12/11/2016
So long, L. C.
I remember you well
in the Chelsea hôtel
You were talking
so brave and so sweet
Ce fut une révélation quand nous découvrîmes en 1966 le disque « The songs of Leonard Cohen » en plein dans la décennie magique du folk et de la pop anglo-saxonne, celle qui a connu, entre autres, « Sgt Peppers lonely hearts club band », « Blonde on blonde » et « Ummagumma ».
À dire vrai, je crois bien que j’ai d’abord entendu ses premières chansons en français, traduites et interprétées par le Néo-Zélandais Graeme Allwright. En l’occurrence, c’était « L’étranger » (The stranger). Un peu plus tard, en vacances en Bavière, j’ai acheté « Songs from a room ».
Le premier disque de Leonard Cohen s’ouvrait sur deux chefs d’œuvre : Suzanne (sur la face 1) et So long, Marianne (sur la face 2). Deux jeunes femmes aujourd’hui lui doivent leur prénom.
Oh you’re really such a pretty one
I see you’ve gone and changed your name again
Dans son troisième album, Songs of love and hate, en 1971, se trouve un autre chef d’œuvre : Famous blue raincoat.
It's four in the morning, the end of December
I'm writing you now just to see if you're better
New York is cold, but I like where I'm living
There's music on Clinton Street all through the evening
Mais le talent de Léonard Cohen ne s’arrête pas à ces trois chansons. Il y a sa voix si grave, si particulière, sa mélancolie, son flegme, son attirance vers la spiritualité, sa période bouddhiste, sa vie à rebondissements, sa jeunesse en Grèce sur l’île d’Hydra, sa passion pour les femmes et ses difficultés avec elles, et ses recueils de poèmes, ses poèmes !
Go by brooks, love
Where fish stare
Go by brooks
I will pass there
Go by rivers
Where eels throng
Rivers, love
I won’t be long
Go by oceans
Where whales sail
Oceans, love
I will not fail
Je n’oublierai pas non plus ses romans, dont The favourite game, que j’avais adoré.
« Seigneur ! Je viens juste de me rappeler
ce qu’était le jeu favori de Lisa »
Tout cela a marqué profondément notre jeunesse.
Avec le décès de Marianne et la lettre émouvante que Léonard Cohen lui avait écrite et fait lire par un ami commun, c’est une période qui s’achève, une période que nous avons pleinement vécue nous aussi. Une boucle est bouclée…
Le poète canadien, écrivain, auteur et compositeur de chansons, Léonard Cohen, s’est éteint le 7 novembre 2016, à Los Angeles.
Je savais bien que ça arriverait un jour…
Resquiescat in pace.
10:48 Publié dans Actualité et langue française, Chanson, Cohen Léonard, Littérature, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
10/11/2016
"La porte étroite" (André Gide) : critique I
Pourquoi avoir acheté et lu ce petit livre d’André Gide datant de 1909 ?
Parce qu’un article de Marianne consacré aux vertus de la littérature l’avait conseillé à ceux dont la vie est gâchée par leur perfectionnisme… et que j’étais intrigué par cette recommandation.
Le roman – en fait une longue nouvelle (Gide considérait que c’était un récit) – débute comme une autobiographie : « Je n’avais pas douze ans lorsque je perdis mon père ». Et tout de suite le lieu central de l’histoire apparaît : « Fongueusemare, aux environ du Havre, où mon oncle Bucolin nous reçoit chaque été ». Le ton personnel, le style alerte, les descriptions sobres mais précises (« Derrière la maison, au couchant, le jardin se développe plus à l’aise. Une allée, riante de fleurs, devant les espaliers au midi, est abritée contre les vents de mer par un épais rideau de lauriers du Portugal et par quelques arbres »), l’évocation des années heureuses de l’enfance, tout laisse espérer un bon moment de lecture…
Puis entre en scène la tante créole : « Lucile Bucolin était très belle » et le narrateur annonce : « Lucile Bucolin, je voudrais ne plus vous en vouloir, oublier un instant que vous avez fait tant de mal ». Plus loin on apprend que « Certains jours, Lucile Bucolin avait sa crise ». Mais bientôt, l’attention du lecteur va être détournée vers l’une de ses filles : « Qu’Alissa Bucolin fût jolie, c’est ce dont je ne savais m’apercevoir encore ; j’étais requis et retenu près d’elle par un charme autre que celui de la simple beauté ». Le narrateur raconte qu’il jouait avec ses cousins Juliette et Robert, et qu’avec Alissa, il causait.
