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06/12/2014

Dis pas ci, dis pas ça (III)

Ensuite, il y a évidemment le gros morceau du franglais et de tous ces mots qui permettent de frimer : brief, débriefer, buzz, booster, overbooké, surbooké, blacklister, best-of (pour se limiter aux lettres A et B ; le reste, comme disaient mes profs de Terminale, je vous laisse le voir à la maison…).

Un gentleman anglais.jpgLà-dessus, je trouve que l’Académie n’est pas très bonne… à la fois trop timorée, paralysée par son impuissance (comment lutter contre un tsunami, tout en disant que ce n’est qu’une tempête ?) et surtout, feignant d’ignorer que proposer, par exemple, de remplacer « être surbooké » par « n’avoir aucun moment de libre », c’est peine perdue… Qui osera, dans une ambiance de travail où il importe avant tout de montrer qu’on est dans le coup, utiliser ce genre de périphrase qui paraîtra pédante ou désuète ?

C’est un manque d’imagination ou un manque de travail sur le sujet ; il faut proposer aux francophones de bonne volonté des transpositions concises, pertinentes, efficaces. Il faut s’intéresser aux connotations, aux nuances, attachées à chaque mot car les Français y sont hypersensibles, contrairement aux Américains qui utilisent « Windows » quotidiennement sans état d’âme : s’il s’agit de désigner quelque chose d’un peu nouveau ou d’un peu différent, il leur faut un mot à part. Sur ce sujet-là, le PETIT DICO d’Alfred Gilder est bien meilleur.

Bon, je vous donne quand même les emplois recommandés pour la liste de termes franglais ci-dessus : réunion préparatoire, faire le bilan, rumeur / bourdonnement / bouche à oreille, augmenter / stimuler / développer / accélérer, figurer (être) sur (une) liste noire, florilège / le meilleur de / sélection.

Mais l’Académie consacre aussi un article entier aux anglicismes. Et que dit-elle ?

Que parler d’une invasion est excessif…

Que les emprunts à l’anglais sont un phénomène ancien (merci, on le savait… et alors ?). Et de citer une demi-douzaine de mots banals avec leur période d’entrée dans notre vocabulaire.

Qu’en plus des emprunts de mots, il y a des « emprunts sémantiques », qui donnent une nouvelle acception à des mots français existants comme « conventionnel » ou « négocier ».

Et aussi des réintroductions (coach, challenge…) et des calques (guerre froide, cols blancs et cols bleus, homme de la rue…).

Et elle admet que le phénomène s’est accéléré depuis cinquante ans.

Les chiffres sont intéressants : le Dictionnaire des anglicismes en dénombrait 3000 en 1990. Comme le vocabulaire courant comprend 60000 mots, cela ferait 5 % d’anglicismes mais l’Académie divise le ratio par deux, arguant que la moitié seraient déjà vieillis ! Cela étant, le Dictionnaire des mots anglais du français en dénombre 5 % en 1998… Raté !

Quand on veut aboutir à un résultat, tous les moyens sont bons : l’Académie décrète alors que beaucoup de ces mots sont peu fréquents dans la langue courante, cantonnés qu’ils seraient dans des domaines spécialisés !

Le Dictionnaire de l’Académie française, quant à lui, en est à 38897 mots répertoriés pour l’instant, et sur ce total, il ne décèle que 686 mots d’origine anglaise (soit 1,76 %), à comparer avec 753 mots d’origine italienne (Viva Italia)… ça ne m’étonne plus que Zidane se soit fâché très fort en finale ! L’arabe, en l’occurrence, fournit 224 mots (0,58 %). C’est à croire que l’essentiel des mots empruntés commencent par une lettre de la deuxième moitié de l’alphabet.

Bonne fille, l’Académie concède tout de même qu’il faut surveiller certains abus comme la propension à multiplier les tournures passives, les constructions en apposition et les nominalisations. ; et qu’on « emploie un anglicisme vague pour ne pas se donner la peine de chercher le terme français existant parmi plusieurs synonymes ou quasi-synonymes » : par exemple, « finaliser », « performant », « collaboratif », « dédié à » ou pire encore, dit-elle, « cool », « speed », « fun », etc.

On en est à la quatrième page de l’article que l’Académie, qui pense qu’il n’y a pas d’invasion, en rajoute en abordant les emprunts inutiles : « feedback », « speech », « customiser », « news »… sans que l’on comprenne très bien ce qui distingue cette nouvelle catégorie des précédentes. Elle se réjouit de constater, à la suite de R. Étiemble, que « starter », « speaker », « lift » et d’autres ont disparu, comme, pense-t-elle, « pitch » et « afterwork ».

Elle savoure le fait que l’on utilise ordinateur, logiciel, vidéo à la demande, biocarburant, voyagiste (ah bon ?), covoiturage, monospace, navette, passe (le badge, pas les maisons). Mais justement, c’est le résultat, souvent excellent, d’une lutte acharnée contre l’invasion, par quelques esprits inventifs et pertinents ! La défense du français, combien de divisions ?

04/12/2014

Dis pas ci, dis pas ça (I)

Il y a trois ans, l’Académie française a ouvert sur son site internet, un espace appelé DIRE, NE PAS DIRE, dans lequel les internautes peuvent trouver les réponses argumentées à leurs questions sur la langue française.Les immortels.jpg

En septembre 2014, les Éditions Philippe Rey ont publié un livre éponyme qui rassemble les questions et réponses les plus courantes. Ce livre est fort intéressant.

