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28/07/2016

L'été Dutourd de France (III) : anglicismes

Dans son livre « À la recherche du français perdu », Jean Dutourd  pointe beaucoup d’anglicismes. Comme on sait, il y a plusieurs situations distinctes :

  • On s’irrite avant tout, parce que c’est le plus visible, de mots américains employés à plus ou moins bon escient pour tout phénomène nouveau ; par exemple, j’ai lu dans un bulletin immobilier récent des Notaires, qu’il était bon, avant de mettre en vente son habitation, de faire venir un home stager… ; cette situation est celle que notait René Étiemble, à savoir que, si la mode sous-jacente passe, le mot trépasse.
  • Il y a ensuite tous ces faux-amis de l’anglais qui, souvent, remplacent chacun une foule de mots français existants qui permettaient d’exprimer des nuances ; c’était l’objet de mon billet « L’été Dutourd de France (II) » il y a peu.
  • Une autre situation est moins connue, parce que plus difficile à détecter : c’est la transformation insidieuse de notre syntaxe.

Jean Dutourd signale ainsi « l’agonie de l’apposition », forme grammaticale « intrinsèquement française », qui consiste « à mettre des substantifs l’un à la suite de l’autre sans liaison ». Il donne l’exemple de Littré : « Pierre apôtre ».

Or, il se trouve qu’en anglais, « a » tient lieu d’apposition. Et de l’importer en français sous la forme de « un » : « Pierre un apôtre », « Eugénie Grandet un roman de Balzac », etc. (page 27).

Il n’y a pas que la syntaxe ! Il y a aussi la transformation d’habitudes ancestrales ; par exemple, l’apparition des prénoms dans deux populations qui n’en étaient pas affublées auparavant, les écoliers (« Dutourd, venez au tableau ») et les célébrités (Balzac, Mozart, Aragon…). Aujourd’hui personne n’envisagerait de ne pas nommer l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Et on a eu le film « Amadeus », sur "ton Mozart". Cette remarque de Jean Dutourd est très juste ; je me rappelle que j’avais remarqué cette incongruité dans les années 80 chez les vendeurs d’informatique professionnelle américaine (pléonasme…), juste au moment où le terme footing était remplacé par jogging : un vendeur en particulier n’avait que « Vital T. » à la bouche, au lieu de dire tout simplement « Monsieur T. », sachant que Vital était son prénom, qu'il était suisse et qu'on n'était pas allé à l'école ensemble (page 73).

Les exemples de la deuxième catégorie abondent : J. Dutourd relève divinity (théologie) traduit par « divinité » (page 29), approach (point de vue) traduit par « approche » (page 56), que nous retrouverons dans un prochain billet consacré au « jargon de prestige », attractive (qu’il ne traduit pas par « attrayant » comme je l’aurait fait mais qu’il utilise pour brocarder la publicité qui ne se sert plus d’arguments rationnels mais joue sur la magie pour séduire le chaland) (page 72) et se sert de « La dame de chez Maxim », pièce célèbre de Feydeau, pour rappeler qu’en anglais le « ’s » indique le génitif ou l’appartenance et que donc « Mac Donald’s » signifie « Chez Mac Donald » (page 61).

18/07/2016

L'été Dutourd de France (II) : néologismes inutiles

Dans son livre « À la recherche du français perdu », Jean Dutourd pourfend les mots nouveaux (souvent importés de l’américain et tombant ainsi dans le piège pourtant bien connu des faux amis), qui non seulement sont inutiles mais encore remplacent indûment tout un ensemble de mots existants qui permettaient d’exprimer des nuances.

Voici par exemple « privilégier » qui a pris le pas sur « favoriser » (alors même que la nuit du 4 août est censée avoir aboli les privilèges…) et « conforter », qui remplace souvent, à tort, « consolider », « raffermir », « fortifier », « renforcer », « soutenir », « corroborer », « étayer », « confirmer », « rassurer », etc. (page 26).

