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24/12/2018

La fin du passé simple ?

Il y a un an (19 décembre 2017), Alain Borer tirait la sonnette d’alarme dans Le Point sur la disparition du passé simple (de manuels scolaires, des romans et de nos conversations).

Je crois avoir déjà parlé d’Alain Borer, qui a écrit en 2014 « De quel amour blessée – Réflexions sur la langue française » (Gallimard). La journaliste Émilie Trevert écrit : « Après la perte du subjonctif, qu’il date des années cinquante, le passé simple serait lui aussi en train de disparaître de la langue française. Loin d’être une querelle de linguistes, la mort programmée de ce temps aura, selon le spécialiste d’Arthur Rimbaud, des conséquences dramatiques, dont la difficulté d’accès aux grands textes pour les plus jeunes ».

Alain Borer fait remarquer que, « Comme le russe et l’arabe, la plupart des langues du monde ne distinguent que trois temps : le passé, le présent, le futur (…) Dans les langues romanes, il y a des passés différents, alors que le passé, dans les langues idéogrammatiques (asiatiques), ne se déduit que du contexte ». En français, nous avons le futur antérieur, le plus-que-parfait ; quelle richesse !

Il donne l’exemple de « la Chanson de Roland, écrite en l’an mille et qui rapporte des faits qui ont eu lieu deux siècles auparavant : le passé simple permet de fournir, même dans un récit au présent, un imparfait à l’intérieur du passé ».

Alain Borer appelle vidimus la vérification par l’écrit, qui est selon lui la caractéristique principale de la langue française : tout ce qui est écrit ne se prononce pas ! « Cesser de transmettre le vidimus, rien n’est plus grave ». Les responsables ? L’éducation nationale et ses ministres ignorant de la langue (Jospin, Belkacem), « en n’enseignant plus la langue française à travers sa littérature mais par des articles de presse, de la littérature jeunesse, voire du rap ; et en réduisant le nombre d’heures d’enseignement de français ».

« Las, le passé simple comme l’imparfait du subjonctif paraissent des nuances trop compliquées pour des sociétés saisies de rapidité et dépourvues de précision ».

En commentaire, Adélaïde, une institutrice, revient sur la méthode globale de lecture et parle du mot « oiseau » dans lequel se trouvent les cinq voyelles de l’alphabet (a, e, i, o, u), sans qu’on en entende une seule, ainsi que le « s » qui se prononce « z » ; elle a renoncé à le faire lire aux élèves de CP…

Tout cela est bel et bon, mais : que fait-on ?

21/06/2018

Qui ou qu'il ?

À cause de la sonorité (indécise), on hésite souvent entre deux formes proches : « ce qui reste » ou « ce qu’il reste » ? Le sens n’en est guère altéré, que l’on choisisse l’une ou l’autre des graphies.

J’ai déjà abordé ce point précédemment, dans le billet « Dis pas ci, dis pas ça (V) » du 8 décembre 2014. Les quelques lecteurs qui me restent (qu’il me reste ?) s’en souviennent certainement. Je citais un extrait de l’article C (page 44) du petit guide « Dire, ne pas dire » de l’Académie française, dont il ressort que les deux formes sont admises. À l’appui de cette « permissivité », l’Académie note que les écrivains utilisent les deux : « ce qui restait d’élèves » (Marcel Pagnol) et « ce qui lui reste de sainteté » (André Maurois).

Mais il y a un cas où le sens est complètement différent selon la forme choisie : « Jeanne affirma que, malgré l’opposition que montra d’abord Gaston, elle avait fait venir France afin qu’il pût revoir celle qui l’avait tant aimé » (« Les cendres brûlantes », Flammarion, 1986, page 311). Évidemment, si l’on écrit « celle qu’il avait tant aimée » (en ajoutant un e au participe passé), le sens est diamétralement opposé. Et, en l’occurrence, c’est bien Léontine qui avait aimé le plus, et non pas Anatole (même si, une fois disparue, elle va obséder sa mémoire et entretenir sa nostalgie des années heureuses).

Et qui donc a écrit cette phrase ? Michelle Maurois, dans la suite de sa trilogie biographique.

07/03/2018

"Mais qui sont les assassins de l'école ?" (Carole Barjon) : critique II

Concrètement, quel est le problème ?

« 15 à 20 % des élèves de chaque génération ne maîtrisent pas la lecture à l’entrée au collège » (page 15).

À cela s’ajoute l’augmentation, d’une étude PISA à l’autre, de l’écart entre bons et mauvais élèves. Enfin la France est le pays qui a le système éducatif le plus inégalitaire. Or l’avenir d’un élève qui n’arrive pas à bien lire est fortement compromis. 

Comment donc en est-on arrivé là ? (page 213)

La méthode dite globale et ses dérivées ont fait des ravages. Il est prouvé que la méthode syllabique permet aux élèves de mieux lire, de façon plus fluide ; mais il aura fallu quarante ans pour qu’un début de remise en question s’amorce !

