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25/05/2015

Cécile, ma sœur (IV)

Le bouquin de Cécile Ladjali est un peu "fourre-tout", en tous cas sa construction n'est pas très cartésienne ; manifestement, elle dit ce qu'elle avait à dire et ce qu'elle avait sur le cœur. On passe donc, sans transition, de l'importance des classiques (Molière, Racine...) à la nécessité de l'effort, de la culture aux errements de la pédagogie "officielle", sans oublier des références à ses propres expériences d'enseignante, en l'occurrence la fameuse pièce Tohu-bohu qu'elle a fait écrire et jouer par une de ses classes de banlieue, avec l'aide d'un metteur en scène.

Les arguments et les démonstrations sur les mêmes thèmes reviennent plusieurs fois, à des endroits différents du livre ; on dirait que c'est écrit "au fil de l'eau".

Au demeurant, tout cela est fort intéressant.

Sur la forme, elle aurait pu mieux faire, me semble-t-il : elle n'échappe pas à quelques tics d'écriture (l'abus de la conjonction "or" et de l'expression "elle se doit de", par exemple) mais surtout ses phrases sont parfois compliquées. Ainsi, page 145, elle écrit : "Il n'y a pas de meilleur lecteur de l'art que l'art lui-même"... et "Mais l'époque manque d'humilité. Comme le rappelle avec courage George Steiner dans son livre essentiel Réelles présences, le mandarin oublie qu'il est au service des textes et des auteurs"... Quel mandarin ? Mystère...

Son style est aussi volontiers "lyrique". Voici par exemple comment elle explique ses choix pédagogiques : "La façon est en effet celle d'une amoureuse des Lettres.

 

 

Bon, reprenons page 22 : "... le pouvoir, la force de conviction que l'on possède, la capacité que l'on détient à inspirer une idée, une volonté, sont proportionnels à la maîtrise du langage. Cela, les lycéens le comprennent très vite. La peur qu'ils ont des mots reste la traduction d'une démission".

 

24/05/2015

Cécile, ma sœur (III)

"Or ce que je veux leur signifier (NDLR : aux élèves) à chaque heure de cours est que tout ce qui est beau est très difficile. Et, si je ne suis pas de celles (NDLR : comme le masculin joue le rôle de neutre, qui n'existe pas en français, Mme Ladjali aurait dû écrire : "si je ne suis pas de ceux"...) qui nieraient que la beauté doit toucher spontanément les sens, j'ajouterai à cette conviction que cette spontanéité-là, vécue en écoutant un opéra, en lisant un poème, en contemplant un tableau, cache derrière elle des années de pratique et de réflexion. On accède au vrai vertige - celui de l'intelligence - par le travail.

Or, on est en mesure d'éprouver ce plaisir parce qu'on possède un héritage, des valeurs, des repères. Il faut les codes linguistiques, la syntaxe nécessaire, pour entrer dans le chef d'œuvre. Chef d'œuvre qui, avant de se livrer, convoque en l'homme (NDLR : tiens, ici le masculin en tant que neutre, revient...) ce qu'il y a de plus remarquable en lui et qui, en cela, reste une réalité indépassable".

Sur le fond, tout cela me paraît évident : pour apprécier Mozart, Herbie Hancock, Picasso, Baudelaire et Valéry, il faut avoir franchi un certain nombre d'étapes successives et avoir, d'une façon ou d'une autre, travaillé. Toute cette beauté, et le plaisir qui va avec, ne sont pas accessibles au premier abord. On le voit bien dans l'apprentissage de la musique, qui n'est pas obligatoire : d'une part il y a un effort à fournir, il faut travailler, s'exercer, répéter sans relâche et d'ailleurs sans fin ; d'autre part il faut étudier les maîtres, les imiter et absorber progressivement ce qui a été créé avant, pour espérer trouver après son propre langage musical et sa propre voie (et voix). On ne crée jamais à partir de rien, on reformule, on modifie, on reprend... Les Beatles ont commencé en jouant "sur les disques" de leurs idoles du moment et Eric Clapton a d'abord joué d'innombrables morceaux de blues avant de trouver son style. On ne demande pas aux élèves des Conservatoires et écoles de musique de "découvrir" tout seuls la musique, que ce soit le solfège ou l'harmonie ; on leur demande d'apprendre et d'étudier ! C'est tellement exigeant que beaucoup abandonnent en cours de route mais la récompense est au bout du chemin, dès le premier morceau exécuté correctement.

