Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/10/2015

Apocopes et aphérèses

Il n'y a pas que l'anglais qui abrège et fait court ; le français aussi aime couper les mots pour aller vite. Et il coupe la fin de façon privilégiée (rien à voir avec la Veuve de 1793 ni avec les sachets protéinés !) : c'est l'apocope, c'est-à-dire la suppression des dernières syllabes des mots.

Bernard Pivot en cite de nombreux exemples dans son livre "Les mots de ma vie" (Albin Michel, 2011) : prof, instit, interro, labo, gym, ordi, prépas, Sciences Po, petit-déj (voire p'tit déj), ciné, télé, etc.

C'est cohérent avec le fait qu'en français, le déterminé précède le déterminant (on ne pourrait pas procéder de cette manière en allemand, où c'est l'inverse).

B. Pivot y voit parfois une irrévérence envers des substantifs "bien installés" : cathos au lieu de catholiques, socialos au lieu de socialistes, écolos au lieu d'écologistes, etc.

Il s'amuse aussi que même des noms propres soient l'objet de telles dissections : tout le monde a en tête Ségo et Sarko. Moi, j'aime particulièrement Jean d'O. Il y a aussi Libé, L'Obs, Saint-Trop...

 

guillotine_bunny.jpg

 

Normalement, on devrait placer un point (".") après le début du mot, pour remplacer les syllabes manquantes. Mais tant qu'à aller vite...

Le contraire de l'apocope, c'est l'aphérèse. Elle est plus rare : bus au lieu d'autobus, Ricains au lieu d'Américains.

 

 

06/10/2015

Irritations XXI : franglais du luxe et autres aberrations

Vu dans la rue la publicité de l'Oréal sur les panneaux défilants : toute en anglais. Pourquoi ?

Vu la plaquette de Volkswagen ("Das Auto") sur la Coccinelle : série spéciale ORIGIN, jantes Circle Black, système audio Composition Media, Authentic Road, Sound Boulevard, volant Orange Calypso, tableau de bord Twist Wave Dark, la plus trendy des Cox, Rainbow Corner, Discover Media, Fashion Street, jantes Twister, peinture Moon Rock, Sport Docks, pack R-Line Extérieur, CAR-NET et ainsi de suite ad nauseam… La plaquette ne dit pas si le logiciel anti-contrôle de pollution est offert.

Restons dans le merveilleux monde de l'automobile. Le numéro de mai 2015 de la revue "Alternatives économiques" enquête sur "Renault ou le succès de l'ingénierie frugale". L'article parle de la gamme Entry (low cost dérivé de la Logan), de crossover, de design to cost, de carry-over...

Dans une revue municipale, on informe sur une opération Cultures urbaines qui propose une performance. Il s'agit de transformer les bancs de la ville et ça s'appelle "Bench movie"… À cette époque, il y avait aussi une démonstration de break danse (sic ! avec un "s" !) et une initiation à la trottinette free style...

3 petits cochons.jpgRien à voir mais notre ministre préférée, qui semble reculer (ou fait semblant de reculer ?) sur sa réforme du collège dans laquelle elle supprime les classes bi-langues, en promouvant l'apprentissage de l'allemand dès le primaire, au même titre que l'anglais ou l'espagnol…, aurait laissé entendre que le porc était un aliment confessionnel. Plus exactement, elle a dit, suite à la suppression du menu de substitution dans les cantines scolaires de Chalon-sur-Saône : "Supprimer la possibilité d’avoir un menu non confessionnel, je trouve que c’est une façon, en réalité, d’interdire l’accès de la cantine à certains enfants". Quid du poisson, et aussi du Saint Nectaire, des cuisses de grenouille, des escargots et du foie gras ? Il est vrai que ces aliments ne sont pas servis dans les cantines.

D'aucuns disent que c'est une bourde ; on aimerait le croire. En tous cas, c'est une provocation, volontaire ou involontaire, qui risque d'encourager, s'il en était besoin, rejets et conflits.

Il va falloir que je m'intéresse à Yann Moix, cet écrivain-cinéaste touche à tout. Il officie maintenant dans l'émission du ricanant Laurent Ruquier "On n'est pas couché" et se distingue (en fait non, les autres sont pareils !) par une certaine agressivité cultivée et germanopratine mais à géométrie variable (dure avec les faibles, maîtrisée avec les puissants). Il  prépare manifestement beaucoup ses joutes oratoires avec les vedettes des médias (Onfray, Finkielkraut…) et arrive à citer Renan et Péguy "pour se mettre à niveau". Malheureusement, dans son enthousiasme d'intellectuel à la mode, il oublie que la vedette de la nuit, ce n'est pas lui mais l'invité ! Et qu'il n'est ici qu'un journaliste qui pose des questions et non pas un élève de Sciences Po au grand oral…

Finkielkraut et son élève Léa.jpg

 

Tant qu'à illustrer ce billet par une photo relative à l'émission, je vous propose celle-ci, la belle photo d'une élève face à son (ancien) maître.

