20/06/2019
Émerveillements linguistiques : la langue selon François Bizot
François Bizot était au Cambodge en mission d’ethnologie lorsque les Khmers rouges ont imposé leur dictature folle et commencé à martyriser leur peuple dans une paranoïa sans limite. Fait prisonnier, il réussit à établir un dialogue avec son gardien, qui acceptera de le libérer. C’est ce qu’il racontera trente ans plus tard dans « Le portail » (Éditions de la Table ronde, 2000).
En 1988, lors du procès des tortionnaires, il reconnaît son geôlier, Douch ; commence alors pour lui un douloureux processus de réflexion sur la violence, la responsabilité, la culpabilité, la nature profonde de l’homme, qui renvoie entre autres à Hannah Arendt et ce qu’elle a écrit à la suite du procès d’Eichmann. C’est l’objet de son livre de 2011, « Le silence du bourreau » (Flammarion).
François Bizot était allé au Cambodge au début des années 70 pour fuir « le formalisme qui battait alors son plein en France ». Il s’attelle à une tâche dantesque : traduire pour les protéger des manuscrits bouddhistes anciens.
Voici donc ce qu’il écrit de la traduction et de l’importance de la langue : « Traduire, c’est établir des ponts ; c’est projeter une pensée, une langue, hors d’elle-même. C’est contourner son esprit dans une gymnastique extrême, jusqu’à glisser d’une façon de voir à l’autre pour la restituer avec son étrangeté, en veillant à ne rien gommer, à ne pas l’adapter à nos propres images, à créer en soi un espace suffisant pour en accueillir de nouvelles, sans les banaliser, sans en noyer le message spécifique ni les réduire aux limites de notre propre langage, c’est-à-dire du monde dans lequel il nous avait jusque-là été donné de regarder, d’aimer, d’exister.
Une langue se distingue d’une autre par son style, exactement comme un peintre se remarque à sa façon singulière de considérer la nature. Comparer des langages humains, mettre en balance des adéquations, transposer dans un système ce qui se trouve exprimé dans un autre, c’est apprendre à peser des acceptions de termes tirées d’une vision différente de la vie ; la tâche réside dans notre plus ou moins grande disposition à réviser la nôtre. Pour cela, il faut effectuer un saut, et ce saut n’est pas un déplacement, c’est une transformation » (pages 68-69).
Dans « Le portail », voici ce qu’il écrit également page 91 de l’édition « La table ronde » : « J’avais horreur de communiquer en français avec des Khmers : les phrases me semblaient plates, vides de sens, parce que ce ne sont pas seulement les mots qui diffèrent d’une langue à l’autre, ce sont aussi les idées qu’ils traduisent, les façons de penser et de dire. Je ne pouvais rendre dans ma langue ce que j’avais à expliquer à mon bourreau. Les liens qui étaient en train de s’établir entre nous dépendaient totalement de notre capacité à nous comprendre, sur un terrain commun ; et ça ne pouvait se faire que dans sa langue ».
Ce qui prouve bien, entre autres, que les publicitaires qui communiquent – soit disant – avec nous en anglais à longueur d’affiche et de scénettes télévisées n’ont rien d’important à nous dire…
06/05/2019
Féminisation de la langue française : "la baguette, il est chaude"
Ceci est ma contribution au débat sur la féminisation – voulue par certaines, décriée par tous les autres – de la langue française : sortant d’une boulangerie, j’ai entendu un père dire à son gamin « je peux pas te donner du pain tout de suite ; la baguette, il est chaude » !
Cette absence d’accord en genre du pronom, je pensais que c’était l’apanage des francophones étrangers, africains surtout, dont la langue maternelle, peut-être, n’en était pas pourvue. Ou encore de certains milieux populaires peu éduqués. Les phrases du style « les filles, i z’aiment bien se maquiller »… Mais non, la preuve par la boulangerie que le retour vers « le masculin faisant office de neutre » est largement répandu en France métropolitaine.
Ce n’est pas tout ! Je note la disparition de plus en plus fréquente de l’accord en genre du participe passé avec le sujet du verbe : « les filles sont soumis à rude épreuve » et « ces photos des filles que j’ai pris ».
Faisons-nous tout de suite l’avocat du diable (féministe radical) : dans le second cas, ces dames diront que c’est la paresse (ou bien le souci d’aller vite) qui fait que l’on simplifie la langue, « à l’anglaise », pourrait-on dire. Et dans le premier, que ce n’est qu’une illustration supplémentaire du machisme qui vise à tout ramener au masculin. Certes…
Mais il est tout de même étonnant qu’au moment où quelques-unes veulent absolument accorder au féminin les adjectifs épithètes d’une énumération – « les hommes et les femmes sont belles » – et ajouter des ".e" partout, et donc orienter la langue dans un sens militant, des kyrielles d’autres personnes, chaque jour, sans y prêter attention, la ramènent dans l’autre sens.
07:03 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)
22/04/2019
Enfin une norme française pour des claviers enfin francisés
Marie-Estelle Pech signale dans les actualités France du Figaro du 3 avril 2019 qu’une norme française sur les claviers va enfin faciliter l’accentuation des majuscules (que rien n’interdit, bien au contraire pour une meilleure lisibilité, sauf les instituteurs des années 60, pour une fois très mal inspirés – en attendant que la méthode globale leur tombe sur la tête, mais c’est une autre histoire), ainsi que l’utilisation des signes diacritiques (œ, Ç, etc.) et les guillemets français («... »).
Apparemment (mais il faut dire que nos députés préfèrent s’intéresser à la fessée dans les chaumières…) la France était l’un des rares pays européens à ne pas disposer d’une norme nationale en la matière (je ne sais pas ce qu’il en est au Québec). Comme quoi, on n’est jamais les derniers à suivre l’Europe quant il s’agit de privatiser à marche forcée ou à battre notre coulpe quant on nous fait des remontrances sur l’interdiction du voile intégral mais, en revanche, quand il s’agit de se protéger comme les autres et de défendre notre langue – déjà massacrée par internet – on prend tout son temps…
Ne boudons pas notre plaisir, c’est un événement important et une très bonne nouvelle. Avec quelques bémols cependant :
- Une norme n’étant pas obligatoire (contrairement à ce que pensent les gens et contrairement à l’usage que font du mot les hommes politiques, dans le sens de « réglementation », pour le coup obligatoire…) ;
- Il faudra donc attendre que tel ou tel fabricant (taïwanais ?) nous propose un clavier respectant cette norme ; et même dans ce cas, les entreprises et les administrations l’adopteront-elles ?
- Cette « révolution » n’est en fait qu’une première évolution car il s’agit pour l’instant uniquement « d’ajuster la disposition de certaines touches », l’optimisation ayant été faite par ordinateur et suite à une enquête publique ;
- On sera encore loin du clavier bépo parfaitement adapté à la langue française et ergonomique (peut-être une deuxième norme ?)
Les normalisateurs ont évalué la durée d’adaptation à ces deux types de clavier : de quelques heures à trois semaines.
La norme va plus loin que nos caractères diacritiques puisqu’elle intègre le fameux point médian « » (non pas celui de la tristement célèbre écriture inclusive mais celui des graphies en catalan et en gascon…) et le n tilde « ñ » (utile en basque et en breton). Soit dit en passant, cette « extension » est curieuse alors que les langues régionales n’ont pas droit de cité. Plus généralement la norme permettra de saisir tous les caractères des langues à alphabet latin du continent européen, dont évidemment l’allemand, l’espagnol et le portugais.
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)