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30/09/2015

Peter Sloterdijk "La communication s'est substituée à la transmission"

Peter Sloterdijk, né en 1947, est le recteur, iconoclaste, de l'Université de Karlsruhe (pour ceux qui ne jurent que par Harvard et Berkeley et ignorent donc notre voisin allemand, disons que Karlsruhe est la capitale du Land de Bade-Würtemberg, qui longe notre Alsace, ville universitaire, siège du Conseil constitutionnel et d'EnBW, l'EDF locale). Il est l'auteur d'une trilogie "Sphères" (Pluriel) et d'un journal "Des lignes et des jours - notes 2008-2011" (Libella, 2014).Peter Sloterdijk.jpg

Interrogé par Marianne le 18 juillet 2014 (oui, j'ai un peu de retard de lecture…), voici ce qu'il répond à la question "La transmission est-elle encore possible ?" :

"On se demande si les éducateurs ont vraiment quelque chose à transmettre. Pour transmettre, il faut vouloir être un médium, être un véhicule, le véhicule d'un message. Qu'est-ce que vous voulez faire avec un enseignant sans message ? Les enseignants n'en sont plus, au sens propre. Ce sont tout au plus des coachs, qui font passer un savoir-faire, un code de conduite. La communication s'est substituée à la transmission.

Le Gymnasium (le lycée en Allemagne) est dans un état pitoyable : on y a éliminé l'apprentissage des langues anciennes et de la musique (NDLR : ah bon, eux aussi ?). L'enseignement n'est plus un contre-monde avec une fonction transcendante mais un outil de banalisation. Les jeunes arrivent dans les grandes écoles dans un état de formation plutôt lamentable et la lecture classique, qui était le médium formateur, est en voie d'extinction.

La lecture elle-même est dans une phase de métamorphose, entre écran et page. Il n'y a pas si longtemps, pour accéder au savoir, le sujet cultivé devait en passer par de longs détours. À présent, en un clic, on accède immédiatement à ce que l'on cherche. Nous sommes passés de la culture de l'inhibition à celle de l'impatience…".

Je ne vous dis rien du reste de l'entretien car je n'y ai rien compris.

 

29/09/2015

Halte aux attaques sournoises contre le français

Mon billet est motivé par la parution, dans le "Valeurs actuelles" du 27 août 2015, d'un dossier intitulé "Halte au massacre du français".

Vous constaterez que je n'ai pas repris son titre car je le considère comme inutilement "guerrier" ; d'ailleurs, il ne s'agit pas, selon moi, d'une attaque généralisée, consciente, meurtrière, contre notre langue ; pas de complot dans cette affaire ! Mais, comme je l'ai dit de nombreuses fois déjà, de la conjonction du snobisme, de la paresse, de l'autodénigrement, de la soumission à un modèle autre, qui conduit à abandonner le français à son sort et à le laisser s'appauvrir partout (à l'école, dans les médias et… dans nos conversations et dans nos textos).

Au demeurant, par rapport à ce qui a déjà été écrit dans ce blogue et que mes lecteurs connaissent bien, peu de choses nouvelles dans le dossier de "Valeurs actuelles".

Il confirme que, en plus du niveau calamiteux des élèves en grammaire et orthographe, il faut maintenant déplorer les faiblesses de nombre de leurs enseignants dans les mêmes disciplines (Source : correction des copies des candidats à la session 2014 du concours des professeurs des écoles, commentaires des jurys de Lille et de Grenoble). Ceci explique cela : si l'instituteur fait des fautes de français, y compris à l'écrit en corrigeant les copies, comment espérer que ses élèves soient irréprochables ?

 

Instituteur.jpg

 

Concernant les élèves, une enquête de l'Éducation nationale sur l'évolution des acquis en début de CE2 entre 1999 et 2013 conclut qu'il y a "plus de mauvais élèves et moins de bons"… Et la même dictée (d'une dizaine de lignes) proposée à vingt ans de distance occasionne plus de quinze fautes pour 46 % des élèves en 2007 (au lieu de 26 % en 1987) ! Une autre étude dénonce la prolifération des fautes d'accord et de conjugaison, qui prouve que les élèves ne maîtrisent pas la logique de la langue française, même quand c'est leur langue maternelle. Mis en cause unanimement : les "pédagogistes" qui, en particulier au Ministère, s'opposent à toute réforme visant à rétablir un enseignement efficace. La formation des enseignants est en question.

Gag supplémentaire, des extraits d'un discours de la Ministre qui comportent des fautes (accord de l'adjectif, accord de "tout", dont j'ai souvent parlé dans ce blogue. J'en profite pour inviter la délicieuse Najat à un cours de rattrapage).