« Problème » n’est pas vraiment un néologisme inspiré de l’anglais, sauf quand il se répand dans des expressions comme « j’ai un problème » (au lieu de « j’ai une difficulté »), « un enfant à problèmes » (au lieu de « un enfant difficile »), « faire problème » ou « poser problème » (au lieu de « soulever une difficulté » ou même « tomber sur un os ») (page 33).

Jean Dutourd ironise en prédisant qu’un jour des personnes âgées (des « vieux »…) diront : « Au niveau de la sénescence, la durée fait problème »…

Il fait remarquer que les verbes « indifférer » et « insupporter » n’existent pas et que les expressions « Cela m’indiffère » (au lieu de « Cela m’est indifférent ») et « Cela m’insupporte » (au lieu de « Cela m’est insupportable ») sont tout simplement des barbarismes (page 42).

Le cas du mot « opportunité » est bien connu des lecteurs de ce blogue ; en américain, « opportunity » signifie « occasion » ; en français, l’opportunité est la qualité de quelque chose qui est opportun, c’est-à-dire qui arrive à point nommé ou qui vaut la peine d’être fait. Les ignorants (de l’anglais – ils sont nombreux par chez nous… –) traduisent « opportunity » par « opportunité » et tombent dans le piège du faux amis (page 43). Pire que cela, pour dire « occasion », ils disent « opportunité ». Ça fait moderne…

Mes lecteurs connaissent aussi « générer », que d’aucuns emploient à la place de « engendrer », « produire », « occasionner », « donner naissance », « faire éclore », « inventer »… toutes les nuances permises par le vocabulaire disparaissent si l’on utilise uniquement « générer ». Jean Dutourd nous apprend que c’est du psittacisme, qui consiste à répéter stupidement les mêmes mots parce qu’on les entend sans cesse (page 45).

Écoutons-le dans l’un de ses morceaux de bravoure – il dit mieux que moi ce que je pense – : « Entre le mot nouveau et le mot ancien, il faut faire l’effort de choisir le mot ancien, qui est à nous, qui appartient à notre âme. Par exemple, au lieu de « sécuriser », dire « rassurer » ; au lieu de « gratifiant », dire « satisfaisant », « doux au cœur », « agréable », voire « grisant » ; au lieu de « positionner », dire « expliquer », « situer » ou « définir » ; au lieu de « performant », dire « excellent », « supérieur », « de premier ordre », etc. » (page 54).

Il voit dans cette paresse linguistique généralisée un symptôme de colonisation.

Moi aussi.

11/07/2016

L'été Dutourd de France (I) : itinéraire lexicographique

En 1998 (oui, c’est une date footballistique, non pas une date cycliste, mais c’est comme ça…), Jean Dutourd, grande gueule de droite assumée et Académicien de son état, était sollicité par le Figaro, alors dirigé par Franz-Olivier Giesbert, pour donner une chronique sur le français tel qu’il était parlé ici et là, « Le bon français ».

Il paraît que c’était l’idée de Maurice Druon, le Secrétaire perpétuel de l’époque ; il n’en fallut pas moins pour que l’auteur de « Au bon beurre » donnât libre cours à sa mauvaise humeur légendaire et, accessoirement, à sa connaissance quasi-étymologique de notre belle langue.

En fait de purisme et de conservatisme pointilleux, si vous croyez que ce blogue et son animateur en sont l’illustration ultime, vous n’avez encore rien vu !

Dans ses chroniques, l’excellent homme à la pipe se déchaîne et passe au lance-flammes les cuistres et les pédants, les avachis et les soumis, les paresseux et les incultes, et in fine tous les ravis de la domination américaine sur notre mode de vie et notre façon de jacter.

