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21/03/2016

"L'ami retrouvé" (Fred Uhlman) : critique

Je crois que c’est Jean d’Ormesson qui, toujours dans cette émission de François Busnel, citait « L’ami retrouvé » de Fred Uhlman comme l’un de ses livres préférés. Pour moi, c’était plutôt un livre pour enfants ou adolescents, et un livre ancien ; je l’avais quelque part mais sans l’avoir lu.

L’autre jour, après la lecture de « Les pierres sauvages », par association d’idées, j’y ai repensé et je suis allé le rechercher.

D’abord ce n’est pas un livre si ancien que cela : il date de 1971 et n’a été traduit en français qu’en 1977.

L'ami retrouvé.jpgEnsuite ce n’est pas un livre pour enfants, pas du tout ; c’est l’histoire d’une amitié entre deux lycéens de classes sociales très différentes, un peu à la façon de « Les désarrois de l’élève Törless » ou de « Le cercle des poètes disparus » mais avec comme cadre la montée du nazisme en Allemagne et l’extermination des Juifs.

C’est un livre petit en épaisseur mais grand par le sujet et par la façon dont il est traité : sobre, plein de poésie et d’amour de la patrie (le Land de Würtemberg) et tendu vers son bref et édifiant dénouement.

Le sujet fait irrésistiblement penser à cette pièce de théâtre qui met en scène deux adultes, l’un aux États-Unis, l’autre à Berlin, que la guerre et le IIIème Reich vont séparer.

La vie de l’auteur elle-même (1901-1985) tient du roman : Allemand, il fuit son pays pour Paris, puis, après un séjourFred Uhlman.jpg en Espagne où il rencontre son épouse, s’établit en Angleterre ; il y milite pour l’Espagne républicaine et contre les Nazis ; mais à la base, il est peintre et il rencontra la notoriété en exposant ses œuvres.

Magie du multilinguisme, il écrivit « L’ami retrouvé » dans un anglais simple et élégant.

Un livre émouvant.

 

14/03/2016

Les pierres sauvages (Fernand Pouillon) : critique

Je crois que c'est dans l'émission de François Busnel consacrée aux livres préférés des Français que j'ai entendu parler de ce livre, cité comme "en passant" par l'un de ses invités, François Cluzel peut-être ou Robin Renucci. Voir mon billet du 12 décembre 2014 (comme le temps passe vite…).

J'ai donc acheté ce livre, en format Poche, avec d'autres qui étaient recommandés par tel ou tel, et je l'ai lu.

Thoronet 3.jpg

Quel enchantement !

Il se trouve que je connaissais, pour l'avoir visité dans les années 2000, le lieu qui est le sujet du roman : l'abbaye du Thoronet, en Provence. Sa construction, au XIIème siècle, est confiée par l'abbé de Notre-Dame de Florielle à un maître d'œuvre expérimenté dont F. Pouillon imagine le journal.

Sa façon de rendre l'ambiance du Moyen-Âge, la foi de ces moines cisterciens et la difficulté de leur mission, est impressionnante, et son style admirable. J'ai noté un seul anachronisme, au début du récit, quand il écrit qu'en arrivant au Thoronet le moine se sent "en vacances"… Sinon, tout au long de ces 250 pages, pas une seule phrase bancale ni faute d'orthographe ; au lieu de cela, une écriture pittoresque, précise, elliptique, riche… un régal. Il y a du Giono et aussi du Eco dans ce roman.

"Réguliers, les sabots du cheval arabe frappent le chemin. En empruntant la sente, les pas hésitent un instant, prennent de l'élan, se précipitent, gravissent le talus. Les fers raclent terre et pierrailles sous l'effort des jarrets. Les sons parviennent amortis dans la traversée des taillis, s'éclaircissent après le premier lacet. L'écho double le petit trot dans la descente. Nouvel élan, nouvel effort, c'est le passage de la source. Silence : le remblai détrempé absorbe les sabots alourdis. Puis les pas irréguliers escaladent la dernière côte, imprécis ils abordent la ligne droite à grands degrés, plus rapides, scandés, arrivent sur l'aire, s'approchent, s'arrêtent. Glissement, cliquetis, frottements de cuirs, piaffements secs et espacés de chasse-mouches, ronflement de naseaux. Anneaux, mors, gourmettes, mouvements vifs d'encolure, tintinnabulent en sons clairs ou éteints. L'homme engourdi traîne ses jambes maladroites. la porte s'ouvre, le cavalier apparaît décapité, le cou plié vers l'épaule, le visage se penche, regard clair, teint mat : Jacques, chevalier du Temple, entre".

Thoronet 2.jpgFernand Pouillon était lui-même architecte et s'était enthousiasmé, comme Le Corbusier, pour cette abbaye abandonnée à la Révolution mais restaurée au titre des Monuments historiques dès 1840.

