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28/11/2016

Noms de pays : le nom

L’informatique et l’infographie ont renouvelé l’art de dessiner des cartes et on peut aujourd’hui afficher tout ce qu’on veut sur une carte. Tout ce qu’on veut, oui, et c’est là que le bât peut blesser.

C’est très précieux pour représenter un réseau électrique sur un « fond de plan », à différentes échelles. C’est instructif quand on trace, à l’endroit des métropoles, des disques de taille proportionnelle à leur population. C’est spectaculaire quand utilise les cartes pour rendre palpables des phénomènes liés à la géographie, par exemple le temps qu’il faut pour se rendre à Paris depuis telle ou telle ville (certaines sont reliées par le TGV, d’autres par des Corail ou des bus Macron…).

Et il est vrai que l’on peut choisir d’afficher sur la carte proposée par un navigateur, les éléments qui nous intéressent (les fameux « points d’intérêt »). On pourrait penser que, par défaut, les navigateurs vont nous présenter les stations de métro, avec les lignes afférentes, et peut-être les hôtels de ville, les églises, les châteaux, que sais-je encore ? 

Eh bien pas du tout… voici ce qu’affiche « par défaut », c’est-à-dire sans que je n’aie rien demandé, mon application « Plans » quand je lui demande le centre d’Amiens, ville chère au Macron des bus :

Amiens centre en franglais.jpg

 

Et qu’y voyons-nous ? à côté des officiels TGI et lycée Papillon, de la passionnante Maison de Jules Verne, une profusion – une quasi exclusivité – d’enseignes aux intitulés franglais : Li’Look, Carrefour City, Le New’s, French Coffee Shop (sic !), Pizza Hut, Craft Artisan Burger, New Look, Game Cash, Undiz… Mais à quoi songent-ils donc ? L’appétit commercial exige-t-il donc tant de soumission au modèle (?) américain ? Soumission en effet, comme dit l’autre. 

Il est vrai que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, il semble interdit d’interdire. Pensez-donc, un règlement de plus, alors que les Français s’en disent déjà étouffés ! D’autres ont moins de scrupules : j’ai lu dans le Marianne du 14 mars 2014 que l’Union nationaliste « Tous pour la Lettonie » avait proposé d’augmenter le nombre de contrôleurs du Centre de la langue nationale, de façon à intensifier la chasse au non-respect de la loi sur l’usage de la langue officielle dans les lieux publics et, en particulier s’assurer que la minorité russophone apprend bien l’idiome local… Un peu comme si, chez nous, la loi Toubon concernait aussi les enseignes commerciales et qu’en plus on veuille la faire respecter. On peut toujours rêver ! 

Lydie Salvayre, écrivain (je déteste le néologisme « écrivaine »), fille de réfugié espagnol, parle du « fragnol » de sa mère, mélange de français et d’espagnol, comme d’un moyen de résistance à la langue majoritaire qui nous est imposée. Quelle langue vous est-elle imposée, Madame, a-t-on envie de lui rétorquer ? Si l’on vient en France, n’est-il pas naturel qu’on adopte le français ? Ionesco, Kundera et bien d’autres l’ont fait ! Et par ailleurs, à quoi donc résistent les acharnés du franglais ? À l’envahissement de l’anglais ? 

Marcela Iacub, écrivain d'origine argentine, de parents ukrainiens et biélorusses, a déclaré à propos de son choix de la France : « Je voulais écrire dans une langue que mes parents ne comprendraient pas. C’était un défi, l’amour du français et celui d’une autre manière de concevoir la politique, moi qui venaient d’un pays profondément inégalitaire, clivé, où les espaces entre les riches et les pauvres étaient marqués par des barbelés » (Marianne du 11 avril 2014).

Pour en revenir aux noms – à la toponymie – je vous propose de revenir en Amiens (ou à Amiens, selon que l’on suit Dutourd ou non) ; à cette époque de l’année, c’est le marché de Noël qui bat son plein tout au long de la principale artère de la ville, depuis longtemps transformée en une longue rue piétonne, de la Maison de la Culture jusqu’à la gare. Ce projet d’urbanisme fait partie de ceux dont on disait qu’il était impossible et qui a été mené à bien. Au tiers du parcours, en remontant, un peu après l’Hôtel de Ville, a été aménagée une sorte de jardin d’hiver pour les enfants avec un parcours entre des sapins poudrés et des animaux du Grand Nord itou. Quelques saynètes avec des figurines bien connues mais à taille humaine laissent peu de doute sur le nom de la multinationale du jouet qui finance l’attraction. C’est sympathique, traditionnel, enchanteur… tout pour plaire. Mais quel irresponsable a-t-il eu l’idée d’ajouter de ci de là des petites pancartes portant la mention « Let it snow » ? Si les enfants doivent profiter de leurs ballades pour apprendre des mots et l’orthographe, la priorité n’est-elle pas qu’ils lisent des mots français, avec leur graphie correcte ? Quant à savoir combien d’Amiénois et de badauds adultes comprennent le sens de cette supplique répétée au long de leur flânerie, c’est une autre histoire. 

J’ajoute que, quand ils sortent de cette évocation de Noël, les pauvres enfants tombent sur un « Manège magic » qui ne risque pas de leur inculquer l’orthographe des terminaisons en « hic »…

« Fiers de notre langue », disaient les deux finalistes de la Primaire de la Droite ; « fiers d’être français », a répété le vainqueur… Il y a du travail !

V.2.1 du 30 novembre 2016

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