18/03/2017
Parler français sur les chantiers III
Au moment où je publiais ce billet (« Parler français sur les chantiers »), le Président des États-Unis préparait un décret aux visées explicitement et officiellement protectionnistes, n’ayant aucune des pudeurs ni des élans universalistes qui paralysent l’Union européenne. Pas besoin pour Donald Trump de se cacher derrière des motifs de sécurité au travail, eux-mêmes associés à des obligations linguistiques, pour afficher clairement l’objectif de favoriser les entreprises américaines sur leur sol.
En France, ce sont les médias et les journalistes « libéraux » ou « ultra-libéraux » qui sont montés au créneau, avec dans la tête la cible d’une déréglementation généralisée (on parle parfois de « la liberté du renard dans le poulailler »).
Ainsi Jean-François Pécresse, dans Les Échos du 14 mars 2017, parle-t-il de « la clause Tartuffe ». L’introduction de son article donne le ton : « À l’Europe, qui nous a tant apporté, nous devons la vérité » ! Et ensuite : « Cette clause (…) est l’avatar d’un protectionnisme honteux… ». Et de citer Mme Élisabeth Morin-Chartier, auteur elle aussi d’une lettre à François Fillon (décidément très sollicité), dans laquelle elle dit : « Ce qui se joue, dans cette préférence nationale déguisée, que ne renierait pas Donald Trump (tiens, tiens… on a vu plus haut ce que ce dernier a à faire de ce genre de mesure !), c’est bien le sort des libertés fondamentales sur lesquelles l’Europe s’est construite, la liberté de circuler et de travailler dans cet espace commun… ». On pourrait continuer : la liberté de perdre son emploi au profit de travailleurs moins payés et moins protégés, la liberté d’ingurgiter des perturbateurs endocriniens et des pesticides, la liberté d’attendre qu’une lointaine Cour de justice de Luxembourg décide de ce que l’on a le droit de faire et de ne pas faire, etc.
J.-F. Pécresse continue sans nier l’existence d’un dumping : « Ce dumping social est une réalité, non pas à cause de la directive sur le travail détaché, mais en dépit de cette directive (il fallait oser !) – laquelle permet aussi à 180000 Français d’être détachés hors de nos frontières sans qu’on exige d’eux qu’ils parlent allemand, slovène ou letton… ». Et de nous enjoindre tous de « Améliorer l’Europe plutôt que de la rejeter ».
Cela fait vingt ou trente ans que ça dure…
Donald Trump a baptisé son programme et particulièrement ses mesures protectionnistes : « America first ». Sans faire aucunement de parallèle politique, je constate que Arnaud Montebourg, lui, a pour slogan de son redressement : « Made in France »… Cherchez l’erreur !
Pour conclure et revenir à mes moutons, j’appelle de mes vœux, en cette période de campagne électorale présidentielle (française), une législation globale mettant en application concrètement l’article de la Constitution de la Vème République (française) qui dit que la langue de ladite république est le français (béni soit Michel Debré ou l’un de ses corédacteurs qui a pensé à écrire cela !) : obligation de maîtriser (et alors son utilisation en découlera naturellement) le français sur les chantiers quels qu’ils soient (via les contrats de sous-traitance), obligation de maîtriser le français pour l’acquisition de la nationalité française, interdiction aux entreprises publiques ou financées par des fonds publics d’adopter des slogans – et encore moins des raisons sociales – en anglais (Air France, Aéroports de Paris, etc.), interdiction de déposer des raisons sociales d’entreprises en anglais, interdiction des noms de produit en anglais ou à typographie anglaise (Wanadoo et autres ; cela a tellement imprégné nos cerveaux que dans le tramway T2 de la banlieue parisienne, le nom de la station Henri Farman est prononcée « farmanne » !), obligation de choisir des noms d’enseignes en (bon) français, interdiction des publicités, même partielles, en anglais et quel qu’en soit le support (affiches, radio, télévision…).
Une raison, vous voulez une raison ?
La voici : comment voulez-vous que nos enfants apprennent l’orthographe s’ils ont tous les jours devant leurs yeux des « Captur » ?
Je pourrais publier une pétition mais alors le vecteur en serait change.org ou wemove.eu… On est cernés !
PS.
