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31/08/2023

"Un roman français" (Frédéric Beigbeder) : critique I

Frédéric BEIGBEDER a publié « Un roman français » chez Grasset en 2009. Pourquoi ce titre, alors que nous avons affaire là à une autobiographie ? Il y a eu, c’est vrai, une mode de ces titres avec le qualificatif « français » et l’article « un » en tête… Sans doute F. Beigbeder veut-il signifier qu’il considère sa vie comme un roman (digne d’être raconté), l’article « un » illustrant sa modestie bien connue (« vous savez, ce n’est qu’une vie parmi des millions d’autres… ! ») ; quant à l’adjectif « français », mystère ! Peut-être songeait-il à l’exportation ?

En fait le titre du livre n’est que la reprise de celui du chapitre 9, dans lequel il raconte ce qu’il connaît de la rencontre et de la vie de ses grands-parents, et où un cosmopolitisme de bon aloi s’affiche d’entrée.

On remonte à une arrière-grand-mère Nellie, cantatrice née en Géorgie américaine, veuve d’un colonel de l’armée britannique, ayant servi en Afrique du Sud dans la guerre des Zoulous, puis dans la guerre des Boers, et mort en 1921 de la grippe dite espagnole. Leur fille Grace va épouser Charles Beigbeder, l’un des grands-pères de notre homme, en 1931.

Charles, d’une famille béarnaise, avait pour mère Jeanne Devaux, qui a fait le portrait de Marie Toulet, l’épouse du poète Paul-Jean Toulet (1867-1920), autre palois, et pour père un médecin, propriétaire d’un établissement de cure, le « Sanatorium des Pyrénées ». Charles développera l’entreprise jusqu’à avoir une dizaine de sanatoriums, rebaptisés « Les Établissements de cure du Béarn ».

On est entre gens célèbres, puisque, à la Villa Navarre où ils habitent, viennent séjourner Paul-Jean, déjà nommé, Francis Jammes et Paul Valéry… Excusez du peu !

La famille entre ensuite en possession d’une villa sur la côte basque, à Guéthary.

Charles et Grace eurent quatre enfants, le second garçon, né en 1938, est le père de Frédéric.

Du côté de sa mère à lui, pas de Nellie américaine mais une Nicky, sa grand-mère, « ravissante roturière » et « brune aux yeux bleus qui dansait debout sur les pianos » (mais comment donc sait-il cela ?). Le grand-père s’appelle Pierre de Chasteigner de la Rocheposay, et Frédéric Beigbeder fait du Paris-Match en nous tartinant du « Comte » par ci et du « de la Rocheposay » par là… Il se flatte de descendre de Hugues Capet : « la lignée des Chasteigner remontait aux croisades » (mais comment sait-il cela ?) ; il est un parent de Louis XVI, alors… Ce n’est pas tout : Ronsard aurait dédié une ode à l’un de ses aïeuls ! (NDLR : deux formes du mot aïeul au pluriel. « aïeuls » pour désigner des grands-pères et « aïeux » pour désigner des ancêtres masculins. Merveilleux français). Bref les deux grands-parents du côté maternel se marient le 31 août 1939, la veille de l’envahissement de la Pologne par l’Allemagne nazie. Dans cette affaire, l’arrière-grand-mère, catholique et irascible, avait déshérité son fils, comme d’ailleurs le frère de celui-ci quelque temps auparavant. L’été, Pierre part avec sa famille à Guéthary où le père de Nicky possède une maison. Il y achète « une bicoque ».

Et c’est là, évidemment que le fils Beigbeder, roturier fortuné, va rencontrer la fille Chasteigner, aristocrate sans le sou.

J’avoue que l’on sort éreinté de ce chapitre étonnant, à cause de l’impression qu’il donne de satisfaction naïve et de fausse désinvolture. On a voulu épater le bourgeois, non ?

27/08/2023

Revue de presse linguistique

À l’heure des rentrées politiques (les fameuses Universités d’été…) et en attendant les rentrées scolaires, puis universitaires, je reprends mon clavier et mon traitement de texte après un silence de plusieurs semaines (les fameuses vacances…) en me disant d’abord que mon rythme de publication a sérieusement baissé depuis deux ans, ce qui n’est pas le cas de mon rythme de lecture. À cela deux raisons : la première est que l’analyse de romans ou d’essais et sa mise en forme par écrit « dans la foulée » de leur lecture induisent une astreinte difficile à maintenir dans la durée. Comme aurait dit Stendhal, le lecteur sera toujours plus motivé de lire que le critique d’écrire ses billets ! Et malheureusement, le lecteur chez moi oublie vite ce qu’il a lu.

