Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/10/2014

Her Majesty's a pretty nice girl (II)

J’attaque donc cet article « Word watching : le mot juste », qui parle des mots français en anglais.

Passons sur les mots qui datent de la conquête et qui, avec une graphie plus ou moins transformée, sont complètement intégrés à l’anglais moderne : castle, prison, war

Voici maintenant des mots utilisés tels quels, dans le même sens que chez nous : au fond, fait accompli, badinage, blasé, chic, cliché, débâcle, déjà vu (rappelons-nous Four way street de CSN&Y !), ennui, lingerie, née, passé, précis, recherché, touché !.

Je ne sais pas s’il y a des lycéens nuls en anglais dans les lecteurs de ce blogue mais si oui, voilà, jeunes gens, de vrais-faux faux-amis, c’est-à-dire des mots français simples que vous avez le droit d’utiliser tels quels en anglais ; par exemple, lors de vos voyages linguistiques outre-Manche, les mots « badinage » et « lingerie » peuvent se révéler utiles… Je n’irai pas jusqu’à dire que « fait accompli » aussi… Peut-être perdrez-vous alors la détestable habitude de traduire actually par actuellement, definitely par définitivement et eventually par éventuellement ?

 

Notre érudit anglais reconnaît que, en anglais aussi, l’usage de termes français alors qu’il existe des équivalents anglais, relève du pur snobisme ; il cite ainsi : joie de vivre au lieu de joy of living, nouveaux riches (the new rich), en passant (in passing), façon de parler (a manner of speaking), faute de mieux (for want of anything better).

 

On arrive au cœur du sujet quand il attribue la nécessité d’utiliser des mots français, à la perception que les Français seraient les meilleurs dans le domaine considéré. On connaît cette tarte à la crème : la cuisine et le vin. On trouve là des mots sans équivalents en anglais : à la carte, table d’hôte, bain-marie, hors d’œuvre, flambé, fricassée, sauté, (sauce) hollandaise, vin de pays, premier cru, chambré. L’auteur cite aussi « haute cuisine » et « prix fixe » mais franchement, je ne vois pas à quoi cela correspond…

Il paraît que les Anglais utilisent assez souvent les mots suivants, dans le domaine des arts et du sport : avant-garde, roman à clef, trompe-l’œil, objet d’art, pas de deux, concours d’élégance, grand prix, musique concrète, cinéma-vérité, nouvelle vague (à égalité avec New Wave), après-ski (à égalité avec after-ski).

Il y a une autre catégorie de mots français, qui cohabitent, dans un sens différent, avec leur traduction littérale en anglais (NDLR : un peu comme week-end et fin de semaine en français) : fin de siècle désigne la fin du XIXè siècle, et non pas d’un autre ; un ménage à trois désigne le mari, l’épouse et l’amant (ou la maîtresse), et non pas deux parents avec leur enfant unique ni trois sœurs ; faux pas est utilisé uniquement dans le domaine social, contrairement à false step qui est un pas dans la mauvaise direction ; un bon mot n’est pas, comme a good word, un mot « qui convient » ; un enfant terrible n’est pas un enfant mais un adulte qui ne respecte pas les convenances ; sang froid a le même sens qu’en français, alors que cold blood signifie insensibilité. Il y a aussi carte blanche, bête noire, cul-de-sac… C’était la catégorie des faux amis.

Certains mots français n’ont absolument aucun équivalent en anglais : pied-à-terre, au pair, raison d’être

Mais Messieurs les Anglais, quand ils empruntent des mots au français, n’hésitent pas à les noyer dans la syntaxe anglaise ; par exemple RSVP (répondre s’il vous plaît) est utilisé comme un verbe (I haven’t RSVP’ed yet !) ; ou à les déformer : « bons viveurs » au lieu de bons vivants.

 

Pour conclure, l’auteur prétend que la liste exhaustive des termes français empruntés par l’anglais occuperait un volume de taille respectable… Peut-être, mais qu’il s’intéresse un peu au franglais de chez nous, ne serait-ce qu’à la radio et à la télévision. L. Arquié, sans citer de sources, rapporte le chiffre de 40 % de mots d'origine française en anglais. Mais je pense qu'il englobe toutes les catégories de mots cités plus haut (y compris donc les mots transformés et intégrés) et que cette intégration est ancienne. C'est l'histoire de l'anglais suite à l'invasion de Guillaume le conquérant. À l'époque, les Saxons ont dû réagir comme nous dans ce blogue : trop, c'est trop !

Encore une fois, et au risque de lasser, ce n’est pas l’emprunt qui pose problème ; c’est la dose. Le Français est drogué au franglais et n’arrive pas à apprendre l’anglais. C’est peut-être quand la Chine aura conquis la première place dans la mondialisation heureuse, que tout changera… En attendant, elle achète des palaces et des vignobles ; toujours la cuisine et le vin, on n’en sort pas !

30/10/2014

Her Majesty's a pretty nice girl (I)

Un des arguments mis en avant par les personnes indifférentes à la lutte contre le franglais, est que l’anglais lui-même serait parsemé de mots français… tout cela parce qu’ils ont vu à San Francisco ou à New York des « croissanteries » [À ce jeu-là, on peut aussi dire que l’allemand est envahi de termes français parce qu’à Berlin, aussi, il y a de nombreuses enseignes en français, et sans compter les « Café » et « Restaurant », avec l’accent s’il vous plaît…]. Ce n’est pas sérieux !

Réglons tout de suite le cas des quelques emprunts d’une langue à l’autre : il y a des causes historiques.

