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14/05/2015

Jean d'O. fait parler de lui (I)

Jean d'Ormesson ne pouvait pas ne pas intervenir dans le débat sur le projet de réforme du collège de Mme Belkacem. Il l'a fait dans le Figaro du 10 mai 2015, sous la forme d'une Lettre ouverte au Président de la République et aux "Attila" de l'éducation. Rien de moins !

Et il n'y va pas avec le dos de la cuillère : après les formules diplomatiques qui conviennent aux protagonistes, entre gens qui savent se tenir ("Cette réforme, la ministre la défend avec sa grâce et son sourire habituels et avec une sûreté d'elle et une hauteur mutine dignes d'une meilleure cause" ou plus loin "Mme Najat Vallaud-Belkacem est pour la littérature et la culture de ce pays un Terminator de charme, une sirène séduisante dont il faut s'éloigner au plus vite, une espèce d'Attila souriante derrière qui les vertes prairies de la mémoire historique ne repousseraient plus jamais"), il attaque sur le terrain de l'exception culturelle "qui plongeait ses racines dans le latin et le grec" et de la défense du français ("Le français occupe déjà dans le monde une place plus restreinte qu'hier. Couper notre langue de ses racines grecques et latines serait la condamner de propos délibéré à une mort programmée").

Ensuite, la défense de la littérature, de Montaigne à Chateaubriand, en passant par Ronsard, Anouilh et Joyce, qui tomberaient selon lui dans une trappe.

Il convoque les défunts Claude Lévy-Strauss et Jacqueline de Romilly pour contrer les "rêveries meurtrières de Mme Vallaud-Belkacem", puis l'inévitable collègue de l'Académie, notre ami Marco Fumaroli (voir mon billet à son sujet), Jacques Julliard, qui a écrit dans Marianne "Notre littérature est le bien le plus précieux. Je le dis tout net si je devais me convaincre que la gauche est, à son corps défendant, l'agent de la marginalisation de notre littérature dans la France moderne, je n'hésiterais pas une seconde : ce n'est pas avec la littérature, notre patrie quotidienne, que je couperais. Ce serait avec la gauche", et aussi Régis Debray, Pierre Nora, François Bayrou, Luc Ferry… tous ces gens que la ministre qualifie de "pseudo-intellectuels".

Et l'interpellation du Président se termine par : "Ne laissez pas périr nos biens les plus précieux : notre langue, notre littérature, notre culture".

Que penser de cette Lettre ? Que l'auteur pouvait mieux faire !

Jean d'Ormesson 89 ans.jpgBien sûr sa publication intervient à une période difficile ; âgé de 89 ans, Jean d'Ormesson a été victime de plusieurs accidents cardiaques au cours d'émissions de télévision récentes. Il n'est pas exclu que le texte ait été écrit dans l'urgence, alors que la polémique enfle depuis déjà début avril. D'où les citations, nombreuses, de chroniqueurs antérieurs sur le même sujet ; d'où cette grandiloquence, cette dramatisation, cette impression de désespoir et de fin du monde...

J'avoue que j'ai été déçu : pas vraiment d'argument nouveau, en particulier rien de percutant à même de lutter contre l'assurance et la fraîcheur de teint d'une ministre à peine sortie de l'adolescence et qui aura beau jeu de railler l'immobilisme, le conservatisme, le conformisme de ses contradicteurs.

C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait, avec aisance et sans douter jamais, le 12 mai 2015, dans la Matinale de France Inter.

Profiter de son article pour dénoncer trop de réglementation, trop de freins à une économie souple et vivante, des impôts absurdes et écrasants, affaiblit la rigueur du propos et la crédibilité de son auteur. C'est à croire que c'est un passage obligé pour écrire dans le Figaro...

 

 

 

13/05/2015

De l'art de publier un article attrape-tout… (II)

Enfin, dans la toute dernière partie de l'article de J.-P. Robin, on pense que l'on est arrivé au cœur du sujet annoncé, à savoir le fait que les fautes de français plomberaient la vie économique elle-même.

Il paraît que les entreprises feraient la chasse aux erreurs d'orthographe, en feraient un motif de licenciement et obtiendraient gain de cause auprès des Cours d'appel… Vu mon expérience professionnelle dans un géant industriel français, si c'était vrai, la moitié des cadres dirigeants auraient été remerciés depuis longtemps...

On attend des exemples de la catastrophe ; on lit seulement que les S'miles de la SNCF seraient une niaiserie linguistique grotesque et que Hachette a appelé ses boutiques d'un nom - Relay - qui n'existe pas en anglais et qui ferait que les Français ne savent plus écrire "relais"...

Catastrophe, disiez-vous ?

Dernier alinéa, le journaliste qui n'a encore rien démontré nous assène :"Dans le domaine économique, les ravages sont immenses". Bigre !

Alors il dégaine : "déficits structurels", "seuils sociaux", "compte personnel d'activité", "droits rechargeables"… certes mais "so what ?"...

Je vous laisse savourer la péroraison : "Toute réforme est un retour aux sources et aux principes fondamentaux, sinon ce serait une révolution. Encore faut-il savoir les lire et les dire. C'est pourquoi les fautes de français sont si graves".

