06/05/2015
Angine
Mon fidèle lecteur FPY s'étonne que je n'ai pas encore réagi au nouveau nom de GDF Suez, géant de l'énergie qui devient ENGIE.
C'est vrai. D'une part je ne l'ai appris que récemment, d'autre part je suis fataliste (eh oui…) sur cette affaire des noms de marque, achetés à prix d'or aux agences de comm. et devenus une sorte de point de passage obligé pour les dirigeants de multinationales qui veulent faire parler d'eux, paraître moderne ou peut-être cacher quelques turpitudes.
Parlons-en donc, puisque FPY le demande !
Dès la fusion voulue par Dominique de Villepin et réalisée très laborieusement en 2005, GDF Suez n'était plus ni une entreprise publique ni une entreprise française. Dès lors pourquoi s'étonner ou s'inquiéter qu'elle choisisse un nom plus ou moins français ou plus ou moins anglo-saxon ?

Le sigle GDF n'était pas utilisé par Gaz de France à l'époque parce que cette marque était déposée (par quelqu'un d'autre). C'est pour cela que l'on parlait d'EDF et Gaz de France, au temps de l'héritage de la Libération et des grandes lois de 1946.
Tout cela a été balayé par l'absorption de Gaz de France par SUEZ, conglomérat belgo-français incluant déjà Electrabel en Belgique et maintenant une filiale en Grande Bretagne ; rien que du meccano industriello-politique habituel, mais dont l'originalité était que Nicolas Sarkozy avait juré ses grands Dieux (lesquels ?) que Gaz de France ne serait jamais privatisée, avec sa célèbre formule : "C'est clair, net et précis"…

SUEZ, c'est une histoire industrielle et financière plus que centenaire puisqu'elle remonte au canal de Suez. Un journal avait ainsi pu titrer "les sept vies de SUEZ".
Bref, si l'on réfléchit un peu : que faire de GDF dont on veut se débarrasser depuis le début ? que faire de SUEZ qui des Pyramides à l'eau, en passant par les travaux publics, ne veut plus rien dire ? que faire de ce sigle hétéroclite et imprononçable ? En changer, tout simplement !
Le nouveau sigle est-il à consonance anglaise ? Sans doute mais pas plus que de nombreux autres. Pour moi, c'est un enfumage de plus, un enterrement de première classe pour les deux entreprises ; on rebat les cartes et on passe à autre chose.
On ne sait pas comment le prononcer, dit-on… C'est vrai mais pas plus que Avoriaz ou Cassis.
Moi, ça m'évoque les Rolling Stones, avec leur scie commerciale et pleurnicharde. Et c'est là que le coup de M. Mestrallet trouve ses limites, lui qui voit dans le sigle "Un nom simple et fort, qui évoque l’énergie pour tous et dans toutes les cultures". Il est bien le seul.

