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14/01/2021

"Un sommet de ridicule" (Michel Volle) II

Je reproduis également, ci-dessous, les commentaires qui ont été apportés à ce billet (que leurs auteurs m’excusent, je ne mentionne pas leur nom). 

Oui, j'ai vu encore pire : un séminaire à Sciences Po, avec deux orateurs américains parfaitement francophones, qui avaient fait l'effort de préparer leur intervention en français, et qui se sont vus priés de parler en anglais. À Sciences Po il me semble que tous les enseignements sont en anglais désormais. Comme tu le dis, on ne peut exprimer des choses subtiles que dans sa langue maternelle, sauf les vrais polyglottes, assez rares. 

Je suis d'accord à 100 %. C'est une question de souveraineté aussi vis-à-vis de l'hégémonie de l'anglais ! 
La langue maternelle est de rigueur dans ce genre de séminaire.
Le snobisme de l'ENA, Sciences Po et autres ne m'étonne pas. L'arrogance de leurs dirigeants pour se plier à l'anglais, soi-disant plus vendeur sur la scène internationale.

Perseverare diabolicum ! Je parle bien sûr de l'usage du globish.
"Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics.
Elle est le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie." Article 1er de la loi n° 94-665 dite "Toubon"
 

Dans une conversation à Montréal, je m'étonnais du mot "traficologie" utilisé par mon interlocutrice canadienne en lui disant : "On ne dit pas ce mot en français". Elle m'a gentiment repris en me disant "Vous voulez dire en France. Vous comprenez ?".

En n'utilisant plus notre langue que pour décrire une partie de nos repas parce qu'on ne peut pas - soi-disant - parler de sujets scientifiques en français, nous la laissons s'appauvrir et mourir. Tant pis, bientôt nous autres Français de France parlerons québecois... 

Au Québec, on parle de l'infonuagique pour le cloud computing et, surtout (parce que c'est délicieux) d'egoportrait pour les selfies ! 

Vous avez raison, nous faisons un grand effort au Québec pour conserver le bon usage de notre belle langue française, même si le gouvernement ne fait pas partie de l'équation. 

 

11/01/2021

"Un sommet de ridicule" (Michel Volle) I

Voici un texte vu dans LinkedIn à l’époque et que je viens de retrouver sur le site de l’auteur, Michel Volle. Le blogue sur blogspot de ce spécialiste des télécommunications et des systèmes d’information est intéressant ; je vous livre son billet du 5 septembre 2020 in extenso.

 « Je viens de recevoir l'invitation de France Stratégie à une webconférence consacrée à « l'état de l'art et les perspectives du très haut débit en Europe ». Le sujet est important, l'initiative excellente, bravo.
L'invitation est rédigée en français et en anglais, c'est bien.
Mais on y trouve la phrase suivante : « Les échanges se tiendront en anglais sans traduction. ».

Ainsi
 France Stratégie organise en France une webconférence mais on y parlera exclusivement en anglais et, pour bien montrer que l'on n'éprouve aucune complaisance envers les ignares et les incultes qui ne maîtrisent pas parfaitement cette langue, on se dispensera de traduire.

On se trouvera ainsi de nouveau dans la situation qui se renouvelle trop souvent : des orateurs qui s'expriment en mauvais anglais ; des auditeurs qui, pour la plupart, font semblant de comprendre ce qui s'est dit ; des idées pauvres, car on n'est pas subtil lorsque l'on s'exprime dans une autre langue que la sienne.

Je sais que l'appauvrissement des idées est parfois jugé utile car il nous évite des excès de subtilité. Mais faut-il se contenter de la récitation de lieux communs et de slogans à quoi tant de conférences se réduisent, la langue anglaise leur conférant un semblant d'autorité ? N'avons-nous pas besoin, s'agissant du très haut débit, d'un peu de subtilité, voire de profondeur ?

Si la webconférence évite la superficialité, elle devra en effet considérer nombre de questions techniques, économiques et stratégiques : dimensionnement de l'infrastructure des télécoms ; distribution en fibre optique ; 5G, avec ou non les équipements de Huawei ; conséquences pour l'industrie de l'audiovisuel et le déploiement de l'Internet des objets, etc. 

Je refuse de parler anglais en France devant une majorité de Français. Je veux bien que l'on traduise en anglais, par politesse envers les étrangers qui ne connaissent pas notre langue et comprennent l'anglais. Je veux bien aussi que l'on écoute des Britanniques, des Américains, parlant dans leur langue et traduits dans la nôtre.

Avez-vous cependant vu ce qui se passe, lors de ces conférences en anglais, lorsqu'un Britannique ou un Américain prend la parole ? Sauf exception ils parlent à toute vitesse et avec un accent local (Texas, Écosse, etc.) tellement fort que pratiquement personne ne comprend rien.