L’éditeur Plon les a réunies en 1999 dans un livre, « À la recherche du français perdu », au plan lumineux et sans ambages : Partie I L’état de siège, Partie II Détails de la trahison…

À mon tour ( !), je vous propose d’en faire le (Du) tour, pendant ces belles journées de l’été 2016 où les coureurs parcourent la Grande Boucle (avant-hier soir ils étaient au Lioran).

Mais voyons d’abord quelles sont les causes de la débâcle selon Jean Dutourd.

En premier lieu, le snobisme : « Les Français s’évertuent à utiliser des mots américains (ou américanomorphes), non certes dans le but d’apprendre l’anglais, idiome du reste, auquel leur gosier est étrangement réfractaire, ni dans celui de communiquer avec d’éventuels Anglo-Saxons, mais pour épater les autres Français ».

Ensuite les publicitaires : « Le plus comique est que les épateurs se laissent intimider à leur tour par les agents de publicité, les présentateurs de télévision, les parleurs de la radio, les enseignes ou les réclames en jargon des commerçants ».

Jean Dutourd dénonce aussi « le galimatias pédant, où fleurissent les problématiques, les thématiques et mille autres belles choses inaccessibles aux esprits simples » et « le charabia administratif et la langue de bois des politiciens ».

Tout cela fait beaucoup de moulins…

Au-delà du snobisme, il y a le défaitisme, le manque de volonté : « Nous renions notre langage, qui est notre dernier trésor. Nous ne sommes pas encore remis d’avoir perdu la guerre de 1940, que les Américains, les Anglais, les Russes et le Général de Gaulle ont gagnée à notre place ».

Et pourtant, « notre langue était l’instrument le plus approprié pour aller jusqu’au plus caché de l’être, le bistouri permettant de tout disséquer dans l’esprit ».

« La première des deux guerres réelles de notre temps est celle opposant la science, la technique, l’industrie, à la philosophie et aux lettres ; la seconde, qui en découle, et n’est pas moins furieuse, a lieu entre les langues saxonnes et les langues latines ».

« Le langage conditionne tout, il est la charpente et le ciment des civilisations (…). Submerger la langue sous un afflux de mots étrangers et de néologismes hâtifs fabriqués par les techniciens ou des marchands, finit par détruire non seulement la langue elle-même mais encore le passé, l’histoire, les coutumes, les traditions, les métiers, les vieilles recettes et surtout cette chose si charmante qu’est le génie national (...) ».

« Il s’agit de rendre les hommes identiques d’un continent à l’autre. Travail de longue haleine, qui commence par imposer un patois commun, le reste découlant de cette première violence ».

Une langue s’enrichit bien sûr des apports extérieurs « mais à condition que ces apports soient peu nombreux, afin que la langue ainsi nourrie les digère à loisir, non pas si on les déverse par tombereaux ».

« Les lexicographes, jadis, étaient de sourcilleux gardiens (…) ; maintenant, ils mettent un point d’honneur à n’être que des journalistes du langage ; c’est à qui attrapera le premier la moindre scie américaine ou argotique fraîchement éclose dans la publicité (…), sous couleur qu’il est essentiel de suivre pas à pas l’évolution de la langue ».

Les dictionnaires que l’on publie aujourd’hui « sont pleins de discordances bien propres à désespérer les écrivains, les lettrés et le peuple s’il les feuillette. On voit là en plein les ravages de la néologie ; quand apparaît un vocable inédit, au sens indécis, à consonance étrangère ou scientifique, il a vite fait de se substituer aux termes anciens qui étaient non seulement esthétiques mais encore adéquats ».

« La langue française est en état de siège. Il ne tient qu’à nous que ce soit le siège de Paris, dont nous ressuscitâmes très vite, et non celui de Troie, au terme duquel la ville fut rasée définitivement ».

Voilà pour le diagnostic et l’acte d’accusation ; ils datent de décembre 1998. Dans les semaines qui viennent, je vous proposerai un florilège des billets du livre de Jean Dutourd qui m’ont semblé les plus actuels et les plus pertinents.