- Je me doute que l’accumulation d’interdictions et d’obligations énumérées ci-dessous va en indisposer plus d’un (les Français passionnés d’égalité, sont aussi des acharnés de la liberté ; en mai 68, le slogan « Il est interdit d’interdire » en a enthousiasmé plus d’un !). Mais aux grands maux, les grands moyens, et Jean Dutourd, parmi d’autres, avait sonné le tocsin il y a longtemps. Comment donc ont procédé nos chers amis, les Québécois ? Et s’il avait fallu attendre l’autodiscipline pour qu’il n’y ait plus de cigarette dans les salles de réunion et plus autant d’excès de vitesse sur nos routes, on attendrait encore.
- Je pressens aussi que mes lecteurs, cultivés comme ils le sont, me rétorqueront, à propos d’Henri Farman, qu’il était d’origine anglaise et que ceci explique cela. Voyons donc ce qu’en dit Wikipedia :
« Issu d'un père anglais (correspondant pour un journal britannique) et d'une mère française installés à Paris, Henri Farman, très jeune, se passionne pour le cyclisme, l'automobile et l'aviation avec son frère Maurice Farman.
Curieusement, bien que nés à Paris, les trois frères Richard dit Dick, Henry et Maurice Farman ne figurent pas dans les tables décennales ni dans les registres de l'état-civil parisien, leur père les ayant seulement déclarés au consulat de Grande-Bretagne.
Le 13 janvier 1908, alors qu'il s'appelle toujours Henry Farman, il effectue au-dessus du terrain d'Issy-les-Moulineaux à bord d'un biplan Voisin, utilisant un moteur V8 Antoinette de 50 ch, le premier vol officiel en circuit fermé d'un kilomètre, d'une durée de 1 minute et 28 secondes.
Né à Paris, il opte pour la nationalité française et fait franciser son prénom en 1937. Décoré à de multiples reprises, il reçoit notamment la Légion d'honneur. Les Britanniques — et par extension les anglophones — l'appellent « Henry » et le considèrent comme un Anglais (NDLR : perfide Albion !).
La rue Henry-Farman (sic) et un monument lui sont dédiés à côté de l'héliport de Paris, près du parc Suzanne Lenglen (15e arrondissement), ainsi que la station Henri Farman de la ligne 2 du tramway d'Île-de-France. À Reims et à Mourmelon-le-Grand, deux monuments commémoratifs rappellent le premier voyage aérien de l'histoire qu'il effectua le 30 octobre 1908 ».
- Au fait, comment prononcez-vous « Lenglen » ?
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16/03/2017
Parler français sur les chantiers III
Quand les médias veulent nous distraire des délicatesses des différents candidats à l’élection présidentielle (française) avec la loi, les règlements, la déontologie et tout bonnement la morale, ils nous trouvent un bon sujet qui fait parler ; la langue française et sa pratique sur le territoire national (métropolitain en l’occurrence) semble en être un car une majorité de Français, grâce à Richelieu, sont sensibles, voire hypersensibles, vis-à-vis de tout ce qui s’y rapporte. En général, il s’agit des incorrections lexicales ou grammaticales entendues ici ou là, souvent du franglais des élites, fréquemment du niveau des élèves de nos écoles, réputé en chute libre, parfois mais plus rarement de la francophonie…
En ce moment (mars 2017), il s’agit d’une clause – malicieusement baptisée « clause Molière » par son inventeur, Vincent You (ça ne s’invente pas, au pays de Molière justement), adjoint au Maire d’Angoulême – qui est intégrée aux appels d’offres de marché public de collectivités de plus en plus nombreuses et qui exige que les ouvriers travaillant sur les chantiers issus de ces marchés parlent français.
Les raisons invoquées sont officiellement d’assurer la sécurité desdits chantiers (il faut en effet que tout travailleur connaisse et comprenne les consignes) et, plus ou moins officieusement, de réserver les chantiers aux entreprises locales (ou nationales) et, en tous cas, sans les fameux « travailleurs détachés » dont certains grands groupes usent et abusent.
L’argument lié à la sécurité me semble d’autant plus convaincant que j’ai le souvenir de volumineux « plan de prévoyance » et de visites préalables à la prise de fonction que certaines entreprises sont tenues de faire pour le moindre consultant venant travailler dans leurs bureaux, sans tracto-pelles, sans grues, sans marteaux-piqueurs...