Dans sa préface, Yves Pouliquen en profite pour protester du vif intérêt que l’Académie, malgré sa légende de belle endormie, porte « à l’usage fautif de notre langue, à sa contamination par des néologismes infondés tout autant que par des anglicismes eux-mêmes trafiqués ».

On ne peut pas être plus clair.

Et c’est même touchant de voir la Vieille Dame s’approprier ces mots de « courriel », « toile », « nuage », en français dans le texte !

Dominique Fernandez a sous-titré sa postface « Lettre d’amour à la langue française »… Il y rappelle que, grâce à Richelieu, ce ne sont pas les Académiciens qui sont immortels mais la langue française. Et, paraphrasant le célèbre aphorisme du Guépard, que celle-ci doit évoluer pour exister toujours. De ce fait, il justifie le travail de longue haleine mené par l’Académie pour examiner et réexaminer sans fin au cours des siècles, à travers son fameux Dictionnaire, la langue qui bouge sans cesse.

Sa passion va jusqu’à lui faire écrire de la langue française qu’elle est « capable d’exprimer les moindres nuances avec une précision et une finesse qu’aucune autre langue ne possède ». C’est une des questions que j’ai déjà posées dans ce blogue et dont je ne jurerais pas de la réponse ; à mon sens, il faudrait étudier les quelques milliers de langues que compte notre planète pour trancher valablement. Cette connaissance me manque… Je sais seulement que l’allemand, par exemple, a imposé dans le vocabulaire philosophique mondial quelques mots intraduisibles et acceptés tels quels (Weltanschauung par exemple) ; et je me demande en quoi l’italien et l’espagnol seraient moins aptes aux nuances que le français…

Mais bon, si l’Académicien le dit… et peu importe après tout ; nous n’avons pas besoin de nous croire supérieurs et uniques ; croyons simplement en notre langue et préservons-la.

D. Fernandez lui voit deux ennemis mortels : les néologismes et le langage des jeunes. Aux deux, il propose des remèdes raisonnables et modérés, une sorte de changement dans la continuité : adopter les termes acceptables et lutter contre les autres. Du coup, il pose le problème là où il est : quand accepte-t-on ? quand bannit-on ? Et il remet en selle l’Académie, haut lieu de réflexion, de débat argumenté et du dire final : DIRE, NE PAS DIRE. Bien joué, Domi !

Une fois qu’on a lu cela, le livre se lit comme un florilège ou on s’y reporte comme à un dictionnaire, au choix.

C’est le picorage de ses articles les plus savoureux ou les plus polémiques que je vous proposerai dans les billets suivants de cette série.

 

(Soit dit en passant, cette publication démode d’une certaine façon, pour ce qui du franglais, le PETIT DICO FRANGLAIS-FRANÇAIS d’Alfred Gilder, dont j’ai déjà parlé).

26/11/2014

Ah, les chers anges...

Hier soir, je participais en tant qu’invité à la réunion plénière d’un club d’investisseurs providentiels…

Vous voyez de quoi il s’agit ? Non ?

En fait, c’est moi qui les appelle par leur nom français ; eux, ils se disent business angels, ça fait plus sérieux sans doute. Dans le monde de brutes sans foi ni loi qui est celui des affaires, il y aurait donc, d’après les Américains, de petits anges aux poches profondes… Les Français, du moins leurs lexicographes, voient plutôt l’intervention de la Providence, c’est affaire de hiérarchie céleste.

Il y a donc des gens qui sont prêts à financer, de leurs deniers durement gagnés, des projets innovants portés par des entrepreneurs plus ou moins jeunes, qui n’ont, en vérité, qu’un seul point commun, leur façon de s’exprimer.

Hier, on nous parlait de bouteilles d’eau quasiment médicinale, apte à diminuer l’acidité de notre appareil digestif, et d’une machine capable de faire un mojito, ou un autre cocktail, en trente secondes…

Et c’est là que j’ai souffert : comment croyez-vous que ces personnes pleines de fougue et de conviction ont présenté leur projet ?

Mais à grand renfort de management day to day, de pitch, de like sur internet, de start-up bien sûr, de crowdfunding, de focus sur le business, de community manager, de mapping de l’innovation, de first to market advantage, de leasing, de marketing, de reporting, de lease back, de deal, tout cela n’étant pas toujours un simple problème de cash

Ainsi va la vie des affaires en France, avec la gestion à assurer au jour le jour, avec des coups de cœur sur internet, des gazelles et des jeunes pousses, du financement participatif, une focalisation sur le chiffre d’affaires, des animateurs de communautés virtuelles, une cartographie de l’innovation, l’avantage d’être le premier sur le marché, du crédit-bail, de la mercatique et de la reddition de comptes, de retour de location, d’accord et de négociation, le tout sans forcément de gros sous…

 

Au même moment, je recevais sur mon téléphone le programme musical d’un piano-bar des environs… bourré de coquilles, de fautes d’orthographe et de phrases bancales, sans compter pas mal de majuscules intempestives « à l’anglaise ». Mon sang ne fait qu’un tour : je proteste auprès de l’émetteur.

L’émetteur était une émettrice, Veronika B. qui m’explique que, n’étant pas française, elle ne sait pas faire autrement que compiler tels quels les textes que lui envoient ses collègues (ce qui donne une idée de la langue écrite de chez nous, en l’occurrence chez les musiciens). Et de me proposer de corriger l’annonce.

J’ai dit que j’étais désolé et que bien sûr, j’allais corriger son texte, ce qui sera ma contribution au programme musical du mois.

 

Je m’y colle tout de suite, dès que j’aurai publié ce billet.