Un encart s'insurge de la boulimie et de la complaisance des dictionnaires qui, chaque année, engrangent et légitiment de nouveaux mots et expressions (selfies, hashtag, lol et bien d'autres…). C'est bien de s'insurger mais c'est oublier que les dictionnaires sont des entreprises commerciales et non des services publics et qu'ils visent à être des éponges et non pas à normaliser ni à rationaliser ni à préserver la langue.

L'article dénonce, c'est maintenant bien connu, les instructions qui incitent les correcteurs du bac à mettre au moins 8/20 à tous les candidats, de façon à maximiser le pourcentage de reçus. Si les correcteurs notaient "au barème", le taux de réussite s'effondrerait à 25 ou 30 %, au lieu des 87,8 % démagogiques de cette année.

L'article de l'excellente Natacha Polony est excellent, comme d'habitude ; pas besoin d'y revenir, mes lecteurs ont été abreuvés de ses idées dans ce blogue, idées que je partage. "Notre langue est en train de se vider de sa substance…".

Autre éclairage, déjà utilisé dans ce blogue : les entreprises, elles, ne s'accommodent pas de ce niveau calamiteux car la forme d'expression de ses salariés peut nuire à son image. C'est donc maintenant un frein à l'embauche, et la remise à niveau à travers la formation professionnelle se développe.

Dernier article, de Philippe Barthelet, que mes lecteurs connaissent : "Le français tel qu'on le déparle". "Un mal plus général et plus profond, plus inquiétant aussi : l'incapacité où nous sommes désormais de parler français, d'employer une langue simple, claire et précise, où un chat s'appelle un chat et où, quand on veut dire qu'il pleut, on dit tout bonnement qu'il pleut". Et de dénoncer aussi cette mode, liée au franglais, d'employer des mots dans un faux sens : "académique" au lieu de "universitaire", "cursus académique" au lieu de "liste des diplômes", "campus" au lieu de "université", "versus" au lieu de "contre", "intriguant" au lieu de "curieux"… Et il conclut sur "la mode des substituts adéquats plus sortables, qui n'offensent plus l'unanimisme des grands principes et des bons sentiments, qui est notre nouvelle religion d'État".

 

 

 

28/09/2015

"Plonger" de Christophe Ono-dit-Biot : critique

Alors allons-y, livrons-nous à la critique d'un livre.

Le dernier que j'ai lu est "Plonger" (Gallimard, 2013, Grand Prix de l'Académie française) de Christophe Ono-dit-Biot, célèbre pour "Birmane" (2007).

Cherchant des livres au format de poche à offrir à des amis comme récompense d'un grand jeu, je suis tombé par hasard sur ce livre, en même temps que sur "L'été 76" de Benoît Dutertre, dont j'ai déjà rendu compte et que sur "Immortelle randonnée" de Jean-Christophe Rufin. Ça tombait bien, Folio proposait un livre gratuit pour deux achetés… C'est ainsi que j'ai pu me régaler avec "Petit éloge des vacances" !

Ce n'est certes pas le titre qui m'a attiré (j'aime bien la mer vue de la plage ou des falaises…) ni encore moins l'illustration de la couverture (deux corps nus, plutôt disgracieux, enlacés dans une mer artificielle…). Non, c'est la quatrième : "Un homme enquête sur la femme qu'il a passionnément aimée", promesse d'une histoire d'amour, même finie.

Alors j'attaque le livre, et ça accroche, même si je n'apprécie pas cette astuce du narrateur qui parle à son fils de deux ans. La Belle est photographe, espagnole, indépendante, mélancolique ; son amoureux est journaliste-baroudeur (qui en a marre de voyager sur tous les terrains des catastrophes), béat d'admiration et prêt à tout accepter.

Ça accroche parce que le rythme est alerte, avec des chapitres pas trop longs qui sont autant d'échos de l'actualité (le tsunami, le Liban) ; il y a de l'épaisseur, non pas dans les personnages mais dans les situations et les lieux visités (l'art contemporain à Venise).

Tout bascule avec la grossesse et la naissance : l'artiste ne semble pas faite pour la maternité, et c'est Albertine disparue (ici : "Paz partie", puisqu'elle s'appelle Paz). Et l'intrigue se noue, sur des thèmes complètement différents : une enquête quasi-policière pour retrouver Paz et les réminiscences du Grand Bleu.

 

Plage Chypre.jpg

 

L'Académie n'a manifestement pas été gênée par le fait que Christophe Ono-dit-biot a mélangé les genres dans son roman, ce qui le rend à la fois "dispersé" et "prenant". Et ça se lit effectivement d'une traite (voilà un critère de qualité respecté).

Bien sûr, je ne dis rien de la fin, encore qu'elle soit connue dès le début du livre.

Et alors, la réponse à mes deux autres critères ? Oui, je le recommanderais à un tiers (avec les réserves ci-dessus) et Non, je ne le garderai pas (il ira rejoindre la pile que je vais donner à une brocante prochaine).