Mais comme toujours en France et quel que soit le sujet, les contradicteurs n’ont pas tardé à se manifester et la polémique à enfler (je crois bien que cette construction de phrase aurait été bannie par Monseigneur Grente et que son déséquilibre disgracieux a même un nom savant en stylistique, que j’ai oublié). Et là, je trouve les arguments spécieux : certains détournent le sens de la clause et laissent croire qu’il s’agirait d’interdire aux travailleurs de diverses origines de parler leur langue ! Non, on leur demande de comprendre et de parler un minimum le français. D’autres insinuent qu’il serait impossible d’évaluer si quelqu’un a oui ou non cette faculté ! (Ces gens-là ne connaissent pas l’échelle européenne de cotation des pratiques linguistiques…). Le Grand Homme des patrons veut comme d’habitude le beurre et l’argent du beurre : pas mécontent de se voir réserver les chantiers en France, il alerte dans le même temps sur le danger que cette mesure ne puisse s’apparenter à « un repli sur soi » et déboucher sur « une préférence nationale » nous mettant au ban de la sacro-sainte Union européenne ; en un mot, ils craignent pour leurs marchés à l’étranger (ils disent : « à l’international »).
Je préfère cet avis plus fondé et moins intéressé du préfet, ancien collaborateur de Jean-Pierre Chevènement, qui soulignait l’importance d’avoir un travail (en France) pour apprendre le français.
Mais le mieux n’est-il pas de revenir à la source, c’est-à-dire au propos du pionnier de la clause Molière à Angoulême ? D’abord il donne la possibilité, en cas de méconnaissance du français, d’avoir recours à un interprète (aux frais du sous-traitant… mais n’est-il pas normal que ça lui coûte à lui, pour compenser un peu la concurrence faussée qu’il pratique souvent ?). Ensuite, dans une lettre récente au candidat François Fillon, il présente une démonstration savoureuse : « L’argument de réciprocité est malvenu car il laisse penser que les 200000 travailleurs français détachés à l’étranger sont soumis aux risques des chantiers où se croisent de nombreux corps d’état. En réalité, d’une certaine manière, les Français de Londres appliquent déjà la clause Shakespeare… mais peu travaillent sur des chantiers ! (…). Si des Français sont aujourd’hui détachés ailleurs, c’est davantage pour profiter de leurs compétences de cadres ou d’experts que pour minimiser les coûts sociaux d’ouvriers (…). Nous devons cesser de dire que la seule solution est aujourd’hui de perdre nos emplois d’ouvriers pour maintenir les emplois de nos cadres que les entreprises européennes s’arrachent. C’est un jeu de dupes ».
Tout cela est bel et bon, même si c’est apparemment loin de l’objet initial de ce blogue…
Mais au bout du bout, quel est ce monde où l’on ne peut pas exiger de personnes travaillant dans un pays donné (le nôtre en l’occurrence, aux autres de voir ce qu’ils souhaitent) qu’ils en comprennent et en parlent (un minimum) la langue ? Et qu’il soit interdit en pratique de se défendre ? Et même que certains refusent explicitement d’essayer ?
C’est le monde de la mondialisation heureuse !
Prochaine étape : le CETA et le TAFTA, qui permettront aux multinationales de traîner des États devant des instances d’arbitrage (je n’ose pas employer le terme de tribunaux)…
Pour les aspects plus théoriques, voir les travaux de l’École de Chicago et le livre de Naomi Klein.
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
13/03/2017
"Lac-aux-Dames" (Vicki Baum) : critique
J’avais récupéré ce livre je ne sais où ; il traînait depuis longtemps sur une étagère de « livres divers » et de livres réputés, à tort ou à raison, « pour enfants » (Henri Troyat, Hector Malot et d’autres). Engagé depuis peu dans une douloureuse opération de vente ou de cession de livres lus ou sans intérêt pour moi, j’hésitais à m’en séparer sans l’avoir lu ni même savoir qui l’avait écrit.