Lorsqu'ils font des jokes (les Américains aiment bien ça), le premier qui a compris ou cru comprendre s'empresse de rire puis d'autres l'imitent – mais après un décalage révélateur – pour faire croire qu'ils ont eux aussi compris. Pénible spectacle...

J'ai déjà consacré quelques pages à l'abus de l'anglais :

Le ridicule des traîtres, décembre 2006
Marre de l'anglais, décembre 2008
Le langage des traîtres, février 2011
L'X refuse de nous parler en français, mars 2013
Dans quel pays vivons-nous ?, mai 2020

Je radote, direz-vous ? C'est vrai. Je persévérerai, je me répéterai aussi longtemps que les enfoirés mondains (je suis poli) continueront à se plier à cette mode. Lui céder, c'est se soumettre à un colonialisme sournois et trahir notre République »
.
 

28/12/2020

La littérature comme appareil d'optique

Ce lundi 28 décembre 2020, on fête les innocents… ça tombe bien car je veux vous parler du livre de Sandra Lucbert, « Personne ne sort les fusils » (Seuil), qui lui a été inspiré par le procès des anciens dirigeants de France Télécom, qui étaient accusés d’avoir organisé la maltraitance de leurs salariés entre 2006 et 2010 et qui n’ont écopé que de peines légères. Notons en passant qu’à l’époque du procès, en 2019, France Télécom n’existait plus que dans le souvenir des plus âgés… Orange était passé par là ; ça sert aussi à cela les changements de nom (voir le cas de Vivendi, par exemple).

Je ne connais du livre que ce que l’auteur en a dit dans un entretien avec Ève Charrin du journal Marianne le 22 septembre 2020. Elle ne devait initialement écrire qu’un compte rendu pour le syndicat SUD-Solidaires mais « ce qu’elle a vu était insoutenable : il fallait un livre ».

Ce qui m’intéresse dans cette démarche, c’est que Sandra Lucbert utilise la littérature comme méthode d’investigation, pour tenter de répondre aux questions suivantes : « Comment ça tient un corps collectif ? Pourquoi ça tient comme ça ? ».

Et aussi : « Comment peut-on dire des choses pareilles ? », à savoir les mots de M. Didier Lombard, ex-PdG : « Ces suicides, c’est terrible, ils ont gâché la fête » et « Il fallait faire 22000 départs », et encore « Il fallait libérer 7 milliards de cash-flow ».

Pour elle, « le procès France Télécom est l’histoire d’un enlisement grammatical ». Elle considère qu’on a jugé les prévenus avec la même « grammaire » que celle de l’ouverture du capital en 1996, c’est-à-dire avec la langue du capitalisme.

En référence au concept de LTI (Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIème Reich) de Victor Klemperer, elle a forgé le concept de LCN (Lingua Capitalismi Neoliberalis). Pas besoin d’être latiniste distingué pour comprendre. Elle déplore donc que ce soit cette langue « hégémonique » qui ait été celle du procès, du côté des victimes comme du côté des anciens dirigeants. Elle en voit les débuts dans la loi de M. Pierre Bérégovoy, « Réforme des structures de financement de l’économie » en 1985. « La technicité escamote les enjeux ». « Elle légitime les exigences contemporaines du capital (…), à savoir la réversibilité de tout à tout instant : engagements, investissements, contrats, notamment salariaux. Ainsi le mot agilité a été mis dans nos bouches (…) La liquidité financière, c’est on prend, on jette ».

Un des conséquences au procès est que « les avocats des parties civiles ont dû utiliser les catégories psychiatriques du manuel diagnostique et statistique de troubles mentaux, mis au point par l’armée américaine et l’industrie pharmaceutique, qui réduit toute souffrance à une déficience de l’individu et attribue par conséquent aux salariés la responsabilité de la destruction qu’ils subissent. Ni les effets du management ni bien sûr ceux des structures de la liquidité financière n’apparaissent quand on parle selon le DSM ».

Et la littérature dans tout cela ? Eh bien, Sandra Lucbert l’utilise pour rendre visibles les mécanismes sociaux. En référence à « Bartleby » de Melville, à « La colonie pénitentiaire » de Kafka et à « Pantagruel » de Rabelais, elle a cherché à « faire apparaître un monde en variant les états de la langue, en combinant différents registres, locuteurs, contextes, échelles ». « Alors seulement on voit, quand les dirigeants parlent, d’où ils le font ». La littérature est utilisée comme « un appareil d’optique, qui fasse voir les structures financières et leurs effets, dans le travail de la prose ».

Impressionnant, non ?