L’histoire, bien menée, semble hésiter entre plusieurs développements, rythmée qu’elle est par des transitions qui sont autant de relances : « Cet instant décida ma vie ; je ne puis encore aujourd’hui le remémorer sans angoisse. Sans doute je ne comprenais que bien imparfaitement la cause de la détresse d’Alissa, mais je sentais intensément que cette détresse était beaucoup trop forte pour cette petite âme palpitante, pour ce frêle corps tout secoué de sanglots ». Rien n’indique encore en cette page 27 de l’édition Folio de 1997 ce que sera vraiment le sujet du roman.
Mais quelques pages plus loin, on l’entrevoit, ainsi que l’origine de son titre : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite », que l’on peut comprendre comme une exhortation à être exigeant, à rechercher la voie la plus difficile, celle qui demandera des sacrifices mais « qui conduit à la Vie », autrement dit « la félicité du ciel ».
C’est l’histoire de l’amour entre deux jeunes gens, né pendant l’enfance et rendu impossible par la foi chrétienne de l’un des deux, qui ne vise qu’une chose : la vertu, le renoncement, la pureté, la prière. L’héroïne, Alissa, va tout faire pour ne pas s’unir à son cousin Jérôme.
Dans ses lettres, elle lui dit son amour mais joue au chat et à la souris avec lui : « Certes Alissa me remerciait de ne point venir à Fongueusemare, certes elle m’avait supplié de ne point chercher à la revoir cette année, mais elle regrettait mon absence, elle me souhaitait à présent ; de page en page retentissait le même appel » (page 100). Et plus loin : « Non, n’écourte pas ton voyage pour le plaisir de quelques jours de revoir. Sérieusement, il vaut mieux que nous ne nous revoyions pas encore (…) Je sais seulement que je pense à toi sans cesse (ce qui doit suffire à ton bonheur) et que je suis heureuse ainsi » (page 103). Le lecteur est ému mais enrage…
Les mois passent, l’absence dure et quand, enfin, ils se retrouvent, ils ne trouvent plus rien à se dire. Même leur correspondance est jugée maintenant, par Alissa, comme un mirage. Le temps a fait son travail d’usure ; ce qui stagne, s’étiole… On parlerait aujourd’hui d’un problème de communication. Tout semble compliqué entre ces deux êtres : s’écrire ou se voir, rien n’y fait, l’insatisfaction persiste. Tantôt l’un, tantôt l’autre propose le silence ou l’absence.
N’exagérons pas l’importance de la religion ; cette impossibilité à être heureux ensemble malgré le souhait partagé de l’être, s’installe progressivement et inexorablement, mais à mesure que le récit avance, le narrateur n’y fait plus allusion. De sorte que « La porte étroite » est aussi, plus généralement, un symbole de l’incommunicabilité, de l’incapacité au bonheur serein, de l’immaturité sentimentale peut-être. Chacun pourra y trouver une résonance avec telle ou telle expérience personnelle. Quant à moi, certains dialogues et certaines réactions m’ont frappé par leur vraisemblance…
L’histoire chemine, toujours dans le même sens, celui d’une séparation inéluctable, voulue, préparée avec une sorte de cruauté : « Le soir où, descendant pour dîner, je ne porterai pas à mon cou la croix d’améthyste que tu aimes… comprendras-tu ? – Que ce sera mon dernier soir. – Mais sauras-tu partir, reprit-elle, sans larmes, sans soupirs… » (page 125).