Revenons à la démonstration de Cécile : effectivement, avoir pour principal objectif que les jeunes ne s'ennuient pas (voir les déclarations de Mme Belkacem) et supprimer les notes qui risquent de les traumatiser, c'est comme on dit familièrement "du grand n'importe quoi".

Mais il me semble qu'elle s'arrête au milieu de l'analyse. Le problème est peut-être que la poésie occidentale, l'opéra occidental, la peinture occidentale (j'écris "occidental" pour faire bref) ne sont pas des buts à atteindre pour tous les jeunes d'aujourd'hui ; pour certains, ce n'est pas la culture qui les fait rêver ni dont ils se réclament... Il y a donc un autre problème qui se greffe sur celui que traite Mme Ladjali (l'apprentissage, l'effort à fournir, l'étude des classiques et la maîtrise de la langue française à exiger).

23/05/2015

Cécile, ma sœur (II)

Continuons avec Cécile et sa "Mauvaise langue".

"Le barbarisme préfigure la barbarie. Une syntaxe que l'on malmène, un mot que l'on écorche, est une violence que l'on impose à soi et aux autres. L'approximation et la familiarité sont les manifestations premières d'un glissement progressif vers l'anomie, l'absence de code, c'est-à-dire la négation même de la civilisation, fondée sur les règles de la vie en société...

Or, le drame est que les mots ne manquent pas qu'aux enfants. Trop souvent les adultes leur tournent le dos, persuadés que l'essentiel se joue ailleurs, à travers d 'autres évidences, et ils tirent parfois une réelle fierté de cette infirmité. Mal parler, cela fait bien".

Nous n'en sommes qu'à la page 13 d'un livre publié en 2007, quand Mme Ladjali écrit ces phrases que l'on croirait sorties d'un article contre la réforme du collège de 2015 : "Or il semble que le monde n'a jamais autant infantilisé les adultes, en pariant sur les logiques du pire qui sont celles du nivellement par le bas et du relativisme culturel".

Et plus loin, page 123 : "Au vu des noms successifs ayant affublé ce même ministère, il semble que la mission de l'École ait sensiblement dévié. Si les mots ont un sens, l'actuelle dénomination (NDLR : l'Éducation nationale) donnerait à entendre que l'École se doit de fournir des règles de vie et de comportement aux enfants avant de leur offrir un savoir théorique. En d'autres termes, les professeurs doivent, en plus de leur rôle de maître, endosser celui des parents, lesquels ont la charge de l'éducation de leurs enfants.

J'ai le sentiment que les sciences de l'éducation incitent à délaisser l'apprendre pour le faire, afin que l'amusement supplée au travail. Je redoute ces pratiques qui consistent à mettre l'élève en situation de chercheur ou de linguiste en herbe, lors de ces moments de conquête qui ne sont ni la préparation ni le résultat d'une leçon apprise par cœur ou d'un cours magistral.

Au sujet du cours magistral, ce n'est pas peu dire qu'il pâtit actuellement d'une fâcheuse réputation. Or je le pense indispensable. Car il est des moments où l'élève doit se taire et écouter, afin de soumettre son attention à des données inédites véhiculées par un nouveau langage...

Encore faut-il que celle-ci s'impose suffisamment (NDLR : la voix du professeur) et parvienne, en intensité et en proportion, à couvrir le triste brouhaha des séances de découverte, visant à placer l'élève et sa parole au centre de tout, au milieu de rien...

Le maître est celui qui possède un savoir et l'élève celui qui ne l'a pas encore acquis.

Brouiller ces deux constantes peut avoir des conséquences dramatiques."

On croit lire une description de la réforme défendue, après tant d'autres ministres laxistes et dans l'air du temps, par Mme Belkacem. C'est dire qu'en huit ans, les choses n'ont pas stagné, elles ont empiré.

Pauvre Cécile.