Et c'est ainsi que votre fille est malade.

Concernant la relation - ténue - entre l'orthographe et la vie économique, j'aurais préféré que J.-P. Robin nous parle du renouveau de la dictée dans les écoles d'ingénieur, du projet Voltaire, des tests à l'embauche et du filtrage des CV, et surtout de la nouvelle politique de référencement de Google.

Il semble en effet que Google, chahuté par l'accusation de mettre en avant son propre comparateur de prix dans les résultats de recherche, a modifié le programme qui classe les résultats en vue de leur affichage : le nouveau moteur avantage les sites qui disposent d'une version adaptée aux téléphones mobiles et pénalise les sites considérés comme de mauvaise qualité, avec par exemple beaucoup de fautes d'orthographe (oui, vous avez bien lu !) ou des contenus copiés sur d'autres sites.

Sur un thème voisin, je peux parler de BlaBlaCar, le site de covoiturage, créé en 2004 par un Français, normalien, de 39 ans, Frédéric Mazzela. Le site est français (150 salariés à Paris) mais la langue de travail est l'anglais. La maxime "In trust, we trust" est écrite partout sur les murs. "Il faut être pragmatique, il y a 29 nationalités différentes chez nous. Le seul moyen de communiquer, c'est l'anglais". Mais il y a dans l'entreprise une salle dans laquelle les employés étrangers peuvent apprendre le français. (Source : Le Figaro du 25 avril 2015).

 

12/05/2015

De l'art de publier un article attrape-tout… (I)

Le 27 avril 2015, Jean-Pierre Robin publiait dans les pages saumon du Figaro, un article intitulé "Pourquoi les fautes de français nuisent gravement à la prospérité économique" et sous-titré "De Bercy à l'Élysée, les maladresses de langage ont des effets calamiteux".

Enfin une preuve de l'intérêt concret de notre combat et une évaluation quantitative des dégâts causés par le laisser-aller du langage d'aujourd'hui ?

Je me prépare à me régaler, d'autant que l'exorde affirme "La confusion des mots peut conduire à des catastrophes".

Mais tout de suite après, ça part mal car le journaliste prend comme exemple la sonde américaine Mars Climate Orbiter qui a été perdue par la NASA pour cause de confusion entre les unités de mesure anglo-saxonnes et celle du système métrique… Tout de suite trois commentaires :

1) utiliser les Américains dans une diatribe contre l'orthographe défaillante, c'est contre-nature ; eux s'en fichent royalement ;

2) on ne voit pas le rapport entre l'orthographe et les unités de mesure… ;

3) si les Américains avaient adopté, comme tous les autres pays, le système international d'unités (SI) issu des "Poids et mesures" de la Révolution française, l'accident ne se serait pas produit ; ils ne peuvent que s'en prendre à eux-mêmes.

Donc rien de nouveau sous le soleil...

L'auteur répète que "de telles approximations langagières… ont des conséquences incalculables, dans tous les sens du terme" (sic !). Et d'embrayer sur la répugnance viscérale des Français aux réformes", qui viendrait "d'un manque d'explications, de discours alambiqués, ambigus et ennuyeux de nos dirigeants". Mais où est donc l'orthographe là-dedans ?

On en arrive à un premier exemple, un communiqué du Ministère des Finances qui aurait annoncé que "l'assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale se tient deux fois par an à Washington". Bon, d'accord, c'est bisannuel (comme certaines plantes) et non pas annuel… Et alors ?

François Hollande.jpgEnsuite le morceau de bravoure, deux phrases de François Hollande lors de l'émission Supplément de Canal+ :

- "Je suis amical avec mes amis, proche avec les Français mais je ne veux pas être familier"

- "Je suis, dans la fonction que j'exerce, celui qui incarne les Français, celui qui tient son rôle".

Et de broder sur la formule "proche avec les Français", qui peut signifier deux choses :

- soit il est proche des Français (et a oublié la préposition qui va avec "proche", voir mes billets antérieurs sur ce sujet) ;

- soit, quand il rencontre des Français, il se comporte de façon intime avec eux ; mais alors cela contredit sa phrase suivante, qui dit qu'il ne veut pas être familier...

Dans la seconde phrase, F. Hollande prétend incarner les Français, ce qui est impossible (ils sont trop nombreux !) ; tout au plus peut-il espérer incarner la France.

Bon, au total, pas de quoi fouetter un chat ; et d'ailleurs, où est l'orthographe là-dedans ?

Je concèderai au polémiste que l'actuel Président n'est pas un orateur hors pair ni ne possède la magie du verbe. Son débit est haché et ses formules souvent "de bois". Ainsi répète-t-il à plaisir : "La reprise, elle est là". Une fois ça va, pour insister sur le sujet (la reprise). Mais son emploi systématique du redoublement du sujet est horripilant à force. Manifestement, les avocats (Mitterrand, Sarkozy) sont mille fois plus agréables à écouter que les technocrates (Chirac, Hollande), toute question de fond mise à part.

Arrivé à cet endroit de l'article, on comprend, foin du français et de l'orthographe, que le seul but du journaliste est de critiquer le gouvernement et le Président.

À suivre...