La seconde est que l’on trouve sur internet, dans les réseaux dits sociaux, d’excellentes analyses, érudites et fouillées, écrites par « des gens du métier » (écrivains, enseignants en littérature, etc.). Je pense à Frédéric Borne-Sogno, Floriane Z., Jean-Philippe de Garate, Marc Lefrançois et beaucoup d’autres, qui sont intéressants et impressionnants par la qualité de leur production et l’étendue de leurs connaissances. Et cela ne se limite pas à des avis sur L.-F. Céline ou Claude Simon mais touche également à l’orthographe, à la syntaxe et même à la culture générale… De là à se dire que la période des blogues est passée et que, métaphoriquement, il faut tourner la page, il n’y a qu’un pas ! Que je ne franchis pas pour le moment mais il faut dire que le réseau permet une interaction immédiate avec de multiples lecteurs et que la rédaction des billets y demande quand même moins de temps que pour un blogue.

Cela étant dit, je reprends ma revue de presse épisodique avec deux articles du journal Marianne du 24 août 2023.

Le premier est signé par Garance Meillon, scénariste, réalisatrice et écrivain, et compare les librairies aux églises, dans la mesure où elle a constaté qu’on y baissait pareillement la voix. Pour elle il s’agit de deux lieux chargés de fiction, dans lesquels « il faut se taire pour laisser les mots faire leur travail », « s’extraire de la réalité », « pour se retrouver hors de soi ». Elle aime donc les librairies, comme les musées, en ce qu’ils lui permettent de « rejoindre le grand silence ». Qu’en termes poétiques ces choses-là sont dites… J’avoue qu’en ce qui me concerne, j’entre dans une librairie pour découvrir des livres, récents mais surtout classiques, dénombrer ceux que j’aimerais avoir dans ma bibliothèque et céder parfois à la tentation d’en acheter un ou deux. Ce n’est pas le silence qui m’intéresse, c’est de voir toute une culture à disposition (des centaines de livres), c’est d’imaginer le plaisir que j’aurais à découvrir de nouvelles histoires, de nouveaux drames, de nouveaux paysages, de nouveaux personnages. Mme Meillon utilise, pour conclure, cette expression qui a le don de m’irriter : « une façon d’être au monde », qu’il conviendrait « de cultiver dans une société qui privilégie le sans-contact »… Mais qu’est-ce donc qu’un livre, sinon du sans-contact ?

C’est le linguiste Alain Bentolila qui signe le second, sous le titre « Le destin d’une langue de se décrète pas ». Je le crois volontiers. Mais je pensais que M. Bentolila allait nous parler des langues régionales en Europe ou bien des déformations que certaines militantes féministes ont la prétention d’imposer à notre langue, selon leur bon plaisir… Non, il nous narre une initiative, pour moi abracadabrante, des années 70, qui a consisté à vouloir imposer un créole officiel et administratif à la population d’Haïti, « administrée en français » mais dont c’était la langue parlée quotidienne. En somme, l’inverse de ce qu’avaient fait les Hussards noirs de la République en métropole, sachant que les idiomes créoles, pour pittoresques qu’ils sont, sont tout de même extrapolés du français, ce qui n’était pas le cas du picard ni de l’occitan. Et notre auteur d’expliquer, comme une découverte de sa part, qu’une partie de cette population avait bien conscience que ce créole ne serait pas une langue efficace pour protester contre leur condition, même si le français était – et justement parce ce qu’il était – la langue du colonisateur ! On ne peut qu’être d’accord avec eux. La maîtrise du français, langue internationale, ne constitue-t-elle pas un atout précieux de nos jours ? M. Bentolila conclut donc : « Si l’on n’est pas capable de transformer en profondeur les structures sociales, économiques et culturelles d’une région ou d’un pays, il faut se garder d’introduire à l’école une langue minorée comme langue d’enseignement. Cela relève de la supercherie ; car l’école est le lieu où l’on forme intellectuellement des enfants à affronter le vrai monde ».

06/07/2023

"Le droit d'emmerder Dieu" (Richard MALKA) : critique

Ouh là là… cela fait très longtemps que je n’ai rien écrit dans mon blogue ! Et pourtant, j’en ai lu des livres. J’ai même plusieurs ébauches de critiques… restées à l’état d’ébauches ! J’ai fait tellement de choses entretemps… Bon, il faut que je me remette au travail.

