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04/05/2020

Les mots du corona VIII

« Il revient !

Qui ?

Devine : Le Caire !

Ah bon, ça se passe en Égypte ?

Mais non, je te parle du care ! Ça y est, ils en reparlent ! ».

Ce petit dialogue imaginaire était là pour partager avec vous cette nouvelle extraordinaire : les élites recommencent à nous bassiner avec cette notion aussi fourre-tout qu’américaine, qui décrirait une société fondée sur l’attention à autrui, la solidarité, les métiers de l’accompagnement, du soin, de l’aide à domicile, l’empathie.

Il faut reconnaître que c’est Mme Martine Aubry, en mal d’inspiration après ses déboires partisans et électoraux, qui avait importé ce « prêt à penser » d’Outre-Atlantique aux connotations bigotes (un retour à la démocratie chrétienne pour remplacer la social-démocratie en perte de vitesse?), croyant sans doute relancer sa carrière politique dans les années 2000. Mauvaise pioche, ce fut un flop.

Logiquement, invitée dans la Matinale de France-Inter le 30 avril 2020, à l’occasion du déconfinement à organiser à Lille, elle nous a re-servi cette vieille lune.

Mais le plus incroyable, c’est que même Alain Finkielkraut, dans un échange télévisuel avec le Ministre Olivier Véran, sur LCI, a cru devoir lui aussi évoquer cette évolution possible de notre société. Et notre Académicien d’utiliser le vocable anglais tel quel dans sa question (sans traduction ni précaution), au point qu’elle fut dans un premier temps incompréhensible !

Dans le même débat, Olivier Véran a osé le néologisme contact tracing (contact prononcé à la française, tracing à l’anglaise…).

Quant à sa collègue du Gouvernement, la Secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, elle a déclaré le même jour, sur CNews : « Notre enjeu est d’équiper tout le monde (en masques) ». Qui lui expliquera, à elle et aux politiques qui usent et abusent de ce mot, d’une part qu’un enjeu ne peut qu’être « collectif », « partagé » (et non pas propre à un Gouvernement) et que d'autre part un enjeu n’est pas un objectif ?

Un enjeu, c’est ce qui est « en jeu », ce qui est caché derrière (pour parler comme Alain Souchon et Laurent Voulzy), ce qui arrivera ou non selon que l’on atteindra les objectifs ou non. Donc, chère Madame Pannier (Pourquoi cette mode galopante des patronymes à rallonge ? Parce que tout le monde ne peut pas s’approprier Giscard d’Estaing ? Fascination pour la noblesse d’Ancien Régime?), chère Madame Pannier donc, votre objectif (et votre devoir !) est d’équiper tout le monde en masques (c’est opérationnel, c’est à court terme, c’est tactique) et l’enjeu, qui est national (le nôtre à tous, et non pas le vôtre à vos collègues et à vous), est la santé des Français ou plus modestement la non-contamination à grande échelle des Français (c’est à moyen terme, c’est stratégique).

Toujours à propos du Covid-19, l’intéressant entretien de l’anthropologue médical genevois Jean-Dominique Michel avec un journaliste du site Athle.ch m’a permis de repérer deux expressions amusantes (pour un Français de l’Hexagone) : « à année longue » (au lieu de « à longueur d’année ») et « supportif » (au lieu de notre franglais « supporter »).

Infinie variété du français… !

Pour terminer, rions. Dans un devoir leur demandant, à titre subsidiaire, de repérer et de traduire les termes franglais d’un discours, deux étudiants de niveau M1 ont répondu ceci :

  • top management = meilleur management (on croit les entendre parler entre eux : « c’est top » !)

  • (l’application de communication) Slack = mou

  • le soft (au sens du logiciel) = doux

Est-ce l’avènement du care ?

16/04/2020

Irritations linguistiques LXV : no sport ?

Montre-moi tes muscles et ta souplesse, je te dirai quelle langue tu parles ! Pendant que nos Académiciens s’émeuvent auprès des Pouvoirs publics de ce que la loi Toubon est contournée ou bafouée tous les jours par l’Administration (et les entreprises publiques), le privé s’en donne à cœur joie. Exemples déplorables dans un centre de maintien en forme (qu’ils appellent « de fitness ») du grand Ouest parisien.

Voici ce qu’on lit dans son planning 2020 en fait de cours de gymnastique : b-board boost, fast bike, bodywork, aqua’dynamic, bodycontrol, hilo (high-low) / step, stretch (étirements), hatha yoga, aquatraining, aqua’jump, hiit, street jazz, aqua’boxing, zumba, aqua’power, gym balance, fit punch, postural ballbody barre, cross training, board & mind, rubberband (élastiques ?), step, boxing (boxe ?), core / internal training, fit bike. Au total, pas moins de 26 termes anglais (et abscons, évidemment), sans compter les abréviations indéchiffrables (fac, trx) ! On a du mal à trouver quelques termes français : abdos-fessiers, méditation, sophrologie, relaxation, barre au sol, soit 15 % environ.

De qui se moque-t-on ? Les organisateurs et animateurs de gym pensent-ils accrocher une touche de modernisme et de sophistication à leur discipline en les affublant de noms anglais ? Ou sont-ils simplement si paresseux et peu créatifs qu’ils importent tous leurs exercices d’outre-Atlantique, noms de baptême inclus ?

