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08/12/2016

Langue, pouvoir, enseignement

Au tout début du blogue « Le bien écrire », l’un des tout premiers commentaires que je reçus fut, en substance, que la langue (française en l’occurrence) était fasciste. Je connaissais (de loin) l’avis terrible de Barthes sur le sujet mais je n’avais pas imaginé sur le coup que, peut-être, mon lecteur y faisait allusion sans malice. Au contraire, je l’ai pris pour moi, sachant qu’effectivement les premiers billets du blogue étaient plutôt de type « normatif », voire moralisateurs : après tout, un lecteur ne me connaissant pas, pouvait très bien penser que je lui faisais la leçon, que je lui disais « ce n’est pas bien de s’écarter du français classique » et que j’étais l’un des représentants d’une élite arrogante voulant faire marcher tout le monde au pas et parler chacun comme Voltaire. Et je me suis dit sur le moment que le blogue commençait bien mal… Mais ce fut la seule et unique note discordante, alors je l’ai oubliée. 

Il y a quelque temps je suis tombé sur un article de Laurence Marie dans la revue Labyrinthe qui parlait du livre d’Hélène Merlin-Kajman « La langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement » (Seuil, 2003). Madame Merlin est (ou était) professeur de littérature française à l’Université Paris III et spécialiste du XVIIème siècle. Auteur de « La dissertation littéraire » (Seuil, 1996), elle a constaté « un désaveu de la langue classique par ceux-là mêmes qui sont censés l’enseigner ». Qui sont donc les intellectuels qui ont suscité ou accompagné ce mouvement ? 

Michel Foucault d’abord dans « L’ordre du discours » (Gallimard, 1970), puis Roland Barthes, qui a écrit cette phrase célèbre et terrible : "la langue est (...) tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas empêcher de dire, c'est d'obliger à dire". Et enfin Pierre Bourdieu qui définit la langue comme "le support par excellence du rêve de pouvoir absolu" et qui soutient que le classicisme, relayé par le système scolaire, serait l'organe de reproduction d'un pouvoir confisqué par la classe dominante.

Bon, défendre une certaine qualité de la langue, que ce soit son orthographe, sa syntaxe, voire son style, non seulement ce ne serait pas bien mais en plus ce serait manifester un souhait de domination de classe... Loin de moi l'idée de ferrailler à distance avec des adversaires tels que Foucault, Barthes et Bourdieu ! J'ai simplement envie de faire remarquer qu'utiliser et donc préserver un langage commun, cohérent, compréhensible, clair et en plus esthétique, cela sert à tout le monde, dans les échanges quotidiens aussi bien que dans le milieu professionnel. C'est faire preuve d'égards envers ses interlocuteurs. Et ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Sans doute les francophones qui se voient reprocher (gentiment) de commettre telle ou telle faute, en sont-ils fort marris et même vexés parfois. Mais les règles s'apprennent, elles sont à la portée de tout le monde. Et quand on perd au tennis, face à plus fort que soi, imagine-t-on de lui reprocher une domination de classe ?

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Mme Merlin établit un parallèle entre les classiques (Malherbe, puis Vaugelas et d'autres) et les modernes (nos contempteurs de la langue française au XXème siècle) ; les premiers "codifient le langage pour détacher les Français du passé tumultueux des guerres de religion" ; les seconds leur reprochent de "défendre les intérêts d'une nouvelle société d'honnêtes gens, (...) d'asseoir la tyrannie d'une élite". Mais pour elle, le purisme "classico-baroque" n'est pas vecteur de totalitarisme mais de civilité. En fait elle met au jour une symétrie entre les deux mouvements, l'un voulant "purger le français de sa violence", l'autre "le débarrasser du fascisme qui lui serait congénital". Elle considère donc que tous les deux entendent "confier à la langue la mission de fonder une société nouvelle en lui donnant une forme contraire à la forme du gouvernement politique" et s'appuyant sur "une même certitude qu'en la langue une liberté pouvait poindre, susceptible d'entamer radicalement une domination idéologique, là romaine et ecclésiale, ici capitaliste et bourgeoise".

Dans sa conclusion un peu embrouillée, la journaliste Laurence Marie note qu'en 2003, Luc Ferry dans sa "Lettre à tous ceux qui aiment l'école" associait étroitement l'apprentissage de la langue et la civilité. Et d'écrire : "On ne peut condamner plus clairement la pédagogie progressiste. L'heure du retour à la règle aurait donc sonné". On peut en douter quand on regarde treize ans après la dégradation continue de la performance des élèves et collégiens en dictée. Les pédagogistes sont toujours là, aux manettes. Et Cécile Ladjali continue elle aussi à déplorer que l'apprentissage insuffisant des fondements de la langue ne laisse que la violence à beaucoup de jeunes pour s'exprimer (voir Mauvaise langue). 

 

 

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