 

Après la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, des milliers de protestants ont émigré en Prusse et singulièrement à Berlin, qui en a gardé de nombreux restes francophones. Il y a une französische Strasse à Berlin…

 

La Cour d’Angleterre, après Guillaume le Conquérant, parlait le français d’alors et la perfide Albion, pendant trois cents ans, a bien failli basculer dans la francophonie. Raté… Il en reste quelques vestiges : « an apron » vient directement de « un napperon », et aussi bien sûr un vocabulaire non anglicisé mais dont le sens est parfois transformé.

Louis Arquié, dans son excellent livre « Hi ! how are you doing ? » (Bayard, 1992) écrit : « En simplifiant, l’anglais peut être vu comme l’assemblage de deux langues différentes : une langue écrite qui emprunte au français un nombre incroyable de mots, une langue parlée qui n’a rien à voir avec la précédente… L’autre anglais, l’anglais écrit, est une langue bâtarde, une sorte de dialecte du français ».

Je vous parlerai dans un autre billet de mon ami Louis Arquié, exilé non fiscal de longue date, un de ces Californiens français maintenant à la mode, un fortiche des échecs et du triathlon, un gars qui a préparé les concours des Grandes Écoles sur mes notes de Saint Louis et qui m’a rendu la pareille dans l’école des Nobel, qui écrivait mal et se fichait de l’orthographe mais qui, pendant des mois s’est levé à quatre heures du matin pour pondre trois cents pages sur l’américain parlé, avec une première partie bourrée d’érudition et intitulée « Les bases de la communication », bouquin dont il a parlé, lors d’un apéritif, à Jean-Louis Gassée, ancien président d’Apple Products, lequel Jean-Louis l’a gratifié d’une préface de rêve (pour un écrivain en herbe).

 

Pour aller plus loin sur le cas de l’anglais, je vais utiliser l’article « Word watching : le mot juste », qui m’a été donné le 16 mars 1995 par un collègue des Études et Recherches, BD, mais dont je ne connais ni l’auteur ni l’organe de publication, probablement un Anglais et un journal anglais. Il a été motivé par les efforts de Jacques Toubon pour enrayer la progression du franglais et, après un avant-propos mi-ironique mi affectueux (ah ! ces Frenchies) rapportant qu’un Parlementaire anglais avait proposé une loi bannissant les mots français de l’anglais, il a répertorié un large échantillon ceux-ci, concluant que l’anglais périrait d’une telle ablation.

Je vais vous traduire les meilleurs passages de cet article mais, dans un autre billet, car je vois que l’heure avance… les rotatives tournent déjà et les habitués du billet de 8 heures doivent ronger leur frein.

29/10/2014

Écrivains contemporains et langue française (IVbis)

Je ne parlerai pas de notre orthographe, malheureusement fixée, en toute ignorance et absurdité, par les pédants du XVIIè siècle, et qui n’a pas laissé depuis lors de désespérer l’étranger et de vicier la prononciation d’une quantité de nos mots. Sa bizarrerie en a fait un moyen d’épreuve sociale : celui qui écrit comme il prononce est, en France, considéré inférieur à celui qui écrit comme on ne prononce pas.

Notre syntaxe est des plus rigides. Elle s’égale, quant à la rigueur des conventions, à notre prosodie classique. Il est remarquable qu’un peuple dont l’esprit passe pour excessivement libre et logique se soit astreint dans son parler à des contraintes dont beaucoup sont inexplicables. Peut-être les Français ont-ils senti qu’il existe une liberté d’ordre supérieur qui se révèle et s’acquiert par le détour des gênes, même tout inutile.

 

Quoiqu’il en soit notre langue, rebelle aux formations des mots composés, aux facilités d’accord, au placement arbitraire des mots dans la phrase, et se contentant volontiers d’un vocabulaire assez restreint, est justement fameuse pour la clarté de sa structure qui, jointe à un goût fréquent chez nous des définitions et des précisions abstraites, fit concevoir et réaliser tant des chefs d’œuvre d’organisation verbale – des pages d’une perfection d’architecture telle qu’elles semblent exister et s’imposer indépendamment de leur sens, des images ou des idées qu’elles portent, et même de leurs vertus sonores ; comparables qu’elles sont, sous ce jour, à ces pièces de savante musique dont le thème est peu de chose, et le plaisir immédiat qu’elles donnent à l’oreille presque négligeable, au prix de la sensation intellectuelle qu’on en reçoit et de la jouissance supérieure de comprendre cette même sensation.

Je viens de considérer dans nos lettres en ce qu’elles ont de proprement français, une œuvre dérivée de la grande œuvre collective que constitue notre langue. Une littérature d’ailleurs (et je n’en sépare pas ce qu’on nomme philosophie) n’est et ne peut être qu’une exploitation de quelques-unes des propriétés d’un langage. Un Français qui écrit trouve dans le nôtre des ressources et des lacunes, des facilités, et surtout des rigueurs qui se feront sentir plus ou moins nettement dans son ouvrage. Notre langue s’oppose très souvent à une expression immédiate de la pensée, et nous oblige à une élaboration plus pénible, sans doute, et plus intime, de nos intentions ou impulsions qu’il n’est nécessaire en d’autres nations. Mais les constructions qui en résultent, et qui n’ont pu être menées à bien que par un concours de conditions antagonistes, et qui exigent autant de science, de lucidité et de volonté soutenue que d’invention, donnent assez souvent l’impression d’un accord admirable entre la vie et la durée, la lumière et la matière, la « forme » et le « fond ». »