Je vais donc vous parler du petit livre de Richard Malka, « Le droit d’emmerder Dieu », paru chez Grasset en 2021. Ce sera plus un résumé qu’une critique, encore que…

L’introduction est remarquable, concise, percutante. Richard Malka explique « d’où il va parler » et sur quoi :

« Le sens de ce procès, c’est aussi de démontrer que le droit prime sur la force (…) Les sens de ces crimes, c’est l’annihilation de l’Autre, de la différence (…) Je crois qu’il faut accepter qu’il n’y ait pas un mais deux procès en un : celui des accusés et celui des idées que l’on a voulu assassiner et enterrer. Ce sont les fameuses valeurs républicaines ébranlées (…) Mon rôle ne sera pas d’accuser les personnes qui sont jugées mais de traiter, quasi exclusivement, du second volet de ce procès (…) Je veux plaider pour aujourd’hui, pas pour demain » (pages 10 à 14).

Son maître-mot, c’est la liberté.

« C’est à nous, et à nous seuls, qu’il revient de s’engager, de réfléchir, d’analyser et parfois de prendre des risques, pour rester libres d’être ce que nous voulons. C’est à nous et à personne d’autre qu’il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire pour couvrir le son des couteaux sur nos gorges.

À nous de rire, de dessiner, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustrations, en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon et d’intellectuels, héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXème siècle, de Staline à Pol Pot » (page 14).

Le deuxième chapitre est un rappel historique, pour tenter de comprendre « comment on en est arrivé là ». À partir de l’assassinat de Théo Van Gogh, le 2 novembre 2004, à Amsterdam, jusqu’au 7 janvier 2015, à Paris, en passant par la manipulation d’imams danois sur les caricatures publiées au Danemark et par la récupération politique qui s’ensuivit… « Le monde a cédé devant l’obscurantisme, la vérité a été recouverte par le mensonge » (page 33).

Le troisième chapitre est une brève histoire du blasphème, en fait de l’abolition du délit de blasphème, ce que la France est le premier pays à avoir fait. Richard Malka remonte à 1740 et à Maupertuis (dont on apprend que, génial physicien, il aurait inventé la physique quantique avec un siècle et demi d’avance… ?) et sa thèse de l’aplatissement des pôles qui a fort perturbé l’Église de son temps. Son exemple aurait inspiré les Encyclopédistes (D’Alembert, Diderot, Rousseau et les autres), qui « ont regardé le monde débarrassé de Dieu, sous l’angle de la raison (…) On va revendiquer l’égalité entre les hommes et les femmes, c’était inimaginable jusqu’alors. En quelques années des voix s’élèvent pour exiger l’égalité pour les Juifs et l’abolition de l’esclavage » (page 44).

« Les révolutionnaires sont les enfants des encyclopédistes (…) Ils vont sacraliser la liberté d’expression et, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, déclarer qu’il s’agit d’une liberté fondamentale (…) Et en 1791, les révolutionnaires vont supprimer le délit de blasphème du code pénal (…) En 1881, c’est la grande loi sur la liberté de la presse, un des piliers de notre République » (page 45).

Et voici l’argument-clé, celui qui exige, selon Richard Malka, de ne pas céder sur le droit à la caricature et au blasphème : « Nous n’avons pas le choix. Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire, à l’Encyclopédie, à la Révolution et aux grandes lois de la Troisième République, à l’esprit critique, à la raison, à un monde régi par les lois des hommes plutôt que par celles de Dieu… » (page 48). Et aussi « La liberté de critique des idées et des croyances, c’est le verrou qui garde en cage le monstre du totalitarisme » (page 55).

L’avocat cite deux déclarations : celle du mufti de la mosquée de Marseille « Un musulman qui croit que Dieu n’est pas assez grand pour se défendre tout seul est un musulman qui doute de la toute-puissance divine et n’est pas un bon croyant » et celle de la Cour européenne des droits de l’homme « Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion (…) ne peuvent raisonnablement s’attendre à être exemptés de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le déni… Et même la propagation par d’autres de doctrines hostiles à leur foi ». Ces déclarations sont en effet intéressantes mais quid de leur non-respect ? « ne peuvent raisonnablement s’attendre à être exemptés », « doivent tolérer » sont des mots… qui, comme les promesses, n’engagent que ceux qui les écoutent et s’y conforment (selon l’aphorisme bien connu).