Sur internet, très peu de choses sur Vicki Baum… C’était une Autrichienne des années 20-30, émigrée aux États-Unis et écrivain de son état (« Grand hôtel », « Sang et volupté à Bali »…). Sur « Lac-aux-Dames », publié en 1927 sous le titre allemand « Hell in Frauensee », peu de choses également, même dans les sites littéraires. La brièveté et la sévérité des notices et des commentaires (« Livre décalé et sans grand intérêt », « À part cela, l'eau du lac est froide, le temps capricieux et le livre ... ennuyeux (…). On ne perd rien en ne lisant pas ce livre (…). Disette intellectuelle pour le lecteur ») disent assez l’opinion communément répandue : écrivain de second rang, roman daté et pour midinettes. Un lecteur déclare qu’il n’a pas pu dépasser la trentième page, un autre que l’indigence de la traduction l’a dégoûté de persévérer…
Diantre… j’étais quand même attiré par mon vieil exemplaire du n°167 du Livre de poche à la couverture naïve représentant un plongeoir sur une mer vert-bleu, avec dessus un athlète blond en maillot de bain blanc minimaliste tenant au bout d’une sorte de canne à pêche une jeune fille à bonnet blanc dans l’eau, tandis que tout autour, comme un essaim, quantité de jeunes femmes à bonnet, nageaient, plongeaient, barbotaient et que l’une d’elle, à moitié cachée sous un parasol de plage mais callipyge, laissait voir son postérieur, ses jambes de mannequin et ses mollets pris dans les lacets noirs et haut noués de ses ballerines…
Le roman était sous-titré « Roman gai d’amour et de disette » et sa traductrice (de l’allemand) Hélène Chaudoir ; à part cela, aucune mention ni de la date de publication ni de l’auteur du dessin de la couverture ; ni préface ni postface ni notice biographique ; comme disaient les Tontons, c’est du brut…
Et j’ai lu le roman d’une traite, je me suis pris au jeu de cette histoire qui finit bien, d’un jeune ingénieur qui, en attendant une lettre providentielle qui devrait le faire riche, se fait maître-nageur le temps d’un été dans une station balnéaire de montagne et devient, malgré lui, la coqueluche de tout ce que la clientèle de vacances compte d’éléments féminins ; c’est le roman d’un été, le roman d’une découverte de la séduction et de l’amour, le roman d’un choix difficile, des hésitations du cœur et du corps, et l’on s’y abandonne avec plaisir, sans croire un seul instant que l’on tient un chef d’œuvre.
Le roman est construit comme un triptyque, comme une dissertation « thèse, antithèse, synthèse », à savoir « découverte-repérages, dépression, rédemption », matérialisée par les changements météorologiques : la chaleur de l’été, qui aiguise les élans et permet les leçons de natation, la pluie et les brouillards qui accompagnent une sorte de descente aux enfers, avec la confusion des sentiments, les trahisons et la perte de tout espoir, et enfin une sorte de printemps qui renaît après les heures sombres et permet toutes les espérances de bonheur.
La traduction est effectivement calamiteuse (je préfère dire cela que d’incriminer l’auteur, que je n’ai pas lue dans sa langue maternelle). Le texte regorge, surtout dans sa première moitié, de formules hasardeuses ou saugrenues, de qualificatifs impropres : « à travers les fenêtres ruisselantes du compartiment » (deuxième phrase du roman, page 5), « les pousses encore gouttantes de la vigne vierge », « l’eau qui lui mordit les doigts d’un froid subtil », « Hell avait des dents de nègre » (on excuse cette formule, écrite à la fin des années 20…), « Le coup d’œil (…) était agréable et cependant un peu désillusionnant », etc.
Et malgré tout, on s’intéresse à cette histoire simple racontée sans fioritures, qui a le mérite de rendre très bien le charme suranné des lieux de vacances d’autrefois, les intermittences du cœur et les difficultés de la vie quand on ne mange pas tous les jours à sa faim.
Le lac est un élément central du roman ; il manque d’engloutir notre champion de natation dès son arrivée, il rythme par sa température et ses caprices ses possibilités de travailler et donc de gagner de quoi manger, il est le vecteur de ses échappées vers le « pays des tulipes » où règnent sa fidèle amie et sa mère neurasthénique, il menace, il enchante, il est l’objet quotidien des préoccupations des vacanciers. Bizarrement, bien avant Hell, le lieu s’appelle « Lac-aux-Dames » (et non pas le lac aux dames…), cadre idéal pour écrire l’histoire d’un harcèlement, non pas d’une beauté féminine par des mâles déchaînés, mais d’un jeune homme blond bien balancé et musclé par des donzelles de tous âges enamourées.
Mais en définitive, qu’est-ce qui m’a attiré dans ce roman bien tourné mais au style quelconque ? L’ambiance ! Et plus précisément celle de « la Montagne magique » (de Thomas Mann) : la vénération germanique pour la nature, les vacances saines et sportives, la vie confortable dans les hôtels de luxe d’avant-guerre, les jours qui passent toujours pareils, l’attente (d’un rendez-vous, du retour du soleil, d’une lettre…), une sorte de fatalisme...
Oui, j’ai apprécié « Lac-aux-Dames » et je peux le recommander à ceux qui veulent passer un bon moment – meilleur qu’avec Musso ou Lévy en tous cas. Quant à le conserver dans sa bibliothèque… non.
PS. En allemand "hell" signifie "clair et "Heller" veut dire "denier" (bien trouvé pour quelqu'un qui n'a pas le sou).
10:33 Publié dans Baum Vicki, Écrivains, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)