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16/10/2015

Achat à effet de levier (AEL)

Philippe Barthelet, que mes lecteurs connaissent comme chroniqueur du bien parler, a écrit dans le "Valeurs actuelles" du 8 octobre 2015 (rubrique "L'esprit des mots") un petit billet révélateur de ce qu'il faudrait faire tous les jours pour enrayer la progression du franglais.

C'était à propos du mot "Repreneur"...

Passons sur les variations autour de l'idée que l'on ne peut reprendre que ce qui nous appartenait...

P. Barthelet ironise sur "les courageux qui s'endettent doublement, et à l'égard du vendeur, et à celui de la banque prêteuse, dans les cas de LBO (leverage buy-out)". Cette pratique d'ingénierie financière, qui a fait florès et dont l'étoile pâlit depuis quelques années, consistait à emprunter pour acheter une société et à rembourser l'emprunt en dépeçant habilement la proie...

Foin d'économie-Rapetout ! Intéressons-nous à l'aspect linguistique de la chose.

Chanteuse Aël.jpg

 

P. Barthelet ajoute "que nous nous bornerons à traduire par AEL, Achat à effet de levier, ce qui revient, nous l'avouons sans peine, à franciser notre ignorance".

Ces deux remarques sont intéressantes :

  • d'une part il y a le réflexe et l'effort de traduire le terme anglais, et c'est fait là de belle manière puisque le résultat est compréhensible et se condense en plus en un acronyme qui ne le cède en rien à son cousin anglais !
  • d'autre part, P. Barthelet est bien trop modeste ! Il n'a pas "francisé son ignorance", sinon comment aurait-il été capable de traduire aussi intelligemment l'horrible expression anglo-saxonne ? Au contraire, il s'est fait expliqué le dispositif suffisamment pour être capable de lui donner un nom simple et conforme à notre langue.

 

C'est bien ainsi qu'il faudrait procéder, sachant que la plupart des nouveaux concepts et des nouveaux appareils nous viennent d'outre-Atlantique :

  • d'abord comprendre de quoi il retourne ;
  • ensuite trouver une dénomination française, pertinente et suffisamment simple (si les Américains, ce qui arrive souvent, ont trouvé un nom de baptême amusant, particulièrement concis ou évocateur, essayer de faire pareil) ;
  • et enfin, le plus difficile, diffuser très rapidement l'innovation, avant que le terme anglais ne soit adopté, afin qu'il soit utilisé largement (il y a un "nombre critique" de locuteurs, et avant tout dans les médias si snobs et si pressés, qui fait qu'en-dessous, le terme ne s'impose pas).

N'est-ce pas là la mission essentielle de l'Académie française ?

Nos hommes en vert, bien logés, bien chauffés, bien payés, si attachés à leur gloire et à leur confort, n'ont-ils pas tout le temps nécessaire pour plancher chaque mois sur les néologismes, et l'autorité suffisante pour diffuser leurs trouvailles ?

Mais à leur âge, peuvent-ils encore aller vite ?

15/10/2015

Mathématique des voyelles

Dans "Les mots de ma vie", Bernard Pivot signale, page 112, une chose amusante : "Prenez trois voyelles, d'abord le e, puis le a, enfin le u, vous les liez dans cet ordre, et vous obtenez à l'oreille une quatrième voyelle : le o. Magique !". Vous avez reconnu le mot "eau"...

 

Rivière 2.jpg

 

Ça m'a fait penser à l'algèbre de nos classes prépas, avec ses ensembles remarquables et ses lois de composition : quand on composait deux éléments de l'ensemble, on obtenait un élément du même ensemble. Ici, on compose trois éléments, et on reste dans l'ensemble des voyelles. Mais c'est probablement le seul exemple, cela ne fait pas une loi.

Poursuivant son raisonnement, B. Pivot rassure les étrangers qui apprennent notre langue si difficile, en constatant que "ruisseau, chêneau, caniveau, seau, bateau, radeau, maquereau, carpeau, château (d'eau) sont en conformité avec l'écriture de leur liquide existentiel". Pour reprendre ma métaphore mathématique, je dirais que "eau" reste invariant dans ses compositions.

