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18/04/2017

Petites nouvelles du Front (I)

Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé de mes lectures dans ce blogue… et pour cause : d’une part les irritations linguistiques m’en empêchaient (voir les trois derniers billets) et d’autre part mes lectures, fort intéressantes et instructives, ne ressortissaient pas à proprement parler du domaine de la littérature.

J’ai ainsi lu le gros pavé d’Éric Zemmour, « Le suicide français » (Albin Michel, 2014), ouvrage fort commenté et à l’origine de nombreuses polémiques il y a quelques mois. Je ne peux pas nier qu’il est intéressant ; on le lit avidement, d’une part parce qu’il est organisé par petits chapitres chronologiques censés décrire des « ruptures » (dans le sens du renoncement et de la faillite d’un modèle) et d’autre part parce qu’il est écrit dans un style journalistique de qualité, avec des titres pleins et intrigants. On dévore donc cette succession de coups de gueule et de coups de sang envers des événements, des personnages, des chansons ou des films, qui ont fait l’histoire contemporaine de notre pays depuis le 9 novembre 1970, jour de l’enterrement du Général de Gaulle, jusqu’au 13 décembre 2007, jour de la signature du traité institutionnel « modificatif » de Lisbonne. Et franchement, on en apprend des choses car c’est extrêmement documenté, plein de détails issus des coulisses ou bien que l’on avait oubliés.

Le ton est volontairement alarmiste, voire désespéré : « La France se couche. La France se meurt » ; « Nos élites (…) somment la France de s’adapter aux nouvelles valeurs. Elles crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant » ; « Toutes observent (…) la France qu’on abat ».

L’auteur est un redoutable débateur et l’on reste souvent démuni ou ébranlé par la solidité de ses argumentations. Impossible de résumer 527 pages grand format, on peut seulement en recommander la lecture, ne serait-ce que pour s’exercer à contrer ses thèses quand on ne les partage pas (et aussi pour mesurer l’écart entre ce qu’on lit et ce qu’en ont dit ses collègues-journalistes à l’époque).

Mais je ne résiste pas à l’envie d’en citer deux passages qui résonnent avec les idées défendues (ou pourfendues) dans ce blogue.

D’abord le chapitre « 24 janvier 1981 : Dallas ou le changement d’âme » : « Mais la télévision frappait beaucoup plus fort que le littérature et même que Hollywood (…). Dallas se révéla une redoutable arme de colonisation des esprits, que les Américains appelèrent soft power (…). En France, les parents appelèrent leurs enfants Sue Ellen, Pamela ou même JR. La jeunesse se précipita vers les Mc-Donald’s qui ouvrirent au même moment (…). Des marchands habiles acclimatèrent dans nos contrées jusque-là rétives la fête des fantômes d’Halloween ; lors de leurs procès, les voyous appelèrent leurs juges Votre Honneur. La société française, imprégnée d’une triple culture catholique, révolutionnaire et communiste, s’agenouillait devant les cow-boys texans. Les esprits étaient mûrs pour un grand chambardement (…). Les GI’s, les chewing-gums et le coca-cola, le rock and roll et Hollywood avaient été la première étape essentielle d’une américanisation des esprits qu’avait fort bien annoncée un Paul Morand dans son roman des années 1930 Champions du monde ». 

Ensuite, et dans un tout autre ordre d’idées, il faut lire le chapitre « 21 mars 1983 : le passage de la lumière à l’ombre », dans lequel Éric Zemmour explique comment « l’élite de la gauche française » conduisit « comme un chien d’aveugle Mitterrand et la gauche sur des chemins escarpés où ceux-ci ne voulaient pas aller et d’où ils ne reviendraient pas ». Pour la première fois, « l’État français se présenta devant les marchés internationaux pour financer sa dette, alors qu’il avait l’habitude de se tourner vers l’épargne nationale qui avait la réputation justifiée d’être abondante ».

Ce « tournant de la rigueur », cette adoption du libéralisme économique et de la mondialisation financière, nous en subissons encore les conséquences et son avènement à l’époque sert d’argument aujourd’hui pour déstabiliser tout projet de « relance keynésienne ». Quant à la fameuse dette et à la non moins fameuse « tyrannie des marchés », elles occupent toujours une large part des discours tant des politiques que des économistes. Et l’on reste songeur devant ce passage du livre : « C’est l’Europe qui avait précédé le monde et non le monde qui avait subverti l’Europe. Ce fut un quarteron de hauts fonctionnaires français qui imposa cette vision à l’Europe et au monde, contrairement à notre tradition protectionniste (et à nos intérêts nationaux ?) ». Accablant…

Comme on le voit, ce n’est pas le Vél. d’hiv. ni le statut des Juifs sous l’Occupation qui constituent le cœur de cet épais volume.

13/04/2017

Irritations linguistiques XLIX : délire lexical IV

Dernier billet de la série : Julie de Los Rios nous parle des ados et du marché dans le Marianne du 3 mars 2017. La thèse, bien connue, est la suivante : « Irresponsabilité programmée du consommateur, lequel ne fait qu’accomplir le plan du néocapitalisme qui conquiert ainsi un immense et nouveau marché ».

