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12/12/2016

Irritations linguistiques XXXVI : obsessions domestiques

L’autre jour, un journaliste de France Inter parlait du retour à la scène d’un chanteur ; puis il s’est repris et a corrigé : son come-back… de peur, sans doute que ses auditeurs ne comprennent que le franglais ?

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Dans l’hebdomadaire Marianne, ma bête noire, ce sont les pages « Quelle époque ! Tendance », dans lesquelles s’étalent le snobisme, la beaufitude et la boboïtude les plus effrénés (à supposer que l’on puisse vraiment associer ces trois termes, dont l’un tout seul suffirait déjà à vous donner de l’urticaire…). Dernier exemple en date : l’article « Le management domestique » de Valérie Hénau. La thèse de cette brave dame n’a rien de ridicule ni d’anodin ; il s’agit de souligner qu’aujourd’hui « la frénésie de discipline et d’efficacité » à la maison ajoute du stress au stress déjà énorme engendré par la vie professionnelle (bureaucratie, déshumanisation, rendement, etc.). Et de nombreuses remarques ou critiques sont intéressantes à propos de cette obsession de l’époque de tout maîtriser et de son incapacité à « lâcher prise » (comme dit AL).

Mais l’article est bourré ad nauseam de termes franglais censés montrer la modernité, que dis-je ?, la branchitude toute parisienne de son auteur. Jugez plutôt (je souffre en recopiant ces expressions immondes…). 

Le chapeau :

« Le credo des coachs en détox maison et autres home organisers ».

Les vacances :

« Couchsurfing, réseau des greeters, sites de discount, no show, plan city break, trip planner de la maison, inonder par mail, la belle-sœur qui veut booker dix jours ».

Les repas :

« La vague du healthy, le food prepping, les soirs de rush, le crossfit ».

Le rangement :

« un professionnel pour driver son nettoyage de printemps, que fait la gender police ?, rangement feel good, routines de rangement (pour rituel) ».

Les listes :

« Leur côté slow, cet exercice vintage, le vernis high tech, son côté low tech ». (Passons sur le fait que tous les sites internet recommandés pour assouvir ses petites manies ont des noms anglais…). C’est dans ce paragraphe que Valérie Hénau laisse filtrer le plus de perplexité, voire de raillerie, vis-à-vis de ces obsessions de perfectionnistes (« Les psys ont beau prévenir que bâtir des listes est une activité anxiogène »). Mais la journaliste ne voit pas la contradiction ni le ridicule qui point quand elle écrit : « Que le griffonnage d’antan soit rebaptisé to do list (une appellation yankee n’augurant jamais rien de bon, dans quelque domaine que ce soit – sic ! –)… procède sans doute de cette réhabilitation suspecte ».

Les agendas :

« les pratiques business, la e-cagnotte, le burn-out).

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Pour terminer ce billet, un peu de réconfort ? Allez…

C’est l’interview de l’éditeur Oliver Gallmeister dans le Figaro Magazine du 2 décembre 2016. Je cite :

« La littérature américaine contemporaine est-elle meilleure que la nôtre ?

Oui.

Qui est le plus grand écrivain américain ?

Mark Twain est incontournable mais il y a d’autres monstres sacrés comme Faulkner, Steinbeck, Hemingway ou, plus proches de nous, Jim Harrison, James Ellroy ou Marilynne Robinson.

Des écrivains français que vous aimez ?

C’est assez banal mais mon écrivain préféré est Proust. J’adore les classiques, Hugo, Balzac, Stendhal, Céline, Gide (…).

Le disque sans lequel vous ne pourriez vivre ?

You must believe in spring de Bill Evans, un album enregistré en 1977, que j’écoute tous les dimanches matin depuis vingt-cinq ans (…).

Le lieu où vous vous sentez bien ?

Ma Corrèze natale, où j’aime pêcher à la mouche et le Montana, où je me rends chaque été. Ces deux endroits ont plusieurs points communs : les rivières, les grands espaces, la solitude.

Beaucoup de gens sont pessimistes en ce qui concerne l’avenir du livre papier et de l’édition traditionnelle…

Je ne partage pas ce pessimisme. Le livre existe depuis plus de cinq cents ans et l’illusion démocratique du tout numérique l’affecte somme toute assez peu : même aux États-Unis, 80 % des livres achetés sont des livres papier. On continuera à lire des livres quand Apple, Google et Amazon auront disparu depuis longtemps ».

Réconfortant, non ?

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10/12/2016

Bonne fréquentation (III)

Décembre commence en flèche : le jeudi 8 décembre 2016 a connu un nouveau record de fréquentation du blogue, 33 visiteurs uniques !

L'Europe ne compte plus que pour 90 % dans le lectorat.

Si cet engouement continue, la fréquentation du dernier mois de l'année 2016 va établir un nouveau plus-haut (comme disent les boursicoteurs), dépassant largement celle de novembre.

