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20/06/2016

Un pays spolié par la corruption

Lu dans le Marianne du 6 mai 2016, sous la plume d’un lecteur (Jack Poisson, de Clermont-Ferrand) : « Il existe en Afrique, ce continent ravagé par la corruption, un petit État spolié par un vieillard et sa famille au pouvoir depuis trente-deux ans.

Ce pays est le Congo-Brazzaville, qui a déjà connu d’atroces guerres civiles. Non seulement le Congo-Brazzaville est un pays martyrisé mais il subit son martyre dans l’indifférence de la communauté internationale. Dans les médias, c’est la loi du silence. Les politiciens ferment les yeux (…). Quant aux associations en tous genres, pourtant si promptes à dénoncer tout et n’importe quoi, elles se taisent. Pourquoi un tel mutisme ?

Le Congo possède du pétrole. C’est peut-être la cause de ses malheurs. Que pèse la vie d’un peuple face aux intérêts financiers et pétroliers ? ».

Pétrole_gas_Congo_Zaïre.jpgSur le même sujet, à propos des fameux Panama Papers, voir cet article dans LE MONDE mis à jour le 7 avril 2016 à 15 h 53 : « Depuis les hôtels luxueux du bord de mer à Pointe-Noire, capitale économique du Congo-Brazzaville, le ballet pétrolier se livre à l’œil nu. Les torchères scintillent au-dessus des plates-formes d’où est extrait l’or noir en eau profonde. On distingue dans la brume les tankers qui glissent au large, chargés de pétrole brut ou raffiné qui assure 75 % des revenus d’un État parmi les plus corrompus d’Afrique. Mais l’essentiel est ailleurs, opaque. Car la richesse de ce petit pays d’Afrique centrale, dirigé depuis trente-deux ans par Denis Sassou-Nguesso, 72 ans – et réélu le 20 mars pour au moins cinq ans supplémentaires – s’évapore dans des complexes circuits financiers offshore que seuls maîtrisent certains membres de la famille au pouvoir et une poignée de traders qui leur sont proches. En 2015, le Congo a produit 290 000 barils de pétrole par jour. Mais plus de la moitié des 4,4 millions d’habitants vit toujours sous le seuil de pauvreté.

Lucien Ebata, 47 ans, est l’un de ces intermédiaires liés à la famille Sassou-Nguesso. Domicilié de l’autre côté du fleuve Congo, à Kinshasa, cet homme d’affaires est à la tête d’Orion Group SA, au capital autorisé de 10 millions de dollars (8,8 millions d’euros). Cette holding établie en Suisse est immatriculée aux Seychelles depuis 2009 par la firme panaméenne Mossack Fonseca, via la société luxembourgeoise Figed, selon les documents consultés par Le Monde. L’activité principale du groupe, qui compte plusieurs filiales, est la commercialisation de produits pétroliers. Parmi ses clients, on trouve la major anglo-néerlandaise Shell, ainsi que la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont Denis Christel Sassou-Nguesso, le fils cadet du président congolais et ami personnel de Lucien Ebata, est directeur général adjoint ».

Le Congo-Brazzaville, eh bien, c’est le pays natal d’Alain Mabanckou !

Et voici ce qu’il fait dire à l’un de ses interlocuteurs sur ces deux questions (la spoliation et le pétrole) dans son livre « Lumières de Pointe-Noire », publié en 2013 : « Le pétrole, c’est le pouvoir ! Quand il y a une guerre, c’est qu’il y a du pétrole (…). Le pétrole a foutu la pagaille entre les nordistes et les sudistes (…). Ah oui, cette guerre, c’était pour contrôler le pétrole, le vendre en cachette et s’acheter des villas en Europe ! Ici le pétrole n’appartient pas au peuple, il appartient au président de la République et à sa famille (…). Le problème c’est que le président, il travaille avec les Français » (page 195).

Je vous en dirai bientôt plus sur ce livre, que je termine actuellement.

06/06/2016

"Le sanglot de l'homme noir" (Alain Mabanckou) : critique (2/2)

Dans « Le sanglot de l’homme noir » Alain Mabanckou parle de la place des Noirs, en Europe et en Amérique, de leur comportement face à l’histoire, de leurs relations avec les Blancs et entre eux, de la binationalité, de l’identité nationale, de l’attrait de l’Europe pour les Africains (je précise en passant que pour lui, l’Afrique, c’est l’Afrique noire ; il n’évoque que très rarement le Maghreb, pourtant francophone, et jamais l’Afrique du Sud), du sort de l’immigré, de la diversité, du droit du sol, du commerce triangulaire (ironie de l’histoire, il commence ses études à Nantes !), de la francophonie (voulue ou subie)… le tout en 175 pages denses et néanmoins alertes. 

Nantes ancien temps.jpgEt il raconte ses études de droit économique et social à Nantes, puis à Dauphine, passe très rapidement sur les dix ans passés à Suez-Lyonnaise des Eaux pour arriver à son recrutement comme professeur de littératures francophones en Californie : « Si j’ai accepté d’aller enseigner aux États-Unis, c’est parce que je ne me couperais pas pour autant de cette langue d’écriture qui est la mienne : le français. J’ai exigé d’enseigner en français – ce qui est toujours le cas à ce jour. J’ai aussi souhaité enseigner, outre les auteurs africains, certains auteurs français que j’apprécie. Il se trouve que j’allais, bien malgré moi, devenir l’ambassadeur d’une culture et d’une langue que j’avais reçues par la colonisation. En enseignant les textes d’écrivains africains d’expression française, j’avais pour mission indirecte de veiller à la diffusion de la langue auprès des étudiants américains » (pages 113-114).