 

 

05/10/2015

De l'art de la reprise

Quand un concertiste joue une pièce de Mozart ou de Chopin, on dit qu'il l'interprète, et on n'y voit que du bien car il n'est qu'un "passeur", et non pas un créateur ; c'est son rôle, et même son métier.

Quand tel ou tel chanteur "reprend" une chanson de quelqu'un d'autre, on l'accuse souvent de vouloir occuper la scène à peu de frais, voire de relancer sa carrière en panne. C'est surtout vrai en France, les Américains étant beaucoup plus ouverts sur le sujet, semble-t-il.

Après tout, de nombreux chanteurs sont, comme les concertistes, des médiateurs ; tout au plus re-créent-ils des morceaux écrits par d'autres ; ce n'est déjà pas si mal mais la création est quand même autre chose : faire advenir à partir de rien (on peut discuter sur ce "rien" car on sait bien qu'il y a des filiations, des héritages et des influences ; nous sommes juchés sur les épaules de géants, a dit quelqu'un). Mais bon, partir de la feuille blanche, même si l'on a la tête farcie de "références" et de "modèles", c'est autre chose que prendre une partition et la jouer.

Les créateurs, surtout dans notre monde obsédé de concurrence, de communication et de rapidité, sont face à un énorme défi : comment toujours trouver de nouvelles idées, comment surprendre, comment attraper et fidéliser un public versatile et infidèle ?

Les cinéastes usent et abusent d'une recette-miracle : plutôt que d'imaginer un nouveau scénario, ils vont carrément le chercher dans des écrits existants ; pourquoi se fatiguer quand le matériau est déjà là, créé par d'autres ? Cette pratique n'a pas que des inconvénients : vu la production pléthorique de chaque "rentrée littéraire", il est peu probable que nous reconnaissions, dans un film, un livre que nous avons déjà lu et plusieurs films nous ont, au contraire, fait découvrir, des œuvres que nous aurions ignorées. Mais c'est quand même amputer le cinéma, qui se veut "septième art", d'une partie de ses atouts : si l'histoire, les personnages, voire les dialogues, existent déjà par ailleurs, le metteur en scène réduit son rôle à les "mettre en scène"… Et quand on ose s'attaquer à des monuments comme "La Recherche", l'imposture et le mercantilisme ne sont pas loin.

Reste le cas des écrivains eux-mêmes.

Et d'abord celui des biographes et historiens : quel intérêt y a-t-il à publier la nième bio de Mme de Montespan ou le déroulé de la Révolution française, à part le fait que les œuvres anciennes ne sont plus rééditées et deviennent donc introuvables ? On peut invoquer la mise au jour de nouveaux éléments ou le progrès de la "science historique", c'est vrai mais est-ce toujours le cas ?

On comprend par ailleurs l'angoisse des écrivains ! Comment publier régulièrement quelque chose de nouveau, susceptible d'émerger de la pyramide des livres publiés chaque année ? Certains "découvrent" des personnages réels mais inconnus : Marguerite ou Charlotte, artistes restés dans les replis de l'histoire, et dont on romance plus ou moins le destin fascinant. Là, d'accord, il y a du nouveau et, après tout, les plus grands écrivains se sont toujours nourris de faits divers et de comportements humains observés.

Enfin il y a le cas des romans construits sur la vie ou sur un épisode de la vie d'un personnage déjà étudié… Ainsi de Aristidès de Sousa Mendès, consul du Portugal à Bordeaux, dont je lis l'histoire romancée par Salim Bachi ("Le consul", Gallimard, 2015). L'auteur a l'honnêteté de donner ses sources à la fin du livre (trois ouvrages récents ont pour sujet notre Aristidès !). Donc il avait l'histoire (réelle), il avait le personnage (réel), et il avait l'histoire et le personnage déjà analysés et commentés par trois historiens. Le (nouveau) livre a donc consisté à choisir un angle de vue, à "mettre en scène" les événements, à broder sur les tourments moraux du héros et sur son aventure extra-conjugale, tout ayant déjà été publiés...

Je reviendrai sur les caractéristiques de ce livre ultérieurement, après l'avoir lu. Mais, dès l'abord, le procédé m'indispose.

Comme dans les débats économiques, on peut avoir deux positions :

  • soit on prêche la concurrence débridée, sans règle ni conscience : "que le meilleur gagne" ; tout le monde peut participer, tous ceux qui gagnent ont joué...
  • ou alors, on respecte des règles tacites : on ne publie que ce qui est original ; le flot d'ouvrages des rentrées littéraires se tarit jusqu'à l'essentiel : de vraies nouveautés, de vraies créations ; la critique en est allégée, plus fine ; on a le temps de lire et d'analyser en profondeur. Les livres publiés sont lus par la multitude, le pilon est mis au rebut...

Naturellement, j'exclus la position totalitaire de la censure, qui déterminerait a priori ceux qui méritent d'être publiés.

Black on grey de Rothko.jpg

 

Et j'ai ignoré le cas de la peinture, dans lequel tout plagiat, toute "reprise", tout emprunt, "saute aux yeux", c'est le cas de le dire ! On peut toujours plagier les tableaux noirs de Rothko, cela ne porte pas à conséquence.

 

 

 

 

V.2 (corrigé à 13 h 45)