"...

Catastrophe, disiez-vous ?

Dernier alinéa, le journaliste qui n'a encore rien démontré nous assène :"Dans le domaine économique, les ravages sont immenses". Bigre !

Alors il dégaine : "déficits structurels", "seuils sociaux", "compte personnel d'activité", "droits rechargeables"… certes mais "so what ?"...

Je vous laisse savourer la péroraison : "Toute réforme est un retour aux sources et aux principes fondamentaux, sinon ce serait une révolution. Encore faut-il savoir les lire et les dire. C'est pourquoi les fautes de français sont si graves".

Et c'est ainsi que votre fille est malade.

Concernant la relation - ténue - entre l'orthographe et la vie économique, j'aurais préféré que J.-P. Robin nous parle du renouveau de la dictée dans les écoles d'ingénieur, du projet Voltaire, des tests à l'embauche et du filtrage des CV, et surtout de la nouvelle politique de référencement de Google.

Il semble en effet que Google, chahuté par l'accusation de mettre en avant son propre comparateur de prix dans les résultats de recherche, a modifié le programme qui classe les résultats en vue de leur affichage : le nouveau moteur avantage les sites qui disposent d'une version adaptée aux téléphones mobiles et pénalise les sites considérés comme de mauvaise qualité, avec par exemple beaucoup de fautes d'orthographe (oui, vous avez bien lu !) ou des contenus copiés sur d'autres sites.

Sur un thème voisin, je peux parler de BlaBlaCar, le site de covoiturage, créé en 2004 par un Français, normalien, de 39 ans, Frédéric Mazzela. Le site est français (150 salariés à Paris) mais la langue de travail est l'anglais. La maxime "In trust, we trust" est écrite partout sur les murs. "Il faut être pragmatique, il y a 29 nationalités différentes chez nous. Le seul moyen de communiquer, c'est l'anglais". Mais il y a dans l'entreprise une salle dans laquelle les employés étrangers peuvent apprendre le français. (Source : Le Figaro du 25 avril 2015).