28/03/2019
"Féminisation des titres et des métiers : l'Académie française cède au conformisme" (Bérénice Levet)
Je vais essayer de vous faire partager la qualité et l’argumentation de l’article que Mme Bérénice Levet a publié dans le Figaro du jeudi 7 mars 2019.
Elle s’indigne et se désole, comme beaucoup d’entre nous, de ce que l’Académie française s’est ralliée, après que des esprits aussi puissants que Claude Lévi-Strauss et Georges Dumézil y avaient résisté dans les années 80, à la demande de l’une des revendications identitaires les plus pressantes, la féminisation de la langue française, en l’occurrence celle des titres et des noms de métier (en attendant sans doute malheureusement de futures modifications, inclusives ou autres).
Ce qui frappe dès l’abord dans l’article de Mme Levet, c’est la qualité de sa langue. C’est le minimum, direz-vous ! Peut-être, mais quel plaisir de lire des phrases bien balancées, des mots bien choisis, des développements bien construits !
Voyons maintenant son argumentation.
Elle considère que l’Académie a cédé au conformisme et que ce ralliement tardif – ce renoncement à résister aux pressions et à la mode – est une défaite de l’esprit critique et du génie de notre langue.
Il est vrai que l’on voit fleurir depuis quelque temps dans les médias bienpensants des « cheffes de service », des « auteures » et des « écrivaines » à longueur de colonnes. Ces médias ont évidemment salué le renoncement de l’Académie, qui enlève un soutien de poids à ceux qui résistaient.
Il y a le cas d’espèce (féminiser les titres et noms de métiers) qui, au total, ne changera pas radicalement notre façon de vie et qui même, éventuellement, pourrait bien « ne pas prendre » (cf. la simplification de l’orthographe, qui était plus utile et qui a été largement ignorée)… Et il y a, beaucoup plus grave, l’arrière-plan de cette réformette. Mme Leret le souligne bien : « Notre pays est la proie de revendications identitaires toujours plus véhémentes, qui travaillent à le décomposer en une myriade de communautés et d’individus ».
Pourquoi l’exigence d’une langue féminisée en est-elle l’un des avatars ? Parce que, le français n’ayant pas de « neutre », c’est le genre masculin (et non pas le sexe !) qui en tient lieu. Comme l’écrit Mme Levet, quand une femme lit « Tous les hommes sont mortels », elle comprend bien qu’elle est concernée ! En 1984, les Immortels voyaient un funeste contresens dans le fait de confondre « genre grammatical » et « sexe biologique ». C’est ce qui a fini par faire triompher l’exigence de mettre le plus possible de féminins à côté (on a envie d’écrire : en face…) des masculins (écrivain / écrivaine, etc.). Il est vrai qu’aujourd’hui certains revendiquent de choisir leur sexe et aussi leur genre… Transformer les mots est alors peu de chose en comparaison de ces transformations d’un autre ordre. Mais encore une fois, le débat n’est pas là puisque l’utilisation du masculin pour dire le neutre est purement conventionnelle.
Il y a de nombreuses années, travaillant avec Mme Odile M., j’avais eu la surprise (éphémère) de l’entendre refuser qu’on l’appelle « Directrice de laboratoire » ; elle tenait au titre de « Directeur ». Une précurseuse !
Donc l’Académie recule. Elle recule devant la pression d’un féminisme jusqu’au-boutiste, importé des États-Unis (comme d’habitude) et, ce faisant, elle perd son rôle de « garant », de « rempart », de « juge de paix ». Si, comme elle ose l’écrire aujourd’hui, son statut est d’être un « simple greffier de l’usage », à quoi sert-elle donc ?
Regardons-y de plus près : elle élit des « personnalités de la langue » qui sont loin d’être tous des écrivains de premier plan ; elle élabore un Dictionnaire-Arlésienne sans avoir aucun linguiste dans ses rangs (sauf erreur de ma part). Si maintenant elle se contente de légitimer, avec trois ou quatre ans de retard, tout ce que la société produit en permanence en termes d’innovations langagières, à quoi sert-elle donc ?
En France, l’universalisme veut que l’on ne soit pas assigné à son sexe (ni à son origine ni à sa religion, etc.). Cette mesure de féminisation va à rebours, c’est bien dommage.
Que dire d’autre ? Que Mme Levet est docteur en philosophie et enseignante, qu’elle a publié « Libérons-nous du féminisme » (Éditions de l’Observatoire, 2018) et « La théorie du genre » (Livre de poche, 2016) et… qu’il faut lire son article dans FigaroVox !
07/03/2019
Nouvelles du front (linguistique) IX
« Pouvoir » et « permettre » jouent des mécaniques pour savoir lequel dominera l’autre. Je ne parle pas ici du « pouvoir » macronien ni encore moins de la génération « j’ai le droit » !