Merci à tous, continuez !

08:49 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

08/12/2016

Langue, pouvoir, enseignement

Au tout début du blogue « Le bien écrire », l’un des tout premiers commentaires que je reçus fut, en substance, que la langue (française en l’occurrence) était fasciste. Je connaissais (de loin) l’avis terrible de Barthes sur le sujet mais je n’avais pas imaginé sur le coup que, peut-être, mon lecteur y faisait allusion sans malice. Au contraire, je l’ai pris pour moi, sachant qu’effectivement les premiers billets du blogue étaient plutôt de type « normatif », voire moralisateurs : après tout, un lecteur ne me connaissant pas, pouvait très bien penser que je lui faisais la leçon, que je lui disais « ce n’est pas bien de s’écarter du français classique » et que j’étais l’un des représentants d’une élite arrogante voulant faire marcher tout le monde au pas et parler chacun comme Voltaire. Et je me suis dit sur le moment que le blogue commençait bien mal… Mais ce fut la seule et unique note discordante, alors je l’ai oubliée. 

Il y a quelque temps je suis tombé sur un article de Laurence Marie dans la revue Labyrinthe qui parlait du livre d’Hélène Merlin-Kajman « La langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement » (Seuil, 2003). Madame Merlin est (ou était) professeur de littérature française à l’Université Paris III et spécialiste du XVIIème siècle. Auteur de « La dissertation littéraire » (Seuil, 1996), elle a constaté « un désaveu de la langue classique par ceux-là mêmes qui sont censés l’enseigner ». Qui sont donc les intellectuels qui ont suscité ou accompagné ce mouvement ? 

Michel Foucault d’abord dans « L’ordre du discours » (Gallimard, 1970), puis Roland Barthes, qui a écrit cette phrase célèbre et terrible : "la langue est (...) tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas empêcher de dire, c'est d'obliger à dire". Et enfin Pierre Bourdieu qui définit la langue comme "le support par excellence du rêve de pouvoir absolu" et qui soutient que le classicisme, relayé par le système scolaire, serait l'organe de reproduction d'un pouvoir confisqué par la classe dominante.

Bon, défendre une certaine qualité de la langue, que ce soit son orthographe, sa syntaxe, voire son style, non seulement ce ne serait pas bien mais en plus ce serait manifester un souhait de domination de classe... Loin de moi l'idée de ferrailler à distance avec des adversaires tels que Foucault, Barthes et Bourdieu ! J'ai simplement envie de faire remarquer qu'utiliser et donc préserver un langage commun, cohérent, compréhensible, clair et en plus esthétique, cela sert à tout le monde, dans les échanges quotidiens aussi bien que dans le milieu professionnel. C'est faire preuve d'égards envers ses interlocuteurs. Et ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Sans doute les francophones qui se voient reprocher (gentiment) de commettre telle ou telle faute, en sont-ils fort marris et même vexés parfois. Mais les règles s'apprennent, elles sont à la portée de tout le monde. Et quand on perd au tennis, face à plus fort que soi, imagine-t-on de lui reprocher une domination de classe ?

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Mme Merlin établit un parallèle entre les classiques (Malherbe, puis Vaugelas et d'autres) et les modernes (nos contempteurs de la langue française au XXème siècle) ; les premiers "codifient le langage pour détacher les Français du passé tumultueux des guerres de religion" ; les seconds leur reprochent de "défendre les intérêts d'une nouvelle société d'honnêtes gens, (...) d'asseoir la tyrannie d'une élite". Mais pour elle, le purisme "classico-baroque" n'est pas vecteur de totalitarisme mais de civilité. En fait elle met au jour une symétrie entre les deux mouvements, l'un voulant "purger le français de sa violence", l'autre "le débarrasser du fascisme qui lui serait congénital". Elle considère donc que tous les deux entendent "confier à la langue la mission de fonder une société nouvelle en lui donnant une forme contraire à la forme du gouvernement politique" et s'appuyant sur "une même certitude qu'en la langue une liberté pouvait poindre, susceptible d'entamer radicalement une domination idéologique, là romaine et ecclésiale, ici capitaliste et bourgeoise".

Dans sa conclusion un peu embrouillée, la journaliste Laurence Marie note qu'en 2003, Luc Ferry dans sa "Lettre à tous ceux qui aiment l'école" associait étroitement l'apprentissage de la langue et la civilité. Et d'écrire : "On ne peut condamner plus clairement la pédagogie progressiste. L'heure du retour à la règle aurait donc sonné". On peut en douter quand on regarde treize ans après la dégradation continue de la performance des élèves et collégiens en dictée. Les pédagogistes sont toujours là, aux manettes. Et Cécile Ladjali continue elle aussi à déplorer que l'apprentissage insuffisant des fondements de la langue ne laisse que la violence à beaucoup de jeunes pour s'exprimer (voir Mauvaise langue).