Enfant unique d’une famille « compliquée » mais aimante, Alain Mabanckou est quelqu’un qui recherche et prend des positions modérées, équilibrées, objectives… sur le colonialisme, la négritude, l’immigration, son pays d’accueil (la France), les Français, sur son pays natal (le Congo), sur la littérature et sur la langue. Concernant ce dernier point, il s’insurge, dans le chapitre « La littérature à l’estomac », sur un courant « africaniste » qui prêche l’abandon du français, langue du colonisateur, en tant que langue d’écriture. Et son argument est double : ce qui compte avant tout, c’est le talent (« Si dans le terme écrivain francophone, l’adjectif francophone est de trop pour certains, peut-être faudrait-il commencer par être écrivain tout court ») (page 138) ; et ensuite, pour lui « Il y a longtemps que la langue française est devenue une langue détachée de la France et que sa vitalité est également assurée par des créateurs venus des cinq continents » (page 137).

Après avoir lu un roman et deux essais d’Alain Mabanckou, je me demande s’il n’excelle pas, surtout, dans l’analyse des idées – ce qui légitime sa position de professeur de littérature – et si ses essais ne sont pas plus intéressants, pour un lecteur français ou européen, que ses romans où les thèmes récurrents restent pour nous exotiques et magiques. Je vais essayer de confirmer cela en lisant un autre roman, « Lumières de Pointe-Noire ».

02/06/2016

"Le sanglot de l'homme noir" (Alain Mabanckou) : critique (1/2)

Sanglot de l'homme noir.jpgDeuxième livre cité dans sa leçon du 10 mai 2016, « Le sanglot de l’homme noir » a été publié par Alain Mabanckou dans la collection « Points » des éditions Fayard, en 2012. Il y revient sur les causes et les conséquences de l’esclavage (commerce triangulaire occidental mais aussi rôle des Arabes et des notables africains). Les 175 pages de son livre sont un régal de langue française, d’érudition, d’humour et de rhétorique. Il a emprunté son titre à Pascal Bruckner, pour signifier qu’il reprenait le même thème : le sentiment de culpabilité, la mauvaise conscience, la haine de soi, le repentir, lorsque les Européens se penchent sur leur passé colonialiste. Mais là, il s’adresse aux victimes, les Africains eux-mêmes et il leur dit que les « Blancs » ne sont pas les seuls responsables, que l’esclavage existait avant leur arrivée sur le continent et qu’ils doivent maintenant construire quelque chose et arrêter « l’inventaire ». C’est une sorte de suite à sa « Lettre à Jimmy » (voir mon billet du 30 mai 2016). Il cite le roman du Malien Yambo Ouologuem « Le devoir de violence », prix Renaudot 1968 (pour la première fois un auteur d’Afrique noire francophone obtenait un des grands prix littéraires français) : « C’était également la naissance de l’autocritique, indispensable si l’on veut que soient fondés les reproches adressés aux autres. C’était une hardiesse, au moment où tout écrivain africain était censé célébrer aveuglément les civilisations africaines et décrire un continent où tout était calme et pacifique avant l’arrivée des méchants Européens, boucs émissaires de prédilection lorsqu’on ne s’explique pas l’enlisement des États africains après leur émancipation, à partir de la fin des années cinquante » (page 128).

Ce livre, retiré de la vente en France pour une vague accusation de plagiat, a eu beaucoup de succès à l’étranger et a été enseigné dans les universités du monde entier. « (Il) est un des romans incontournables de l’histoire de la littérature africaine d’expression française, avec Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma, La vie et demie de Sony Labou Tansi et Le pleurer-rire d’Henri Lopes » (page 129).

Bien sûr, il y a une présence noire dans la France d’aujourd’hui mais, selon lui, la « France noire » n’existe pas, à cause de l’histoire, qui est bien différente de celle des Noirs américains (qu’il appelle les Africains-Américains). Pour la France métropolitaine, les Noirs ont d’abord été des sauvages et des indigènes, puis des tirailleurs, et c’est ainsi qu’est née à Paris, en réaction, la notion de « négritude », dont on a déjà parlé.

Bien sûr Alain Mabanckou évoque la situation de l’immigré, fustige les position de l’extrême-droite et proclame son attachement aux vertus républicaines et à la France, son pays d’adoption (ses parents, Congolais, étaient français puisque nés avant l’indépendance).

Mais il raconte surtout ses rencontres avec des Français, ici ou là, qui lui demandent inlassablement de quel pays il est. Il raconte ses déboires d’étudiant noir arrivant à Nantes pour étudier, puis ses débuts d’enseignant à Ann Arbor dans le Michigan.

Une anecdote sur le français est intéressante : « La langue (française) que nous utilisions était raillée (à Nantes) aussi bien en cours qu’au restaurant universitaire. On n’employait plus l’imparfait du subjonctif en France… Or nous y tenions comme à la prunelle de nos yeux ! De notre côté, la langue des autochtones nous paraissait pauvre, pervertie par une paresse désolante. Ces jeunes gens avaient appris le français dans les jupes de leurs mères, et adopté, selon nous, les raccourcis les plus abominables, ainsi que cette manie de contourner la difficulté des concordances de temps en se réfugiant derrière une prétendue évolution de la langue… Cette attitude nous chagrinait, nous qui avions enduré le fouet pour un participe passé mal accordé » (page 107).