FPY me fait remarquer que le site "Boulevard Voltaire" m'a brûlé la politesse sur ce coup-là. Je l'admets volontiers et suis allé y voir. Ce qui m'a surtout intéressé dans l'article, c'est qu'ils évoquent mon autre dada : les petites phrases qui accompagnent les sigles, que le journaliste-pourfendeur de franglais appelle les punchlines.
Voici ce qui est écrit à propos de celle de ENGIE :
Bon, le plus beau vient après. Avec le slogan idoine, la punch line adéquate : « By people for people », ce qui ne veut à peu près rien dire, mais qui en jette. Ça aussi est censé être compréhensible par le commun des petits Terriens : « Par le peuple et pour le peuple », ou un truc approchant. Oui, il paraît que l’heure est à la mondialisation, ce qui n’est pas fondamentalement faux. Mais dans cette mondialisation, on avait cru comprendre que la « marque France » était aussi un atout de première ampleur. Il est à craindre que non. Alors, pourquoi le faire en « english » ; pardon, en « globish », puisque c’est de ce sabir n’entretenant que de lointains rapports avec la langue de Conan Doyle qu’il s’agit désormais ? Good question. Pareillement, il sera tout aussi licite de se poser la question qui suit : why toutes ces sociétés censées porter le savoir-faire français de par le vaste monde communiquent-elles toutes in english ? Citroën ?« Creative technologie »… Peugeot ? « Motion and Emotion ». Lacoste ? « Life is a beautiful sport ».
On en apprend tous les jours, c'est ça qui est bien avec la pub.
À propos de pub, vous avez vu que Renault, dont le président s'augmente dans des proportions indécentes, sans contre-pouvoir, a osé faire diffuser une pub entièrement en anglais, sous-titrée ?
06:00 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (3)
05/05/2015
Passion arabe, chronique des années 2011-2013
Gilles Kepel est connu par ses interventions à la télévision en tant qu'expert de la géopolitique des pays arabes, du Maghreb au Moyen-Orient.
De 2011 à 2013, à partir des "révolutions" populaires que l'on a appelées le "Printemps arabe", il a multiplié les visites dans les pays concernés : Égypte, Tunisie, Libye, mais aussi Israël et l'Arabie Saoudite, et d'autres.
Arabophone, comprenant apparemment certains dialectes, il a rencontré nombre de responsables, politiques, associatifs ou religieux.
Cela a fourni la matière de son livre "Passion arabe", dont je vous ai donné plusieurs extraits dans des billets précédents.
Son Journal est passionnant d'abord parce qu'il éclaire l'actualité récente, vue des acteurs et spectateurs et non plus des Occidentaux que nous sommes ; on apprend beaucoup de choses sur l'envers des événements que la télévision nous a montrés : la chute de Kadhafi, l'ascension d'Ennahrdha, les Frères musulmans, l'influence des Saoudiens...
Également parce que Gilles Kepel ne juge pas, ne prend pas parti, tout en retranscrivant des propos que manifestement il n'approuve pas.
Et enfin parce que les questions de langue l'intéressent et qu'il y voit la manifestation des évolutions du pouvoir et des peuples : l'arabe bien sûr, avec ses différentes variantes régionales, mais aussi le français, qui perdure malgré l'arabisation, et le berbère, antérieur aux deux précédentes.
Pour qui s'intéresse au destin du Maghreb et du Moyen-Orient, qui s'interroge le développement du salafisme, qui veut comprendre les différences de conviction ou de stratégie entre les mouvements islamistes, et qui, in fine, craint l'importation de ces conflits dans les démocraties occidentales, ce livre bien écrit (malgré quelques formules syntaxiques étranges et un vocabulaire qui demande parfois le recours au dictionnaire) est à lire. Et il se lit bien.
Il est accompagné de deux volumes beaucoup moins épais : "Passion française" (enquête dans les banlieues) et "Passion en Kabylie", le tout chez Gallimard, en 2013.
Voici ce que dit de lui Wikipedia :
Il est diplômé d'arabe et de philosophie, il a deux doctorats, en sociologie et en science politique. Il a aussi enseigné à la New York University en 1994, à l'université Columbia, également à New York, en 1995 et 1996, et comme titulaire de la chaire Philippe Roman (professor of History and International Relations) à la London School of Economics en 2009-2010.
Auteur de nombreux ouvrages, depuis son premier livre Le Prophète et Pharaon : les mouvements islamistes dans l'Égypte contemporaine, paru en 1984, ses publications sont traduites dans le monde entier.
Dans son ouvrage Jihad (2000), il étudie le développement de l'islam politique, et considère que sa radicalisation est un signe de déclin plutôt que de montée en puissance. Il maintient sa thèse dans la mise à jour après les attentats du 11 septembre 2001, et la poursuit en 2004 avec Fitna, dans lequel il présente l'islamisme comme une forme de guerre civile au cœur de l'islam.
Il collabore régulièrement au Monde, au New York Times, à La Repubblica, El País et à plusieurs médias arabes.
Depuis janvier 2012, Gilles Kepel tient une chronique le jeudi matin sur la radio France Culture intitulée Le monde selon Gilles Kepel consacrée au monde arabe contemporain après les révolutions et bouleversements de l'année 2011.
Il est membre du haut conseil de l'Institut du monde arabe et directeur des études au programme sur le Koweït (Kuwait Program) à l'IEP.
En mars 2012, il est nommé pour deux ans au Conseil économique, social et environnemental dans la section du travail et de l'emploi en qualité de personnalité associée.
10:20 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
04/05/2015
La littérature plus forte que la dictature
"Comme tous les totalitarismes, gourmands de salmigondis idéologique, celui-ci (le régime du Colonel Kadhafi) avait altéré non seulement le langage, en le farcissant de termes qui accompagnaient son emprise sur les esprits (et en interdisant les langues étrangères, vecteurs de liberté, au prétexte d'anti-impérialisme et de nationalisme arabe exacerbé), mais également en bouleversant le calendrier. Le comput kadhafiste commençait à la date du décès de Mahomet, en 632 (et non avec l'hégire du prophète de la Mecque à Médine, dix ans plus tôt) et il comportait des années solaires, alors que les mois hégiriens sont lunaires".
… 
"Il en va de même de la langue arabe : par-delà la dictature grammaticale du "Guide", son pourchas délirant des idiomes étrangers, de l'amazigh ou des dialectes, la civilisation arabe, dans l'épaisseur historique de sa littérature, a servi de refuge face aux slogans superficiels destinés à mobiliser les masses abêties. Dans ce pays où le système éducatif a été ravagé, des gens modestes s'expriment avec élégance, citent la poésie classique et témoignent d'une connaissance du patrimoine littéraire à faire pâlir les ressortissants d'autres États arabes bien mieux dotés en institutions culturelles".
(Extrait de "Passion arabe" de Gilles Kepel, Gallimard, 2013, chapitre Libye).
17:44 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)


