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10/10/2015

"Le consul" de Salim Bachi : critique (II)

Le fond de l'histoire est donc fascinant, et résonne singulièrement avec notre actualité : il s'est trouvé un homme, qui aurait pu se retrancher derrière les ordres reçus et l'obéissance liée à son statut, derrière le conformisme ou la facilité, et qui brûle ses vaisseaux et fait son devoir d'être humain. Il ne s'agit pas explicitement d'accueil, puisque les migrants de l'époque ne voulaient que passer par le Portugal pour émigrer aux États-Unis ou ailleurs, mais le fait est là : il est passé outre et va le payer cher.Promenade Aristidès de Sousa.jpg

Voyons maintenant la forme. Ce livre court (180 pages), écrit à la première personne, se lit bien et vite, même si je n'ai pas trop apprécié la forme d'une confession à sa maîtresse à la fin de sa vie. Le récit est prenant, évidemment, même si le dénouement en est connu. Je ne trouve pas grand-chose à dire - ni à redire - sur le style de l'auteur, je le trouve fluide mais passe-partout.

Il y a cette "affectation" très "Philippe Sollers" de supprimer la ponctuation dans les énumérations. Ainsi, page 176 : "et chassaient pourchassaient massacraient des millions de personnes". Ça apporte quoi la disparition des virgules ? Rien.

Il y a, même dans les pages les plus émouvantes, des constructions bizarres : " Je pensais au pouvoir de l'amour infini, à la noyade de la jeune fille et au jeune mari tentant de la délivrer des eaux froides qui empesaient sa robe blanche ou noire de colombe aux ailes mouillées, engluées, pauvres amants que la mort attirait vers elle, au jeune homme qui, voyant périr l'amour de sa vie, plongea , s'accrocha à lui avec l'énergie du désespoir et se laissa glisser dans l'abîme" (page 69). Pourquoi ne sait-on pas si la robe était blanche ou noire, sachant qu'une colombe est plutôt blanche, non ? Et ensuite, le jeune homme, son mari en somme, qui s'accroche, non pas à elle, la jeune femme, mais à lui, l'amour de sa vie… C'est alambiqué, non ?

Encore cette confusion entre imparfait et passé simple : "Le 14 juin Paris tombait et je m'enfermais dans ma chambre…" (page 70). Il ne s'est pas enfermé vingt cinq fois dans cette chambre ! C'est un acte unique (avant Maastricht), donc "je m'enfermai". Idem page 79 "Elle me dévisagea… Le lendemain, je la confiais à la garde d'une famille…". Et encore page 103 "Je les entendais… Je me bouchai les oreilles, j'essayai de dormir… J'étais tel Job sur son galetas…".

À la même page 70, une faute d'accord dont on peut penser qu'elle appartient à l'éditeur plus qu'à l'auteur : "tous ceux qui avaient échappés aux Walkyries ivres de rage et de sang". Et l'éditeur a dû également bégayer quand il a imprimé "… et vous savez ce qui est plus le plus cher aux yeux de notre bien-aimé président du conseil des ministres…" (page 144).

Encore une phrase bancale page 162 : "Il avait constaté aussi la présence de nombreux étrangers, un tiers de juifs pour le moins, dont la circulaire n°14 interdisait la délivrance de visas". J'aurais écrit : "auxquels la circulaire…".

À suivre...

 

09/10/2015

"Le consul" de Salim Bachi : critique (I)

L'actualité de ce mois d'octobre 2015, comme celle de septembre et d'août, ce sont les migrants ; mis à part les éléments factuels (combien sont-ils ? d'où viennent-ils ? où veulent-ils aller ? comment procèdent-ils ?), la Presse relaye deux approches opposées : l'accueil les bras ouverts (que ce soit par humanisme, par conviction religieuse, par bien-pensance, par lâcheté ou autre) et le rejet inconditionnel (que ce soit par égoïsme, par conviction religieuse, par goût de la provocation, par pragmatisme ou autre).

Mais le fait est là : il y a des milliers de migrants à nos portes ou du moins à nos frontières...

L'exode sur les routes de France.jpg

Le hasard a voulu, ou plutôt la synchronicité, que j'exhume ces jours-ci, de la pile d'ouvrages en attente, le livre "Le consul" de Salim Bachi (NRF Gallimard, 2015). Ça m'a pris comme ça, un matin.