Il multiplie, naturellement, les détails sur les métiers, sur les corporations, les outils et le travail des matériaux.

Il montre la passion du maître d'œuvre pour les pierres extraites de la carrière toute proche, souvent de mauvais qualité, mais qu'il utilise selon le vœu de simplicité extrême de Saint Bernard (la Règle) et qu'il remplit d'une fonction quasi-mystique. C'est fascinant.

Enfin, et ce n'est pas le moindre intérêt de ce roman, c'est aussi un véritable manuel de gestion de projet, qui en aborde tous les aspects : relation avec la maîtrise d'ouvrage, planification, gestion des risques, réactivité, gestion des hommes… Impressionnant.

"Chantier, dernier chantier, tu me les rappelles tous. Je vous revois, fantômes dans la brume, paisibles sous la neige. Vous apparaissez roses, irréels, dans l'aube naissante : laudes.

Thoronet 1.jpg

Purs dans le vrai soleil du matin : prime, tierce.

Tristes, fatigués, poussiéreux après-midi : sexte.

Mornes, quand les hommes vous quittent après none.

Sereins dans la lumière d'or qui étire ses ombres à l'infini : vêpres.

Aplatis par le crépuscule, les volumes fondent, s'habillent d'un gris uniforme d'adieu : complies.

Matines : réveils de lune blafards, hagards comme nous, simplifiés à l'extrême ; ils sont clarté et néant de l'ombre, pareille à la nuit, sans matière, en couleur de linceul".

 

"Les pierres sauvages" est un livre qu'on ne lâche pas jusqu'à la fin, que l'on garde pour le relire et que l'on recommande.

 

 

 

25/02/2016

"L'instant présent" (Guillaume Musso) : critique

Voyons maintenant le cas de notre deuxième chouchou des libraires (celui des plages et des trains de banlieue) : Guillaume Musso.

Je viens de lire son dernier livre « L’instant présent ». 

Phare.jpgDans la veine de sa « deuxième manière » (voir le billet que je lui ai consacré le 21 septembre 2015), il s’agit d’un suspense psychologique, son héros – ordinaire – étant placé dans une situation extraordinaire, à savoir l’obligation de vivre vingt-quatre années de sa vie en vingt-quatre journées seulement. 

Le style de G. Musso est plus soigné que celui de M. Levy, bien que ses descriptions ne soient pas plus riches ni ses études de caractère plus fouillées ; ici encore, l’essentiel est de dérouler à un rythme soutenu une histoire à rebondissements, de telle façon que le lecteur ne lâche pas le livre avant sa chute (cela arrive à la montée ou à la descente dans le RER…).

Comme son précédent roman (« Demain »), il se passe aux États-Unis ; à croire que la référence au modèle américain est un passage obligé (« Elle et lui » se passe à Paris mais ses héros sont américain et anglais…). Cela étant, par sa connaissance de New-York et par sa façon d’émailler son texte de termes américains, G. Musso réussit à créer cette ambiance. 

En lisant, on pense à Jean-Christophe Grangé, la violence en moins, et ce n’est pas étonnant puisque G. Musso lui-même le cite comme l’un de ses modèles. 

L’histoire est délibérément invraisemblable, c’est la loi du genre puisque nous sommes dans le « fantastique ordinaire » mais, une fois que l’on en a accepté les prémisses, il est vrai qu’on a envie d’en connaître l’épilogue. Du coup, les 370 pages grand format se lisent aussi en deux ou trois jours ; c’est du « consommable » mais bien construit (autant de chapitres que de journées, avec malheureusement des paragraphes numérotés 1, 2, 3, etc. qui donnent l’impression d’un cours) et écrit correctement. Il paraît, G. Musso dixit, qu’on peut (doit ?) lire ses livres à deux niveaux : les péripéties d’abord, la réflexion philosophique ensuite.

Bon, c’est vrai que le chemin de croix de ce jeune Américain obligé de consommer 24 années de sa vie en 24 jours, donne le vertige en nous faisant réfléchir sur le temps, sur sa relativité surtout, car son entourage, lui, voit bien passer les 24 années l’une après l’autre… 

Notre critique, Alexandre Gefen s’était esbaudi de trouver dans le roman des citations ou des évocations de Saint Augustin, de Baudelaire et de Shakespeare… Sans être aussi enthousiaste, je reconnais que les pensées qui sont mises en exergue de chaque chapitre sont bien choisies et sont remarquables ; elles contribuent à sortir l’ouvrage de l’ornière des romans de gare.