Le chapitre suivant est l’histoire de Charlie. C’est légèrement hagiographique (« le génie du dessin de presse », « ce chef d’œuvre de la BD », « l’immense Georges Pichard »…), on peut le comprendre, c’étaient ses amis et ils ont été assassinés…

Dans les deux derniers chapitres, Richard Malka parle des accusés (il a décidé de ne pas accuser mais il note leur intelligence et leur capacité à s’exprimer), puis il énumère les noms de ceux qu’il considère comme ayant soufflé sur la mèche allumée au Danemark et ayant donc empêché qu’elle s’éteigne. Pour moi, ce n’est pas très convaincant car les propos des personnalités politiques visées étaient modérés et se voulaient pacificateurs (je ne vois pas pourquoi un responsable politique se lancerait sur le terrain de la caricature, au risque d’envenimer encore les choses ; nous sommes début 2006, sous le gouvernement de Dominique de Villepin). Franchement, les arguments que Richard Malka oppose aux différentes prises de position de cette époque me semblent faibles et même contestables… Par exemple, il conteste le souci « d’éviter de blesser les sensibilités » (déclaration de Marielle de Sarnez) et lui oppose la loi de 1905, à l’occasion de laquelle on a envoyé l’armée aux prêtres récalcitrants… Mais cela n’a rien à voir ! Un autre argument est que  distinguer l’islam en tant que religion que l’on s’interdirait de critiquer ou de caricaturer, serait méprisant pour les musulmans, les mettant ainsi à part dans la société française… Plutôt spécieux selon moi !

Autre argument, illusoire et grandiloquent celui-là, qui consiste à s’attribuer un devoir d’exemple et un rôle de phare universel : « Renoncer à la liberté d’expression, cela reviendrait aussi à abandonner des millions de musulmans, des journalistes, des intellectuels, des écrivains (…) qui se battent pour vivre libres. Si le pays des Lumières renonçait à cette liberté, ils n’auraient plus aucune espoir » (page 96). Quand on voit le poids de la France dans le monde, quand on voit l’image qu’elle a, on doute ! Ce rêve éveillé n’est-il pas plutôt la marque de notre narcissisme, voire de notre arrogance, et de notre naïveté ?

Le paragraphe qui rappelle la proposition de loi de M. Éric Raoult, en 2006, visant à traiter d’injure – de ce fait condamnable – « toute atteinte volontaire aux fondements des religions », est plus pertinent ; M. Malka a beau jeu d’ironiser sur cette notion de fondements des religions… et de demander si « Jésus qui marche sur l’eau » ou « le droit de battre sa femme quand elle n’est pas gentille » sont des « fondements » des religions concernées et qu’il serait donc interdit de brocarder.

La fin du chapitre, qui dénonce les prises de position des uns et des autres dans la sphère publique contre Charlie Hebdo et qui les accuse d’avoir accroché une cible dans le dos de ses journalistes, est, a posteriori, terrifiante. Oui, tous ces gens ont dit ces horreurs, les journalistes ont été assassinés et, à ma connaissance, ces gens n’ont pas été sanctionnés et n’ont évidemment jamais regretté leurs paroles… Il est important que cela ait été écrit et dit.

Et ce n’est que dans les pages 96 et 97 – les dernières –, juste avant de prononcer un vibrant hommage de Charb en guise de péroraison, que Richard Malka indique qu’émergerait à l’issue de ce procès (nous sommes en décembre 2020…) « un nouveau discours des responsables de l’islam de France », en l’occurrence MM. Hafiz et Moussaoui… Que Dieu l’entende !

En refermant ce livre, je me suis posé deux questions.

D’abord est-on devant un texte « historique », un souffle, un lyrisme, une hauteur de vue, une construction et un style littéraires admirables, qui nous inciteraient à faire un parallèle avec le célèbre « Traité sur la tolérance » de Voltaire, avec le « Indignez-vous » de Stéphane Hessel ? Non, mis à part le format du livre – sa brièveté –.

Faut-il le confronter aux discours de Robert Badinter contre la peine de mort ou de Simone Veil pour le droit à l’avortement ? Non, mis à part le fait que Richard Malka est lui aussi avocat et a défendu Charlie Hebdo lors du procès retentissant qui s’est tenu cinq ans après l’attentat (le livre est le texte initial écrit de sa plaidoirie, sachant qu’il l’a raccourci en séance le quatre décembre 2020, vu les circonstances).

Ensuite, est-on convaincu après l’avoir lu ? A-t-on changé d’avis quand, comme moi, on ne goûte guère les caricatures, et encore moins quand elles forcent le trait dans le genre salace ou scatologique ? Non plus en ce qui me concerne…

Naturellement, rien ne justifie un assassinat, et, si la caricature m’indiffère et ne me fait pas rire, je ne demande aucunement qu’elle soit interdite par la loi. Mais tout ce plaidoyer pour en faire la pierre de touche de notre attachement à la liberté, n’est-ce pas excessif ?

Et tant qu’à agiter des chiffons rouges, n’y en a-t-il pas de plus importants et de plus urgents ?