Et ce livre raconte le destin extraordinaire de ce représentant du Portugal à Bordeaux, dans les années 39-40, au moment où l'Allemagne nazi envahit la France et où Pétain lui demande l'armistice. Rien, apparemment, ne prépare cet homme à désobéir et à n'écouter que sa conscience, au mépris de son confort personnel, de la vie de ses proches et, naturellement, de sa carrière professionnelle : il est marié, a quatorze enfants et une jeune maîtresse, une belle maison au Portugal, et il vit très confortablement dans "les ors de la diplomatie" à Bordeaux. Rien vraiment ? Si, peut-être, sa foi catholique chevillée au corps.

Le consul.jpgArrivent les migrants, c'est-à-dire des gens qui fuient, depuis fort loin parfois, l'avancée de l'armée d'Hitler. Des juifs, des tziganes, des familles, des enfants, plein de gens.

Ils arrivent ou plutôt ils affluent ; le consul les voit bientôt camper dans la rue, devant le consulat, et même s'installer à l'intérieur, dans ses propres bureaux, car les portes ne sont pas vraiment closes.

Et voici une sorte de "nuit du Golgotha", en vérité trois jours et trois nuits pendant lesquelles Aristidès de Sousa (c'est notre consul) vit reclus dans sa chambre, seul, en proie à une terrible crise de conscience. Il en ressort déterminé à accorder des visas et même des passeports portugais aux milliers de demandeurs qui se précipitent chez lui : il en accorde 30000 au total, sans plus même regarder qui sollicite, machinalement, dans une sorte de fuite en avant suicidaire.

Je n'en dis pas plus, sauf que les conséquences de cet acte généreux seront funestes pour lui et sa famille.

À suivre...

 

08/10/2015

La modestie de B. Pivot et "le plus"

Voici ce qu'écrit Bernard Pivot dans "Les mots de ma vie", à propos de son émission-culte (il n'approuverait peut-être pas ce mot composé à la mode…) "Apostrophes" :

Pivot B..jpg"Je suis le plus mal placé pour répondre à cette question, et tenterais-je de le faire que je mettrais à mal l'une des qualités que l'on m'a souvent reconnues : la modestie.

Elle n'était pas feinte parce que j'ai toujours considéré que l'auteur d'un livre, même de circonstance, même de médiocre avenir, du moment que je l'avais invité, avait préséance sur moi, journaliste, aux yeux des téléspectateurs (NDLR : les journalistes de "On n'est pas couché" feraient bien d'en prendre de la graine !).

Et qu'il y avait davantage à attendre de ses réponses que de mes questions, d'ailleurs le plus courtes possible".

Indépendamment du fond, intéressons-nous à la forme de cet extrait et, plus précisément, aux mots qui le closent et que j'ai soulignés.

On est titillé parce que "le plus" voisine avec un adjectif au féminin et parce que "le plus" et "possible" sont au singulier, contrairement à "courtes".

Qu'en dit le Bescherelle (page 65, § 73 "Le superlatif" de l'édition Hachette de 1956) ?

"Le choix de l'article est commandé par le sens dans les deux superlatifs ci-dessous :

  • la maison le plus solide qu'on puisse concevoir n'est plus à l'épreuve des bombes modernes (c'est un superlatif authentique : la qualité qu'il exprime est considérée à son plus haut degré possible) ;
  • la maison de mes parents a seule résisté au bombardement. C'était la plus solide de toutes celles du bourg (Ici le superlatif emprunte de son sens au comparatif : la situation de la maison est rapportée à celle d'autres maisons)".

Il est donc normal que B. Pivot ait employé "le plus" et non pas "les plus" ou "la plus" (c'était un superlatif authentique, sans connotation comparative).

Le fameux "Dire, ne pas dire" de l'Académie française ne dit pas autre chose (page 135) : "le plus" est invariable (comme un adverbe) quand on ne "compare" la chose qu'à elle-même. le superlatif peut alors être remplacé par "au plus haut degré".

Mes premiers lecteurs se rappellent de l'exemple : "C'est le matin que la rose est le plus belle" (voir mon billet à ce sujet dans la série "Dis pas ci, dis pas ça").

Reprenons enfin le "Résumé d'orthographe" d'H. Berthet (1941), ouvrage déjà cité dans ce blogue, pour élucider le cas de "possible" :

"Possible est invariable après le plus, le moins, le mieux : faites les portes les plus grandes possible".

Mais alors, si l'on a bien compris, H. Berthet se trompe : il aurait dû écrire "les portes le plus grandes possible" et B. Pivot a raison sur toute la ligne !