« Où pouvais-je m’enfuir en me fuyant moi-même ? »

(Saint Augustin)

« L’expérience, ce n’est pas ce qui arrive à un homme, c’est ce qu’un homme fait avec ce qui lui arrive »

(Aldous Huxley)

« … j’ai songé alors que ce qui est violent, ce n’est pas le temps qui passe, c’est l’effacement des sentiments et des émotions. Comme s’ils n’avaient jamais existé »

(Laurence Tardieu)

« Aimer est une aventure sans carte et sans compas, où seule la prudence égare »

(Romain Gary)

« La route de l’enfer est si bien pavée qu’elle ne réclame aucun entretien »

(Ruth Rendell)

« Le passé est imprévisible »

(Jean Grosjean »

et dans la même veine

« Je me demande ce que le passé nous réserve »

(Françoise Sagan) 

Plus prosaïques, les manchettes de journaux lues par notre héros datent l’avancement de l’histoire : accident de voiture de Lady Di, élimination de la France en Coupe du monde de foot en Corée, etc. Ce n’est pas déplaisant. 

Concernant l’écriture, j’ai quand même trouvé quelques fautes :

  • page 102 : « Alors que j’essuyai une larme sur ma joue, je ne pus… » ; j’aurais écrit « Alors que j’essuyais… » ;
  • page 102 : « … j’essayais néanmoins de m’imaginer avec un bambin… ou d’aller le chercher à l’école » (phrase bancale) ;
  • page 119 : « le premier coup de matraque du vigile m’atteint à l’abdomen et me coupa le souffle » ; comme « couper » est au passé simple, « atteindre » doit l’être aussi. Or le passé simple de « atteindre », c’est « atteignit » car il se conjugue comme « peindre » !
  • page 166 : « Disons qu’elle s’en est accommodée » ; les verbes pronominaux, réfléchis ou non, sont ma bête noire, comme ils le sont pour Bernard Pivot ; mais j’aurais écrit « elle s’en est accommodé » ;
  • page 167 : « tandis que je ramassais sur le sol… je le regardai traverser le parc » ; j’aurais écrit « regardais » car « regarder » est une action d’une certaine durée ;
  • page 171 : « Je n’ai aucun souvenir de ce qu’il s’est passé ensuite » ; je sais bien que les deux formes existent et qu’on a le droit de choisir selon le sens mais j’aurais écrit : « … de ce qui s’est passé » ; G. Musso emploie cette formule à plusieurs reprises ;
  • page 209, plus ambigu : « Soudain, je commençais à avoir des doutes… » ; normalement, l’imparfait convient pour une action longue, répétée ; or « Soudain » indique que c’est instantané ; j’aurais écrit « Soudain, je commençai à avoir des doutes » ;
  • page 212 : « les meilleures lasagnes qu’elle eut mangées de toute sa vie » ; le participe passé est bien accordé mais « eut » est mal écrit ; il mérite un accent circonflexe car « qu’elle eût mangées » est un plus-que-parfait du subjonctif ; c’eût été différent si G. Musso avait écrit « quand elle eut mangé ses lasagnes… » ! 
  • page 308 : « pour ne pas qu’il me voit convulser » ; l’horreur ! D’abord le verbe « convulser » n’existe pas ; ensuite, on peut écrire « pour ne pas voir mes convulsions » ou « pour qu’il ne voie pas mes convulsions » mais jamais « pour ne pas qu’il… ». À la décharge de G. Musso, cette faute était déjà signalée en 1956 (Manuel pratique de l’art d’écrire, M. Courault, page 22). En plus troisième horreur, « pour qu’il ne… » doit être suivi du subjonctif. En effet, en pareil cas, nos instituteurs nous recommandaient de remplacer le verbe du premier groupe par un du troisième. Je choisissais souvent « cuire », donc « pour qu’il ne cuise pas », CQFD.

Mais G. Musso écrit avec raison :

  • page 202 : « nous ne pûmes pas aller très loin ? Nous nous assîmes donc sur l’un des bancs… » ; chapeau !
  • page 307 : « … je l’ai entendue dire à quelqu’un… qu’il s’occupait bien d’elle » parce que l’on peut remplacer « dire » par « disant » (à savoir : « elle disant qu’il s’occupait bien d’elle », « elle » est bien le sujet de « dire ») ;
  • idem page 319 : « je ne l’avais pas vue grandir » (« elle grandissant » ; « elle » est bien le sujet de « grandir »). Voir H. Berthet, « Résumé d’orthographe », page 23 ;
  • « anagramme » est bien féminin (page 327).

Voyons pour conclure ce qu’en dit notre critique de Marianne : « un polar métaphysique, écrit sans effort de style mais cultivé et ambitieux, et habile dans sa manière de nous faire réfléchir sur l’inauthenticité de notre rapport au temps (NDLR : ?). Une leçon de vie consolatrice, pas plus idiote que celle que l’on trouve dans nombre de récits plus chic. La grande surprise de cette sélection ».

Faut pas exagérer !

Livre prenant ? Oui. À recommander ? Non. À garder ? Non.

Lecture réservée à ceux qui aiment le fantastique et qui veulent se changer les idées sans se fatiguer.