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11/12/2017

Afrique et France : enfermée dans le giron linguistique francophone... vraiment ?

Après tous ces éléments à charge, MM. Mbembé et Sarr abordent un autre thème, dans leur article du Monde du 27 novembre 2017, sous le titre « Enfermés dans le giron linguistique francophone ».

Ce chapitre commence par reconnaître qu’il ne faut pas « faire de la France le bouc émissaire de tant de malheurs que nous (les Africains) aurions pu éviter » ni « lui octroyer davantage de pouvoir qu’elle n’en a véritablement dans nos affaires » car « elle ne dispose guère de la capacité de nous faire faire n’importe quoi, et surtout contre notre gré ». Et c’est là la faiblesse de la diatribe : la France est-elle un monstre en Afrique, oui ou non ? 

« La majorité des Africains n’attend plus grand-chose de la France. Il reste à faire le pas suivant, c’est-à-dire comprendre qu’il n’y a rien à attendre du reste du monde que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes ». Même s’il semble aujourd’hui présomptueux, ce programme est sage et lucide. (Une fois de plus, déplorons ce travers journalistique qui consiste à extraire une phrase de son contexte – et même à en modifier le sens – dans le seul but d’en faire un titre accrocheur ou provocateur ! Même « Le Monde » fait cela, en l’occurrence il a titré : « Africains, il n’y a rien à attendre de la France que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes » ; ce n’est pas ce qu’ont écrit MM. Membé et Sarr !).

C’est le tournant de l’article pour nous car on en vient aux questions de langue, en l’occurrence au français, ce qui nous intéresse au premier chef.

« Une bifurcation culturelle s’esquisse parmi les élites. Elle oppose désormais ceux qui sont enfermés dans le giron linguistique francophone à ceux qui en sont sortis. Ces derniers parlent d’autres langues (l’anglais notamment) et s’inscrivent désormais dans d’autres faisceaux d’intérêt et de sens ». Bon vent à ceux-là qui ont choisi le giron anglo-saxon ! Ils verront bien à terme s’ils ont gagné au change. L’herbe est toujours plus verte ailleurs… 

« Les rapports franco-africains postcoloniaux reposent sur très peu de valeurs que la France et l’Afrique auraient en partage ». 

« Le processus de décolonisation de l’imaginaire africain est en phase d’accélération ». 

C’est clair, ces deux-là demandent le divorce, tout en déplorant que « la rente de circulation (visas, bourses, possibilités d’aller et de venir et autres facilités) » se tarisse ! Le beurre et l’argent du beurre ?

Toutes proportions gardées, cela me fait penser à l’ouverture du marché français de l’électricité au cours des années 2000 : les plus vindicatifs à se plaindre du monopole de l’opérateur historique ont été aussi les plus plaintifs de ce que ce dernier, tout à coup, ne donnait plus rien gratuitement et ne fonctionnait plus à livres ouverts…

Et nos auteurs de proclamer, exactement comme en Occident, « le désir irrépressible de mobilité, le refus des frontières et la revendication, y compris transgressive, d’un droit inaliénable à la circulation ». Ben voyons, « le bonheur si je veux ! ». 

Comme souvent, c’est la conclusion qui pèche… trop courte, subitement trop bienveillante (après trois pages de récriminations) et béatement optimiste. On nous parle tout à coup de « la densité des rapports humains, de la somme des vies communes, des visages d’hommes et de femmes, tissées au long de quelques cycles de cohabitation ». Et tout à coup, la langue, « ce bien commun et en supplément » redevient aimable, à condition d’être « dénationalisée et dé-francophonisée afin d’en faire une langue-monde », tandis que « la réinvention des rapports entre la France et l’Afrique n’a de sens que si ces rapports contribuent à une nouvelle imagination du monde et de la planète » ; rien que cela ! On a envie de dire : pourquoi nous ? 

En passant, on découvre une affirmation péremptoire : « Les arts du XXIème siècle seront africains »… Ah bon ? Je croyais qu’ils émanaient plutôt de New-York, de Berlin ou de San Francisco… 

Et pour conclure moi-même, je dirai ceci :

Nos auteurs parlent de l’Afrique, comme si elle n’avait qu’une seule voix… Mais c’est un continent ! Y a-t-il vraiment une Afrique ?

Et un continent qui se déchire et doit surmonter des guerres intestines ! Est-ce vraiment le combat prioritaire que de s’attaquer à la France et d’en rester au colonialisme et au post-colonialisme ?

Enfin l’Afrique a besoin (comme tout le monde) d’alliés ; est-ce le moment de se fâcher avec ses proches ?

12/10/2017

Langues africaines et francophonie II

J’en étais là de mes réflexions sur les langues africaines, suite à la lecture du livre de Camara Laye, « L’enfant noir », quand j’ai retrouvé un article de Marianne paru le 7 avril 2017 intitulé « La francophonie, un truc annexe » et constitué d’un entretien du journaliste Hubert Artus avec l’écrivain d’origine camerounaise, Léonora Miano.