On dit souvent que les joueurs de football ont du mal à s’exprimer, qu’ils parlent mal français. Cela ne les empêche pas d’être talentueux ni sympathiques ni généreux. Ainsi du jeune prodige Kylian M’Bappé, qui vient de créer, à vingt et un ans seulement, une fondation pour aider 98 jeunes jusqu’à l’âge adulte. Bravo, même si les fondations semblent pousser autour des gens fortunés comme les champignons après la pluie ; mais comment la baptise-t-il ? Inspired by KM ! De nos jours, en France, une fondation (qui bénéficiera sans doute d’avantages du système fiscal français) créée par un Français, qui doit sa carrière au monde sportif français (même s’il l’eût obtenue pareillement dans un autre pays européen) et sa fortune au public français, et qui se destine à aider de jeunes Français, est baptisée d’un nom anglais ! Qui peut comprendre cela ?

Ce n’est pas tout dans le monde merveilleux du sport hexagonal ! Importé des États-Unis (évidemment), une nouvelle discipline a fait son apparition chez nous et va être autorisée à organiser des combats : le MMA, à savoir le mixed martial art. Selon l’article de Bruno Rieth dans le Marianne du 29 novembre 2019, ce mélange de plusieurs techniques (karaté, jiu-jitsu brésilien, kung fu, pancrace, vale tudo, lutte, boxe, kick-boxing, self defense) est né en 1993 et a longtemps été considéré comme du free fight (sic). Même pas peur… de ne pas traduire !

C'est bien Winston Churchill qui professait : no sport ?

19/03/2020

Des prénoms qui filent... à l'anglaise ?

Il y avait déjà les Kevin (prononcés kévine, alors qu’en français c’est kévain), les Jordan (hommage au joueur de basket ?) et les Margaux (alors que le diminutif de Marguerite, c’est Margot ; il faut croire que les vins de Bordeaux ont réussi leur campagne de communication)…

En fait depuis 1993 (sauf erreur), le choix des prénoms est libre en France (génération « J’ai le droit »), pourvu qu’ils ne soient pas dégradants (voir le film « Le prénom » avec Adolf). Et peu importe qu’il se produise un chassé-croisé entre les baptêmes des enfants et des voitures (voir Mégane et Zoé, parmi d’autres exemples).

Une des conséquences est évidemment qu’au lieu de choisir parmi les Saints du calendrier, tout parent peut afficher une origine, une tradition, une culture, voire son non-conformisme ou son admiration pour tel ou tel personnage célèbre, à travers les prénoms de ses enfants, y compris d’ailleurs en multipliant ces prénoms pour un même enfant.

Mais mon propos ici n’est pas de m’insurger comme certains contre des prénoms qui « feraient honte à la République française » ; c’est un autre débat, qui peut être ouvert mais en tablant plus sur la force de conviction des censeurs et sur l’intérêt bien compris des personnes concernées, que sur la coercition ou l’anathème.

Non, je veux dans ce billet pointer l’injure quotidienne qui est faite à l’orthographe de notre langue par des choix de prénoms à la graphie fantaisiste ou provocatrice, voire humoristique.

Le choix étant libre, pourquoi ne pas se lâcher en montrant son non-conformisme ?

Nous rencontrons ainsi des Loraine, des Katryn, des Ana, des Alexya, des Meryem et des Mariam, des Noëlly et des Roselène, des Athina, des Karin (qui devrait se prononcer « carine » comme dans « clarines »), des Haude et des Hannelore (mais cette dame charmante était d’origine allemande), de Lucille (la sœur bien-aimée de Chateaubriand se contentait d’un seul « l » dans son prénom mais en l’occurrence je ne dis rien car cette jeune femme tient son prénom de parents qui adoraient Jimi Hendrix, dont la mère s’appelait Lucille Jeter, 1925-1958), des Armélie, des Jecikya (oui, vous avez bien lu), j’en passe et des meilleurs ! C’est pathétique…

Et la question qui se pose est dès lors la suivante : l’orthographe française étant à la base déjà compliquée, comme peut-on espérer que nos enfants s’y retrouvent avec de telles graphies dénaturées ? Catherine, Anna, Alexia sont-ils si difficiles à porter ? Et si l’on veut absolument rendre hommage à ma région d’origine, pourquoi pas Lorraine ? À moins que la référence à la marque de vêtements soit vraiment indispensable ?

Cette créativité et ce souci de se distinguer sont plutôt pathétiques, sans compter qu’ils font penser à nos animaux de compagnie à quatre pattes (depuis longtemps, on nomme les chiens de race « sous contrainte de lettre initiale »).

Et ce n’est malheureusement pas le seul domaine où l’insouciance, le snobisme, la soumission aux modes et au modèle américain font des ravages ; nous avons évoqué il y a longtemps les marques (R16 Electronic !) et les enseignes de magasin. Dans cette course folle à la création de noms de baptême, il y a maintenant les produits bancaires et les projets de loi. Pourquoi pas… mais pourquoi « à l’anglaise » ?