En 1995, sous l’influence des universitaires, c’est « la linguistique de l’énonciation et la grammaire de texte qui font leur entrée » (page103).

Le fameux slogan « mettre l’élève au centre de l’école » (MM. Jospin, Allègre et leurs conseillers) cachait une conception aberrante de l’apprentissage : fi des savoirs, fi de la prééminence du maître, l’élève découvre tout seul, construit son propre parcours et synthétise des connaissances qu’il n’a pas ! Haro sur la répétition, haro sur le « par cœur » ! Adieu les connaissances, vive les compétences ! Ces messieurs[1], mal inspirés par Bourdieu, Barthes et Derrida, ont fait de la déconstruction leur cheval de bataille.

On a vu fleurir des orientations surprenantes, pour ne pas dire consternantes : « il faut permettre aux élèves d’être accompagnés en tant qu’eux-mêmes » ; « on n’a pas forcément besoin d’un enseignant pour apprendre. Dans certains cas, les élèves apprennent mieux en se parlant les uns aux autres » (page 60) !

Carole Barjon cite des extraits d’une formation à Lille, dans laquelle un formateur recommande de ne pas se formaliser si un élève écrit « les petitent filles » (car il a bien perçu le pluriel, même s’il a utilisé la marque propre aux verbes au lieu de celle des adjectifs…) ou « le plafond s’émiettent » (car, après tout, il y a bien plusieurs miettes…) (page 71) ! 

Les IUFM, lieux de formation des maîtres confiés à des universitaires, se révèlent inadaptés… Un ministre les supprime pour les remplacer par… rien.

Enfin (si l’on ose dire…), il y a la diminution constante, dans des proportions alarmantes, du nombre d’heures consacrées à l’apprentissage du français (on parle de l’équivalent de deux années en moins depuis les années 60). 

Alors, qui sont donc les responsables ?

D’abord les hommes politiques (manque d’intérêt, faiblesse, laxisme, recherche de la paix sociale avant tout…) et l’administration (qui ne se sent pas obligée d’appliquer leurs directives) : « Sur le papier, le ministre a tout pouvoir. Dans la réalité, l’autonomisation de l’administration est impressionnante. L’inspection générale et la bureaucratie intermédiaire confondent indépendance scientifique et je fais ce que je veux. Elles se comportent comme une sorte de clergé » (page 32). « Les inspecteurs généraux (…) ont un statut à vie, qui leur permet de résister aux changements de gouvernement et de survivre à toutes les alternances politiques (…) Ils définissent les méthodes et les contenus des évaluations (des inspecteurs d’académie). Parfois en décalage avec la politique ministérielle » (page 33). 

Certains conseillers et inspecteurs généraux sont « insubmersibles » : Alain Boissinot, Jean-Paul de Gaudemar, Christian Forestier, Viviane Bouysse, Florence Robine…

« Nommés pour la plupart, par Lionel Jospin et Claude Allègre, les pédagogistes et les didacticiens (experts en méthodes d’enseignement) sont en effet demeurés dans la grande maison de la rue de Grenelle, quelle que soit la couleur politique des gouvernements en place » (page 51). Aujourd’hui ces « pédagos » et « didacticiens » se rejettent la faute les uns sur les autres… Alors on trouve dans cette catégorie Roland Goigoux, le pape de la méthode globale, que Gilles de Robien a fini par être obligé de renvoyer à son métier d’enseignant à l’université (page 74). On trouve aussi Michel Lussault et Jean-Michel Zakhartchouk, à l’époque du fameux jargon des pédagogistes : «  traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé » (pour « nager dans une piscine ») (page 90). On trouve Alain Viala et Alain Boissinot, « ce duo infernal qui, sous le règne de Claude Allègre, a modifié de fond en comble l’enseignement du français » (page 110). On trouve Philippe Meirieu, le pape des pédagogistes (le relativisme, le constructivisme et tutti quanti). On trouve Eveline Charmeux et Sylvie Plane, adversaires acharnées de la méthode syllabique. On trouve François Dubet, apôtre d’un SMIC culturel accessible à tous les élèves (page 149) : « Les contenus du collège doivent être adaptés à ce que doit savoir le plus faible des élèves quand il sort » (page 150). 

Le petit livre de Carole Barjon est très instructif parce que très documenté, facile à lire (quelques heures) et il complète très utilement, sur les aspects historiques et personnels, ce que l’on peut lire dans d’autres ouvrages plus focalisés sur le fond. 

Donnons le dernier mot à Fanny Capel, présidente de l’association Sauver les lettres : « Les leçons de vocabulaire et la pratique de la grammaire sont les seules garanties d’une pensée précise et articulée » (page 44) et à Éric Pellet « La grammaire doit être défendue parce qu’elle est, avec les mathématiques, la discipline scolaire qui donne le plus tôt accès à l’abstraction » (page 105).

 

[1] Justement (et bizarrement), il n’y a pas de femmes dans cette désolante entreprise… On pourrait paraphraser Renaud, sauf qu’ici même Mme Thatcher n’y est pour rien !