La métaphore de la porte étroite se double alors pour le lecteur de celle de l’entonnoir, en ce sens que pour espérer franchir cette porte, il faut s’alléger, brûler ses vaisseaux, se dépouiller et cheminer dans un couloir qui rétrécit progressivement. Le narrateur parle d’ailleurs de « s’arracher les ailes » à propos de la transformation qu’il constate chez Alissa. La religion est réapparue vers la fin du récit.
À suivre.
07:30 Publié dans Écrivains, Gide André, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
07/11/2016
Tics de langage
Le site internet du Figaro contient un espace « Langue française » fort intéressant. Le 17 octobre 2016, la rubrique « actu des mots » mettait l’accent sur les « Dix tics de langage à proscrire pour le bien de l’humanité ». Au-delà de l’outrance, peut-être humoristique, du titre, il y a bien là de quoi être irrité, au bureau, sur le marché ou dans les transports. Il ne s’agit pas de dénoncer une quelconque ignorance du français ; il s’agit seulement de moquer la paresse intellectuelle, l’instinct d’imitation bébête, la beaufitude, le laisser-aller, mais aussi la naïve envie de faire bloc, de s’assimiler, de montrer sa ressemblance ou sa sympathie, de certains de nos concitoyens, qui se traduit par l’emploi répété inlassablement et automatiquement, d’expressions toutes faites, condensées, censément drôles ou non conformistes, et la plupart du temps incorrectes. C’est une sorte de verlan du bobo, du Français moyen et des Dupont Lajoie…
Dans la liste du Figaro, j’ai noté :
- « j’dis ça, j’dis rien », qui ne veut rien dire, justement !
- « j’ai envie de dire » (et ses variantes : « j’veux dire » ou bien « j’dirais » et ses ajouts tout aussi inutiles : « en même temps », « tu vois » (cf. les Inconnus)) : on a envie de hurler : « eh bien, dites-le ! »
- « c’est juste pas possible » : ça, c’est vraiment affreux ! « juste » est un adjectif qui n’a aucune raison d’être utilisé à la place de « uniquement » ou « simplement »… C’est tout simplement (!) une servile imitation de l’américain just, qui lui est un adverbe et signifie « précisément », « exactement ». Tous ces gens, quand ils ont appris au collège le peu d’anglais qu’ils connaissent, ont pourtant subi les foudres de leurs professeurs au sujet des faux-amis… Pendant combien d’années faudra-t-il dire et écrire qu’entre deux langues, même en partie cousines comme le français et l’anglais, la transposition ne consiste pas à remplacer un mot par un autre, fût-il graphiquement ressemblant ?
- « entre guillemets » ou pire « entre quotes », avec la mimique et deux doigts de chaque main qui s’agitent de chaque côté de la tête, comme pour imiter le lapin Wonder… Idiot de vouloir mettre des guillemets sur un message oral ! Écrivez-le plutôt, si vous adorez les guillemets à ce point…
- « tu vois », « j’avoue », « c’est trop », « euh… », « hmmm », etc. Sus à ces fioritures sans queue ni tête, qui au mieux indiquent que les idées du locuteur « ne suivent pas », au pire qu’il nous enfume ou qu’il n’a rien à dire d’intéressant.
Et le rédacteur du Figaro de conclure : « Préférons la simplicité et épurons notre syntaxe. Nul besoin de couper ses phrases de ces tics inutiles pour maintenir le contact avec votre interlocuteur ; si votre sujet est intéressant, il se suffira à lui-même ». Bien dit !
Les lecteurs de ce blogue savent bien que des pratiques risibles comme celles-là, j’en ai dénoncé déjà des dizaines… C’est satisfaisant de voir qu’elles préoccupent également un grand quotidien national.
Dans un numéro ancien (août 2014) du journal des activités sociales de l’énergie, j’ai trouvé un autre tic, plutôt courant à l’oral en ce moment : « 5000 bénévoles, mobilisés auprès de leurs collègues inactifs, mais pas que » (au lieu de « pas uniquement »). Qu’est-ce qui peut bien conduire des gens, et même des journalistes, à écrire et parler comme cela ?