Autant le dire tout de suite – car mon propos n’est pas là – ce titre est aberrant et ne traduit aucunement ni le contenu de l’article ni la pensée de l’écrivain ! Réglons cela tout de suite avant d’en venir au fond. Le journaliste lui fait remarquer que sa langue est française mais comporte beaucoup d’anglicismes. Léonora Miano répond : « Le Cameroun est un espace francophone particulier car les langues locales sont très nombreuses (NDLR : cette affirmation montre qu’elle ne connaît pas la Guinée-Conakry ! Cf. mon billet du 9 octobre 2017) : plus de 200, dont aucune n’est majoritaire. Au Sénégal, il y a une langue que tout le monde parle, même s’il y en a d’autres : c’est le wolof. Idem avec le lingala dans les deux Congo. Au Cameroun, rien de tel. De plus, le pays a été une colonie allemande, puis un protectorat franco-britannique. L’anglais et le français sont dans l’ADN de cette nation. J’ai ainsi appris l’anglais à la maternelle. Ados, on préférait les programmes de télé anglophones, parce que les présentateurs étaient plus pros ! (sic). Ma génération devait maîtriser le français comme l’anglais. La francophonie est donc un truc annexe, pour moi. Ça nous amène à envisager, aborder, toucher des choses, des influences qui échappent à d’autres, ou alors qui leur viendront sur le tard… et dans la langue française.

On lisait le Nigérian Chinua Achebe, le Sud-Africain Alan Paton et l’Américain Richard Wright directement dans le texte. Tout comme Molière et Aimé Césaire ». 

Cette déclaration est très intéressante. On voit bien d’abord qu’elle ne condamne ni ne méprise la francophonie (ce que laissait entendre le titre) ; simplement, pour elle qui est bilingue (voire plus) depuis la prime enfance, c’est secondaire ou plutôt, ce n’est pas une cause pour laquelle elle pourrait militer.

09/10/2017

Langues africaines et francophonie I

Je suis fasciné par les langues : leur nombre (des milliers) et leur structure, représentative d’une façon de penser et de vivre. C’est pour cela que j’admire Claude Hagège, ce puits de connaissances linguistiques. Quant à moi, je ne connais guère que trois langues, et encore. Le français bien sûr, c’est bien le moins. Ensuite l’allemand, surtout littéraire ; j’ai adoré les extraits de Goethe étudiés au lycée et je me suis passionné un temps pour un écrivain contemporain, Wolfgang Borchert. Mais « Der Zauberberg », je l’ai lu en français. Enfin l’anglais, qui est pour moi inséparable de l’américain parlé et écrit par un Prix Nobel (Robert Zimmermann) et un poète de Montréal (Léonard Cohen), dont j’ai appris des dizaines de chansons par cœur.

À titre anecdotique, l’espagnol, dont je connais essentiellement un vers, grâce à Paco Ibanez, célèbre en France dans les années 70, et le portugais, dont j’ai récemment appris deux mots : saìda et obrigado mais dont je rêve de comprendre la variante brésilienne, à cause de Vinicius de Moraes et Antonio Carlos Jobim… Et c’est tout, c’est maigre. 

Le bilinguisme me fascine ; il est en fait assez répandu dans le monde, en particulier en Afrique, suite aux colonisations mais pas uniquement. Faut-il ne connaître qu’une seule langue pour en épuiser toutes les subtilités ou bien en connaître plusieurs et s’ouvrir ainsi des perspectives intéressantes ? Vaste question. 

Dans « L’enfant noir », Camara Laye évoque sa traversée de plusieurs régions de Guinée pour se rendre à la capitale (cf. mes billets des 2 et 5 octobre 2017) et, à cette occasion, la rencontre des langues peul et soussou, bien différentes de sa langue maternelle, le malinké. Quelle diversité déjà dans un territoire assez restreint !

J’ai eu envie d’en savoir plus, d’autant que, ayant mal lu une première fois le résumé biographique, je croyais que Laye était originaire de Haute-Volta (ce pays existait dans la géographie de ma jeunesse mais plus aujourd’hui !), alors qu’il venait de Haute-Guinée (comme d’autres des Hautes-Vosges ou du Haut-Var…).

De même qu’il y a deux Congo (Brazzaville – celui de Manbanckou – et Kinshasa), il y a… trois Guinée : Conakry (celle de Laye), Bissau et équatoriale.

La langue officielle de la République de Guinée (Conakry) est le français. Il s'agit de la langue de l'État et des institutions officielles. Après le régime de Ahmed Sékou Touré, le français est redevenu la langue unique d'enseignement à l'école.

La langue française est une langue en forte expansion en Guinée d'après les derniers rapports. En 2002, le nombre de locuteurs de langue maternelle française était estimé à 2 % de la population totale. D'après les autorités guinéennes, une nouvelle estimation de 2007 revoit ce chiffre fortement à la hausse par rapport à celle de 2002 : le nombre de francophones atteindrait 21,1 % et le nombre de francophones partiels 42,1 %. L'ensemble cumulé représente 6 millions de personnes, soit 63,2 % de la population totale ayant une maîtrise partielle ou complète de cette langue. L'anglais est présent dans les régions frontalières avec le Libéria et la Sierra Leone, et est une langue universitaire et commerciale.

Les trois principales langues d'origine africaine sont (nous y voici) :

  • le pular parlé majoritairement en Moyenne-Guinée, soit plus de 40 % de la population guinéenne, possède de nombreux locuteurs dans les autres régions ;
  • le malinké, parlé majoritairement en Haute-Guinée, possède de nombreux locuteurs dans les autres régions..
  • le soussou, parlé majoritairement en Basse-Guinée, parlée dans les quatre régions naturelles de la Guinée, est la langue dominante de la capitale Conakry.

mais on rencontre également des locuteurs dans d'autres langues qui sont :

(source : Wikipedia ; merci internet et surtout merci à tous ces gens savants qui passent du temps à nous délivrer bénévolement leur science !). 

Quel miracle que cette diversité, l’entropie ! Et quelle merveille d’avoir identifié et nommé toutes ces langues ! Mais quel est leur avenir dans le monde néolibéral uniformisé qui progresse chaque jour aux quatre coins de la planète ?