Je fais simplement référence à cette façon pléonasmatique qui se répand comme une traînée de poudre chez les politiques et les journalistes (et aussi chez les gens que ces derniers interrogent) et qui consiste à empiler les verbes « pouvoir » et « permettre ». On entend ainsi à longueur de journée : « Avoir les moyens de pouvoir assurer… », « Afin de pouvoir permettre… », « Pour permettre de pouvoir décoller sans problème » (un pompier sur BFM-TV), « La capacité de pouvoir » (un biologiste sur France Inter, le 21 janvier 2019), « Ça me permettrait de pouvoir demander… », « Être en mesure de pouvoir demander… », « de pouvoir faire en sorte de… » (Benoît Hamon sur France Inter, le 17 janvier 2019), « C’est impossible de pouvoir arrêter… ». Langue tarabiscotée, phrases à rallonge, mots empilés sans raison… On ne nous épargne rien !
Autre tic verbal dévastateur : « ce qui » et « ce qu’il », à cause de l’euphonie sans doute, sont sans cesse employés l’un pour l’autre. J’ai déjà mentionné ce travers dans « Le bien écrire ». Le 8 février 2019, j’ai entendu sur BFM-TV : « Ce qui est important de retenir… », confusion complète entre « Ce qu’il est important de retenir » et « Ce qui est important à noter » !
L’emploi hasardeux des prépositions continue de faire des ravages : « pallier à » (que les jeunes s’obstinent à écrire « palier à »), « impacter sur » (encore notre biologiste sur France Inter), etc.
Les « miss Météo » et « monsieur Météo » usent et abusent de Proust (sans le savoir ni le vouloir) en nous menaçant d’orages (ou d’éclaircies) « du côté de Versailles » « du côté du Massif central »… Connaissent-ils si mal notre géographie ? On comprend qu’il soit difficile de garantir un orage à Versailles même mais il serait simple de dire « autour de Versailles » ou bien « dans la région de Versailles » ou encore « dans le Nord des Yvelines » !
Et pour terminer, un dernier tic des politiques français : la formule « pardon de vous le dire » employée à tous bouts de champ dans les interventions (par exemple, Benoît Hamon le 17 janvier 2019 sur France Inter).
07:00 Publié dans Franglais et incorrections diverses, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)
24/12/2018
La fin du passé simple ?
Il y a un an (19 décembre 2017), Alain Borer tirait la sonnette d’alarme dans Le Point sur la disparition du passé simple (de manuels scolaires, des romans et de nos conversations).
Je crois avoir déjà parlé d’Alain Borer, qui a écrit en 2014 « De quel amour blessée – Réflexions sur la langue française » (Gallimard). La journaliste Émilie Trevert écrit : « Après la perte du subjonctif, qu’il date des années cinquante, le passé simple serait lui aussi en train de disparaître de la langue française. Loin d’être une querelle de linguistes, la mort programmée de ce temps aura, selon le spécialiste d’Arthur Rimbaud, des conséquences dramatiques, dont la difficulté d’accès aux grands textes pour les plus jeunes ».
Alain Borer fait remarquer que, « Comme le russe et l’arabe, la plupart des langues du monde ne distinguent que trois temps : le passé, le présent, le futur (…) Dans les langues romanes, il y a des passés différents, alors que le passé, dans les langues idéogrammatiques (asiatiques), ne se déduit que du contexte ». En français, nous avons le futur antérieur, le plus-que-parfait ; quelle richesse !
Il donne l’exemple de « la Chanson de Roland, écrite en l’an mille et qui rapporte des faits qui ont eu lieu deux siècles auparavant : le passé simple permet de fournir, même dans un récit au présent, un imparfait à l’intérieur du passé ».
Alain Borer appelle vidimus la vérification par l’écrit, qui est selon lui la caractéristique principale de la langue française : tout ce qui est écrit ne se prononce pas ! « Cesser de transmettre le vidimus, rien n’est plus grave ». Les responsables ? L’éducation nationale et ses ministres ignorant de la langue (Jospin, Belkacem), « en n’enseignant plus la langue française à travers sa littérature mais par des articles de presse, de la littérature jeunesse, voire du rap ; et en réduisant le nombre d’heures d’enseignement de français ».
« Las, le passé simple comme l’imparfait du subjonctif paraissent des nuances trop compliquées pour des sociétés saisies de rapidité et dépourvues de précision ».
En commentaire, Adélaïde, une institutrice, revient sur la méthode globale de lecture et parle du mot « oiseau » dans lequel se trouvent les cinq voyelles de l’alphabet (a, e, i, o, u), sans qu’on en entende une seule, ainsi que le « s » qui se prononce « z » ; elle a renoncé à le faire lire aux élèves de CP…
Tout cela est bel et bon, mais : que fait-on ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)