 

Rivière.jpg

 

Mais il déplore immédiatement que "lavabo, cargo, canot, aviso, lamparo, Calypso ne bénéficient pas de l'eau courante" et ce n'est pas la faute à Rousseau !

Quel maître en jeu de meau !

14/10/2015

Irritations XXIII : franglais encore, franglais toujours

Mes lecteurs s'étonneront - ce qui n'est pas grave - mais s'irriteront peut-être - ce qui l'est plus - de ce que, de billet en billet, je m'acharne à repérer et à dénoncer les multiples emprunts qui sont faits à l'anglais dans notre langue de tous les jours (celle du bureau, de la pub à la télé et dans la rue, du sport, du luxe et de la mode, de la science, de la politique même…).

Il est vrai que c'est devenu un réflexe, voire une manie. J'ai un objectif principal : faire prendre conscience  de l'ampleur de la dégradation de notre langue et conséquemment de son impact sur la confusion qui règne dans les cerveaux de nos jeunes enfants.

Renault 16 electronic.jpgPour moi, le déclic a été le electronic très anglo-saxon qui a trôné à l'arrière d'une voiture Renault dans les années 70. C'était, je crois, la première fois qu'un mot courant était ainsi exposé aux yeux de tous, dans une graphie incorrecte, anglaise en l'occurrence. C'était particulièrement grave parce que, phonétiquement, cela donnait l'impression que l'on avait un mot français, avec sa sonorité, mais mal orthographié.

Je veux également protesté dans mon coin sur une certaine tolérance, une certaine complaisance, une certaine indifférence, en tous cas une certaine minimisation du phénomène, qui est le fait de nos élites : Académie française, responsables de la Francophonie, journalistes… Ils ne nient pas le phénomène mais considèrent qu'il est marginal et inévitable.

Quant aux linguistes, pour la plupart, bien qu'héritiers du grammairien Étiemble (premier lanceur d'alerte - tiens c'est une notion nouvelle et ce n'est pas du franglais !), ils nous assurent, avec bien sûr plus d'autorité que moi, que ce n'est pas grave, que les langues évoluent et qu'on peut dormir sur nos deux oreilles.

Moi, je n'ai pas sommeil et, au risque de laisser sur le bord de la route certains de mes lecteurs - consternés -, je prétends que la dégradation est importante, nuisible et qu'elle va de pair avec l'autodénigrement, le laisser-filer et la soumission à des modèles étrangers, qui semblent être la marque de fabrique de la France d'aujourd'hui (disons, post-Trente Glorieuses).

Donc, je continue ma collecte.

Dans le Marianne du 18 septembre 2015, je trouve : "Certes, il y a bien eu ce bug à la mi-mai" ; "des informations privilégiées à des gérants de hedge funds" ; "Il avait liquidé une partie de ses stock-options" ; "La coach que j'ai rencontrée…" ; "un concept marketing" ; "Utiliser le benchmark comme outil de gestion sur la base du principe complain or explain" ; "son benchmark favori" ; "Ce sont tous des hackers" ; "Un jeune geek affrontait une intelligents artificielle"...

Cette semaine-là, le magazine se terminait par l'article de Guy Konopnicki intitulé "Le salon du premier sexe", titre ironique censé caractériser le "Salon de la femme musulmane" , qui se tenait, dans l'indifférence générale et des féministes en particulier, à Pontoise (on y dissertait apparemment sur l'utilité des coups dans la relation conjugale…).

Je cite le journaliste pour illustrer jusqu'où va se nicher le franglicisme : "… de bonnes ménagères montaient sur scène pour y faire de jolies démonstrations de cooking. Les organisateurs utilisaient le mot anglais cooking sans doute pour produire une sensation de modernité, bien que l'Angleterre ne fût pas une référence incontournable en matière de gastronomie… Rien de tel qu'une mode, exprimée en anglais, pour renvoyer les filles à leurs casseroles. Le cooking, c'est furieusement fashion".