Un encart est intitulé : « Sportswear siglé pour graines de champion sponsorisé » et la légende de la première photo : « Lookés ». On évoque dès l’entrée, pour les dénoncer heureusement, les corn-flakes, les young athletes d’une multinationale du sport, ses best-sellers, ses sneakers… Ça commence bien !

La Julie ne recule pas devant un jeu de mots : « Cosméto écolo pour nymphettes biotiful » et mentionne le slogan censé aller avec : « No petrol, just beauty ». L’encart « repas rapides » n’échappe pas au fast-foods ni au burger, tandis que celui des « écouteurs pop » se limite aux youtubeurs, aux top models (tiens…) et aux motifs tie & dye.

L’encart « Smartphones » est un passage obligé, qui bizarrement ne nous inflige que « photo ficha » (compromettante), addiction (néologisme d’origine anglaise), « demeurer au top ».

Au rayon « personnalisation des objets fétiches », on trouve VIP et émojis (avec un « é » s’il vous plaît). Cela reste raisonnable ; il est vrai que l’on y parle des sacs Lancel… À celui de la mode pour bébés mannequins, ça l’est moins : les enseignes « New Look », « Wasted, le label de streetwear français (sic !) », les lignes de vêtement « Teen Model », les sweats et autres tee-shirts, tout y est.

Il y a un encart « Lingerie cool », une marque française (sic !) « Mina Storm », des dessous « en coton bio Stretch », un live chat pour conseiller nos baby dolls, un message bien intentionné « Fly with your own wings ». 

Eh bien voilà, on est arrivé au bout… C’était pas pire que d’habitude !

10/04/2017

Irritations linguistiques XLVIII : délire lexical III

Je continue ma série de billets consacrés à la langue de la mode ou, plus exactement, au vocabulaire de certains journalistes quand ils parlent des modes dans leurs rubriques « Société ».

Julia Miss Sympathie Vosges Matin.jpgMes lecteurs connaissent déjà Valérie Hénau (voir mon billet du 3 avril 2017). Dans le Marianne du 10 mars 2017, elle s’attaque au « marketing du pop féminisme » (sic !). Sur le fond, et brièvement – car ce n’est pas le fond qui nous intéresse ici – elle a le droit de juger « l’inanité d’un mouvement (NDLR. : le féminisme) à sa capacité à être récupéré par le marché ». (NDLR. : inanité, caractère de ce qui est inutile, vain). En quelques paragraphes aux titres pleins (le pop féminisme est un tee-shirt à 500 € ; le pop féminisme est une pub tartouille ; le pop féminisme est une petite fille pontifiante ; le pop féminisme est un mascara ou un cours de yoga ; le pop féminisme est une fille à poil), elle veut démontrer que ce féminisme-là s’est dissous dans les gadgets, le superficiel et surtout les prétextes pour vendre toujours plus (« s’approprier le langage, l’imagerie et l’énergie du féminisme en le vidant de toute culture politique »). C’est malheureusement le sort de nombre de causes qui ont été récupérées par les publicitaires et les marchands du Temple (le meilleur exemple en est l’écologie). Elle écrit, lucide : « Comme nouveau moyen de lever les oiselles, en tout cas, cela semble marcher aussi bien que le coup du bébé chien »

Mais, une fois de plus, ce genre d’article est un ramassis de formules prétendument accrocheuses car vaguement américaines ; en un mot le lecteur doit affronter un déluge de franglais, avec pour seule consolation le constat que d’un texte à l’autre les mots, tous d’apparence anglaise, ne sont jamais les mêmes et que donc, selon le théorème d’Étiemble, ils disparaîtront sans crier gare avec l’objet même ou la mode qu’ils désignent.

Jolies filles images d'Épinal.jpgDès l’accroche on subit « les tee-shirts bavards » et « les jet-setteuses en Louboutin ». Puis ce sont les giboulées : body-shaming, féminisme cupcake, newsletter, best-seller global, en front row entourée de people, « The future is female », la Fashion Week, un sweat inspiré, le greenwashing, un vrai rêve no gender, les #mybeautymysay, un peu black, le #morethanabum, les femmes sont beaucoup plus que leur look, blonde fan de shopping, punch line : sois ta propre définition de la beauté, dans leur boîte mail, variante pour teenagers de la newsletter, des tee-shirts Beautiful et Hero, très genrés, une vidéo a fait le buzz, dix mille likes en une heure, soul cycling, boxe-yoga comme un supplément de capacitation, s’exhiber en body, poster des Instagram, réifiée par le désir des hommes, leur slut walk attitude, la vilaine fille bad ass à string rose, gadget girly, le dernier chic millénial dans les pays anglo-saxons, de façon assez gore ! 

Notre journaliste n’est pas dénuée d’autodérision involontaire puisqu’elle note, à propos des tee-shirts à slogan comme « Girls want to have fun » ou « I am a Barbie girl » : « en anglais, c’est toujours mieux ces trucs-là » ! Avec empowerment, elle touche au sublime : « en français, capacitation ou empouvoirement, autant dire que personne n’en parle ainsi » ! 

À noter aussi quelques bizarreries lexicales de l’époque comme « une fille hypermaigre et pas très raccord avec le sujet » et « tout le monde pense que les filles doivent juste être jolies ».

La coupe est pleine.